Lionel Gendarme, advisory partner, Grant Thornton Luxembourg. (Photo: DR)

Lionel Gendarme, advisory partner, Grant Thornton Luxembourg. (Photo: DR)

Dans le cadre de notre opération «Luxembourg Recovery: 50 idées pour reconstruire», partagez une idée concrète, une expérience ou une mesure à mettre en œuvre pour faciliter le rebond de l’économie luxembourgeoise. Aujourd’hui, Lionel Gendarme propose de créer des «télébureaux».

Le pitch: Mettre en place des lieux de télétravail qui allient sécurité, confidentialité, réduction du temps passé dans les transports et maintien des liens d’appartenance avec l’entreprise.

L’idée: Avant la crise du Covid-19, nous connaissions les temps de trajet à rallonge, la hausse constante du prix de l’immobilier de bureaux et les possibilités de télétravail très réduites à cause, entre autres, de la fiscalité et d’impératifs de sécurité et de contraintes réglementaires dans le secteur financier.

En quelques semaines, la crise du Covid-19 a pourtant rebattu ces cartes que l’on croyait immuables. Elle a obligé les entreprises (avec l’aide des pouvoirs publics et des régulateurs sectoriels qui ont dû eux aussi revoir leurs dogmes en urgence pour ne pas plonger le pays dans le chaos) à adapter leurs pratiques afin de permettre autant que possible de continuer leurs activités tout en garantissant la sécurité sanitaire de leurs employés. Concrètement, nous sommes passés en quelques jours au «chacun chez soi». Du coup, des solutions qui étaient envisagées «avant» pour traiter les problématiques de mobilité (covoiturage, transports en commun, troisième voie sur les autoroutes) ne sont pas applicables durant la crise et seront, «après», peut-être moins attractives qu’elles ne l’étaient «avant».

Alors que nous apercevons le bout du tunnel, tout le monde pense à l’«après» en s’appuyant sur les nombreux constats (souvent positifs) effectués sur le travail accompli en mode télétravail depuis la mi-mars.

Du côté des entreprises, de nombreux dirigeants réfléchissent à continuer à recourir au télétravail pour réduire les surfaces de bureaux nécessaires (et donc les coûts fixes de leurs entreprises). Certains craignent cependant les risques de sécurité accrus liés aux accès distants aux ressources informatiques, à l’utilisation de matériel informatique personnel (laptop, tablette) non inclus dans le périmètre de sécurité de leur entreprise et à l’absence d’une supervision de proximité (donc visuelle) des employés par les cadres. Les dirigeants craignent aussi de voir des employés «télétravailleurs» perdre le lien avec leurs collègues et avec leur entreprise.

Du côté des employé(e)s, beaucoup souhaitent a minima qu’il leur soit possible de continuer à télétravailler, au moins à temps partiel. Des études et sondages récents montrent qu’une majorité de télétravailleurs sont plus productifs et ont un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, entre autres grâce au temps économisé en ne passant pas chaque jour des heures dans les déplacements domicile-travail.

Les avantages du télétravail (plus de temps perdu dans les transports, flexibilité dans la gestion de son agenda, entre autres) sont tout aussi indéniables que ses inconvénients et ses risques (distanciation avec l’entreprise et les collègues, risques au niveau de la sécurité informatique), et comme il est déjà fait mention dans d’autres articles, le télétravail à plein temps et permanent n’est en général pas envisageable.

En s’inspirant des concepts de succursale, de nearshoring et d’outsourcing, peut-on réfléchir à mettre en place des «télébureaux» situés dans la Grande Région qui permettraient aux entreprises luxembourgeoises d’y héberger de manière permanente, dans des bureaux dédiés, certaines de leurs équipes (jusqu’à un pourcentage maximum du nombre d’employés, afin de garantir que la substance des entreprises reste au Luxembourg)? Des rotations entre les équipes travaillant depuis ces télébureaux et celles travaillant depuis le siège pourraient être envisagées de sorte de maintenir le lien entre les employés et leur entreprise.

La mise en place de lignes de communication dédiées entre les télébureaux et les entreprises, la généralisation de l’utilisation de bureaux virtuels («hosted virtual desktop») et la dématérialisation des documents physiques permettraient de garantir la sécurité des ressources informatiques et de la connectivité avec le siège luxembourgeois des entreprises. Moyennant la mise en œuvre de ces outils et de restrictions d’accès adéquates, une section d’un télébureau dédiée à une entreprise ayant son siège au Luxembourg pourrait être vue comme une extension de celle-ci (extension à la fois digitale, opérationnelle, juridique et réglementaire). Des autorités de surveillance (comme la CSSF, la CNPD, l’ITM) pourraient avoir un droit de regard sur ces télébureaux, afin de s’assurer de leur conformité avec le cadre en vigueur au Luxembourg.

La mise en œuvre de télébureaux nécessiterait une adaptation du cadre fiscal (pour que les entreprises et les employés ne voient pas leur fiscalité alourdie) ainsi que la mise en place de garde-fous (y compris en ce qui concerne un éloignement maximum des télébureaux par rapport aux frontières avec le Luxembourg).

«Avant», travailler dans les bureaux était la norme, et le télétravail était une alternative applicable et utilisée à la marge. «Après», les entreprises devraient pouvoir librement combiner trois modes de travail: le travail dans les bureaux, le télétravail depuis le domicile des employés et le travail depuis des télébureaux.