À la fin des années 1990, la Fédération luxembourgeoise de football (FLF) s’est retrouvée à la croisée des chemins. La génération qui avait fait les beaux jours de sa sélection durant les dernières saisons, les Guy Hellers (Standard de Liège), Robby Langers (Nice, Cannes…), Jeff Saibene (Aarau en Suisse)… qui avaient notamment notamment battu en 1995 les futurs vice-champions d’Europe tchèques, étaient sur la fin. Et derrière l’emblématique Jeff Strasser (Metz, Kaiserslautern, Moenchengladbach…), c’était le désert. Personne ne semblant véritablement capable de se hisser à un niveau professionnel à l’étranger.
C’est dans ce contexte qu’a germé l’idée de créer un centre de formation national.
«Avec comme but de former en continu des jeunes prometteurs. Et d’essayer donc de ne plus vraiment connaître de trou comme celui que nous vivions à ce moment-là», souffle Paul Philipp, actuel président de la Fédération luxembourgeoise de foot (FLF), qui, en ce temps-là, occupait le poste de sélectionneur depuis une quinzaine d’années. «Nous sommes alors allés observer ce qui se faisait un peu partout en termes de formation, afin de nous inspirer…»
L’influence française
Or, à cette époque-là, l’équipe de France venait d’être sacrée championne du monde pour la première fois (en 1998), avant d’enchaîner sur un titre européen (2000). Et ce, grâce à ses centres de formation «à la française» qui étaient alors sur toutes les lèvres, le nom de (l’institut national du football de) Clairefontaine, où sont préformés quelques-uns des meilleurs joueurs français, devenant quasiment une marque connue mondialement.
Il n’a donc pas fallu aller très loin pour trouver l’inspiration. «Nous sommes, en effet, partis de cette base-là. Mais en l’adaptant à la sauce luxembourgeoise…», sourit Paul Philipp.
Comprenez que, sur le fond, l’idée était de travailler, de former, de manière assez semblable. Mais que, sur la forme, il a fallu mettre en place quelque chose de différent. Déjà parce qu’en France, un centre de formation appartient à un club, alors qu’au Luxembourg, c’est bien la fédération qui se trouve derrière cette unique école de foot du pays.
L’idée était donc de former les meilleurs jeunes du pays, la semaine, au sein des installations de la FLF, tout en permettant à ces gamins d’évoluer en championnat le week-end dans leurs clubs. Inutile de dire que convaincre ces derniers de suivre cette vraie révolution n’a pas été simple…
Des navettes pour véhiculer entre 150 et 200 jeunes tous les jours
Débuté au carrefour de l’an 2000, ce projet s’est mis en place petit à petit. À un rythme pas très éloigné de celui de l’élaboration du site de Mondercange, choisi pour accueillir ce centre national. Tout cela aboutissant aujourd’hui à un site de cinq hectares (dont trois aménagés), comprenant notamment un grand bâtiment de 3.400m2 qui accueille tous ces jeunes joueurs, mais également les bureaux de la fédération. Et tout cela avec très peu de fonds publics luxembourgeois dépensés. Comme on se plaît d’ailleurs souvent à le rappeler au sein de la FLF.
«On a commencé voici une quinzaine d’années en ne travaillant qu’avec deux groupes d’âge, qui allaient de 16 ans à 19 ans. Avant d’avancer pas à pas et de tourner à plein régime depuis une douzaine d’années. Désormais, les enfants arrivent chez nous, à Mondercange, au sein de notre école de football, à partir de 12 ans. Mais nous les formons dès l’âge de 9 ans, grâce à des entraînements régionaux donnés dans quatre secteurs différents du pays», explique Paul Philipp.
Avec entre 40 et 50 enfants dans les classes d’âge les plus basses, afin de donner une base solide à la pyramide. Pour un total oscillant entre 150 et 200 jeunes qui se présentent tous les jours de la semaine à Mondercange.
Parce que la particularité de cette école de foot est qu’elle va chercher, chaque jour ouvrable, ces 150 à 200 jeunes à la sortie des écoles un peu partout à travers le pays pour les emmener jusqu’à Mondercange, où ils s’entraînent. Avant de les ramener chez eux le soir.
«Pour cela, nous avons un service de 12 à 14 navettes qui sillonnent le pays. Les premiers jeunes débarquent chez nous vers 14h30-15h. Ils suivent leur entraînement auprès de nos entraîneurs diplômés, mais sont aussi encadrés dans leurs études par des éducateurs. Ces derniers sont aussi en contact régulier avec leurs profs.»
Pas d’internat par contre. «Pour la simple raison qu’un rapide sondage nous a indiqué que pratiquement personne ne serait intéressé par cette formule. On est au Luxembourg, rien n’est vraiment loin…», rigole le président de la FLF.
Cité en exemple par l’UEFA et la FIFA
C’est justement la taille du pays qui a rendu possible une telle politique. Et celle-ci a porté ses fruits. On le voit dans , mais aussi dans le fait qu’aujourd’hui, une trentaine de joueurs évoluent à l’étranger. Du jamais-vu au Luxembourg. Avec quelques têtes d’affiche comme Leandro Barreiro (21 ans) à Mayence en Bundesliga, Gerson Rodrigues (25 ans) qui a participé à la Ligue des champions avec le Dynamo Kiev, ou Christopher «Kiki» Martins (24 ans), récent double champion de Suisse avec Berne.
Des éléments qui font partie des cadres d’une sélection nationale qui en surprend donc plus d’un. À l’image de la victoire (0-1) obtenue en Irlande en mars dernier ou de la belle prestation (1-3) face au Portugal de Ronaldo quelques jours plus tard.
«Mais plus que nos résultats, ce qui impressionne beaucoup nos adversaires, c’est notre manière de jouer, la qualité de notre jeu», glisse un Paul Philipp qui reçoit de plus en plus d’éloges pour sa sélection en provenance de l’étranger. «Et quand certains voient un jeune comme Barreiro flamber à Mayence, ils nous demandent s’il a bien été formé chez nous…», se marre le n°1 de la FLF.
Du coup, cette fédération luxembourgeoise intrigue. «Les gens se demandent comment nous avons réussi à progresser ainsi alors que la taille de notre pays n’a pas changé…», continue-t-il, sourire aux lèvres.
L’UEFA et la Fifa, les fédérations européenne et mondiale, citent, elles, ce petit pays en exemple, envoyant même des délégations voir comment ce Luxembourg est parvenu à faire sa révolution.
Le chantier du foot féminin
Paul Philipp, lui, sait. Et il n’hésite pas à dire que «sans la mise en place de cette école de football, le foot luxembourgeois serait à des années-lumière d’où il en est aujourd’hui.»
Mais il sait aussi que pour continuer à progresser, il faut savoir évoluer. Ses équipes vont donc toujours «espionner» ce qui se fait de mieux ailleurs. En 2019, on a ainsi changé la surface de jeu de tous les terrains de Mondercange, afin de les recouvrir d’un synthétique dernière génération. Exactement comme… à La Masia, la célèbre école de jeunes du FC Barcelone. Et on a aussi bien en tête qu’il reste de la surface non exploitée sur ce site de Mondercange…
Mais le «chantier» qui pourrait bien être le plus marquant est celui d’un foot féminin qui gagne en visibilité un peu partout dans le monde. Chez nous aussi, on s’y intéresse donc.
«On commence à travailler au niveau de la formation des jeunes filles, dans le sillage de Dan Santos, le sélectionneur de l’équipe nationale et de son staff», lance Paul Philipp. «On est loin d’être au même stade que chez les garçons, forcément. Il n’existe pas encore de ‘pool national’ regroupant les meilleures joueuses par catégorie d’âge.»
Mais la FLF possède des sélections U17 et U19. Et elle a mis des entraînements régionaux en place, qu’on peut fréquenter à partir de 12 ou 13 ans. À raison de deux séances hebdomadaires.
«On est en phase de détection. La mixité existe jusqu’à un certain âge, mais, à moyen terme, on voudrait organiser des championnats de jeunes exclusivement réservés aux filles. Histoire de parvenir à créer la plus grande base possible pour la future pyramide. C’est important si on veut bien travailler…»
Le début d’une nouvelle belle réussite?
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