Excel tourne à plein régime. Une légende urbaine l’affirme, qui assure aussi que des hordes de petits soldats anonymes de la finance internationale s’activent depuis le Luxembourg à repérer les noms et les entités russes sanctionnés par les autorités internationales, qu’elles soient européennes, américaines ou britanniques. Ce cauchemar quotidien peut avoir de graves conséquences pour une vénérable institution si d’aventure l’un de ces trop proches du président russe, Vladimir Poutine, venait à échapper à leur sagacité tout en étant ciblé par un média.
Les tableaux sont même assez inefficaces lorsqu’il s’agit d’intégrer six, sept ou huit patronymes ou surnom de la même personne, quand celle-ci est protégée par des poupées russes de sociétés basées dans autant de juridictions exotiques ou même quand elle utilise les bonnes vieilles habitudes de la mafia – les avoir au nom de proches, sortes de mules modernes, autrefois des comptables au-dessus de tout soupçon.
«Les clients à risque profitent toujours des crises», assure Andrea Danielli. À peine débarqué de Milan dans la torpeur d’un lendemain de week-end de Pâques, entre chocolats et Émaischen, le cofondateur de a quitté son confortable poste à la Banque centrale d’Italie pour se lancer dans cette chasse-là et dans la vie plus incertaine d’une regtech. «Pour les trouver, il faut s’en tenir à la littérature et, par exemple, regarder les changements d’associés des entreprises. Une fois que le crime organisé s’est introduit dans la société, plus rien ne l’empêche d’émettre de fausses factures, d’acheter et de vendre dix fois, cent fois… Pourtant, les indicateurs du risque, du point de vue de l’établissement financier, ne regardent pas souvent de ce côté», assure celui qui tente d’installer sa start-up, retenue dans , au Luxembourg.
15% des coûts opérationnels annuels
La lutte contre le blanchiment «représente 15% des coûts opérationnels et cela augmente tous les ans, dans un marché mondial à 300 millions d’euros aujourd’hui. Les trois quarts de ces montants servent à payer les gens qui font ce boulot», explique celui qui a déjà reçu , après être passé par .
Les gens qui font le boulot, nos petits soldats anonymes, pourraient gagner en efficacité avec sa technologie de knowledge graph. «Nous établissons des géométries du risque, notamment à partir des analyses de comportement dans les virements, comme nous le faisons avec notre premier client, », la néobanque italienne, «directement dans le cloud, qui a un appétit pour les nouvelles technologies et qui est très rapide à comprendre l’intérêt d’une innovation».
Un peu seule, peut-être, en Italie, dit-il du bout des lèvres, soulignant par opposition l’intérêt de s’établir au Luxembourg. Son rêve serait qu’une banque de la Place lui confie ses millions de clients pour faire tourner ses deux produits, Brain et Amlet, sur , et vérifier que tout est assez stable pour rêver de croissance exponentielle de ses affaires.
30 critères décisifs
Brain est un outil d’évaluation des risques à destination des banques et autres institutions financières pour «détecter les transactions suspectes et les clients à haut risque à partir des technologies sémantiques. Il est capable d’intégrer des millions d’informations provenant de sources internes et d’open source intelligence». Amlet rend «ces données de diligence raisonnable portables et réutilisables au sein d’un écosystème d’intermédiaires, simplifiant les procédures d’intégration et réduisant le risque de blanchiment».
Quand il ouvre son ordinateur, Andrea Danielli montre une carte de points rouges et noirs, aux tailles différentes et aux connexions évidentes d’un regard. À chaque fois que la technologie a un doute, l’humain peut vérifier. Mais la technologie effectue des milliers de contrôles en simultané et va chercher des connexions, des liens et des problèmes potentiels là où les tableaux Excel peineraient à évaluer en temps réel. Selon une trentaine de critères. «Il y en a surtout de cinq à dix qui sont très utiles! Le total est toujours un compromis entre l’efficacité et les coûts… et je me demande comment certaines regtech peuvent promettre un screening sur 100 à 200 critères», raille l’entrepreneur.
Début mai, sur Meluxina, la start-up d’origine italienne va faire tourner les 13 milliards de données de Wikidata.
Où ira l’Agence de lutte contre le blanchiment?
S’il est si confiant dans l’avenir de son projet, c’est que l’Union européenne est en train d’embrasser deux changements majeurs en même temps. D’un côté, depuis juin dernier, , : chaque citoyen européen aura un portefeuille d’identité numérique pour stocker ses informations, de manière chiffrée pour accéder à toute une série de services et il sera plus facile d’établir qui est qui dans le cadre d’un contrôle antiblanchiment, sans même avoir accès aux informations personnelles.
L’autre est un chantier que la présidence française du Conseil de l’Union européenne a saisi à bras le corps depuis le début janvier: la création d’une nouvelle agence européenne, Agence de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ou selon son acronyme anglais. Adoubée par la Banque centrale européenne, l’AMLA devrait voir le jour en 2023, être pleinement opérationnelle en 2026 et compter 250 fonctionnaires, chargés non seulement de coordonner le travail des cellules nationales de renseignement financier (qui dépendent des ministres de la Justice) mais aussi des régulateurs financiers. , tout en reconnaissant que le comité d’experts dirigeant l’AMLA devraient la mettre à l’abri des pressions des États membres.
La logique voudrait qu’on harmonise les outils de lutte contre le blanchiment pour éviter les trous. Un big bang contre les trous noirs de la finance.
Cet article est issu de la newsletter hebdomadaire Paperjam Trendin’, le rendez-vous pour suivre l’actualité de l’innovation et des nouvelles technologies. Vous pouvez vous y abonner