Pauline Martin, event manager, Agence Mevengreen (Photo: Pauline Martin)

Pauline Martin, event manager, Agence Mevengreen (Photo: Pauline Martin)

Dans le cadre de notre opération «Luxembourg Recovery: 50 idées pour reconstruire», partagez une idée concrète, une expérience ou une mesure à mettre en œuvre pour faciliter le rebond de l’économie luxembourgeoise. Aujourd’hui, Pauline Martin propose d’encourager l’entrepreneuriat familial.

Le pitch: Beaucoup s’accordent à dire que les crises tendront à se succéder (sanitaires, climatiques, sociales…), ayant toutes un impact sur la bonne santé économique de notre pays. Il est donc de notre responsabilité de construire un modèle économique qui puisse s’adapter à cet état de fait. Après la phase de destruction, chaque crise apporte sa phase créatrice. Nous devons donc développer notre propension à nous adapter aux nouveaux besoins qui surgissent. Nous devons également rapprocher nos économies des territoires et limiter les interdépendances. Je propose donc d’encourager l’entrepreneuriat familial, format d’entreprise le plus propice à répondre à ces trois contraintes: résilience, agilité économique, proximité.

L’idée: Trop souvent, les notions «d’entreprise familiale» et «d’entrepreneuriat familial» sont confondues. L’entreprise familiale est un modèle d’héritage. Il implique la paternité à un membre et se caractérise par des difficultés à rester dans la course à l’innovation, là où l’entrepreneuriat familial permet d’intégrer la notion d’innovation au cœur de la création d’entreprise.

Cette confusion entraîne une image dévalorisante, particulièrement auprès des jeunes, de l’entrepreneuriat familial. Pour preuve, une étude menée auprès d’étudiants finlandais a mis en exergue le fait que si l’esprit d’entreprise motive les étudiants, «la possession d’une entreprise familiale [est] perçue comme peu attrayante». (1)

Pourtant, les bénéfices sont nombreux: la relance économique, pour être pérenne, devra passer par un développement plus local. Ce fut d’ailleurs le thème de nombreuses contributions à l’opération #LuxembourgRecovery lancée par Paperjam. Or, les entreprises familiales sont considérées comme plus proches de leur territoire. De plus, ces entreprises ont une viabilité plus importante que les autres puisque la notion de famille a tendance à s’étendre à l’ensemble des collaborateurs. Elles «sont réputées prendre un soin particulier de leurs employés avec l’objectif de créer une ‘communauté’ interne très soudée» (2).

Favoriser cette forme d’entreprise, c’est également s’assurer de donner un statut aux solidarités familiales informelles. La grande majorité des entrepreneurs ont sollicité l’aide de leur conjoint, de leurs parents ou collatéraux, particulièrement lors du démarrage de leur entreprise. Que cet apport à l’entreprise soit en numéraire ou en nature, il n’entraîne bien souvent aucune implication de la part de celui qui le donne. Je pense qu’encourager la codirection et la prise effective de responsabilité est un moyen d’enrichir l’entreprise, de donner un statut à l’aidant, et de l’impliquer pleinement dans les prises de décision.

On sait également que la famille est le lieu privilégié des reproductions sociales. Une fois ce constat établi, il est possible d’en tirer un cercle vertueux dont la famille serait le vecteur. Les prochaines générations grandissant dans une famille où les notions de prise de risque et d’échec font partie intégrante d’un parcours professionnel appréhenderont leur propre parcours avec plus de sérénité et seront donc davantage en capacité de rebondir à la survenance des prochaines crises.

Finalement, l’ancrage local, le management familial, la transformation d’aides informelles en véritable esprit d’entreprendre et la transmission des valeurs entrepreneuriales sont à mon sens des bénéfices dont notre société a tendance à se priver.

Concrètement, comment faire?

Pour valoriser la création d’entreprise en famille, il faut soulager la prise de risque. Engager les biens personnels d’une famille entière freine nécessairement la volonté d’entreprendre ensemble. L’État pourrait donc garantir les prêts initiaux afin de soutenir la création. Une fois la viabilité de l’entreprise atteinte, les garanties personnelles pourraient se substituer à nouveau à celle de l’État.

Il semble également primordial d’opérer une communication positive sur ce mode de création d’entreprise. Comme évoqué, l’image de l’entrepreneuriat familial est encore ternie par l’idée commune que nous avons de l’entreprise familiale. Il serait donc souhaitable d’éduquer et de promouvoir le fait d’entreprendre en famille. À titre personnel, je crois à la viabilité et à la performance de l’entrepreneuriat familial pour la simple raison que j’en suis issue. Ma sœur s’est lancée tout d’abord seule, je me contentais pour ma part de lui apporter une aide informelle et ponctuelle. Aujourd’hui, nous avons pris la décision de travailler ensemble, de mutualiser nos compétences, et surtout de faire reposer le stress qu’engendre le travail indépendant sur deux têtes plutôt qu’une.

Cette période de crise nous rappelle, si cela était nécessaire, que le lien de filiation crée un filet de sécurité d’une robustesse qui nous semble inébranlable.

Ce modèle de création d’entreprise pourrait donc être l’un des maillons de la chaîne qui permettra le rebond de notre économie.

(1) Kansikas, J. & Laakkonen, A. (2009). «Students’ Perceptions of Family Entrepreneurship – A Study on Family Business Academic Education»

(2) Miller, D., Lee, J., Chang, S. & Le Breton-Miller, I. (2009). «Combler le ‘vide institutionnel’: Le comportement social et les performances des entreprises familiales»

L’auteur: Pauline Martin, event manager, Agence Mevengreen