Une plantation de sapins dans les Ardennes belges. Deuxième pays européen exportateur, la Belgique est un interlocuteur de choix pour le Luxembourg. (Photo: Maison Moderne)

Une plantation de sapins dans les Ardennes belges. Deuxième pays européen exportateur, la Belgique est un interlocuteur de choix pour le Luxembourg. (Photo: Maison Moderne)

Environ 120.000 sapins sont écoulés au Luxembourg à l’occasion des fêtes de Noël. Un business attractif porté par l’offre extérieure. L’Allemagne et surtout la Belgique y font feu de tout bois.

Avec ses 14 mètres de hauteur et quatre tonnes bien tassées sur la balance, impossible de le louper. La star des Winterlights— qui jusqu’au 7 janvier enluminent les marchés de Noël dans la capitale—, c’est lui. Exceptionnel du fait de ses dimensions, le majestueux épicéa âgé d’une vingtaine d’années qui trône actuellement place d’Armes l’est aussi quant à sa provenance. Il s’agit d’un arbre… luxembourgeois.

Chaque année, le service «parcs» de la Ville de Luxembourg lance un appel aux particuliers désireux de faire abattre des sapins en leur possession. Avant de se réserver les meilleurs spécimens.

Un deal gagnant-gagnant permettant en outre, à l’administration, «d’éviter des coûts de transport élevés».

19 hectares d’exploitation déclarés

À l’inverse, le sapin qui se dressera dans nos salons d’ici Noël risque d’avoir effectué un peu de chemin. Car si la production luxembourgeoise est une réalité, elle n’existe qu’à la marge. «Confidentielle.» Sur les 120.000 arbres vendus durant les fêtes, «moins de 20% sont issus du Luxembourg», estime un spécialiste.

L’activité repose sur une poignée de pépiniéristes, des agriculteurs et quelques personnes privées, éprises de culture du sapin comme d’autres le sont d’apiculture. Ni la Fédération horticole du Luxembourg ni l’Administration des services techniques de l’agriculture (Asta), pour ne citer que ces deux organismes, ne disposent de données consolidées.

Preuve que le sapin échappe à beaucoup de radars, tout juste apprend-on qu’en 2023, dix entreprises ont déclaré 19 hectares de culture spécifique, en baisse de plus de 50% par rapport à à l’année dernière. Le chiffre était de 18 hectares en 2010.

Derrière le Danemark, la Belgique

Selon les estimations, 80 à 90% des conifères commercialisés à l’occasion des fêtes proviennent donc de l’extérieur. Trois pays se taillent la part du lion sur le front de l’export: le Danemark, la Belgique et l’Allemagne.

Au Danemark, où dix millions d’unités quittent la terre chaque année, le sapin est devenu une économie à part entière, fortement encouragée par les politiques publiques. Une fondation dédiée a même été créée.

Le Luxembourg, lui, regarde sans surprise davantage du côté des plantations voisines. «Je compte une trentaine de clients dans le pays», confirme Jonathan Rigaux, dirigeant d’une importante pépinière à Neufchâteau et président de l’Union ardennaise des pépiniéristes (UAP), forte de 64 entreprises adhérentes. La Belgique produit à l’année entre 3 et 3,2 millions de sapins, dont seulement 700 000 sont destinés au marché intérieur. Tout le reste file à l’export.

Avec 900 emplois (500 directs, 400 indirects), la Wallonie se veut l’épicentre en Belgique de cette juteuse activité. Les autorités locales ont instauré un plan de croissance visant à une augmentation de 25% de la production dans les dix prochaines années. Autant dire que les sapins belges n’ont pas fini de peupler les Noëls luxembourgeois.

«Dans le nord du pays, vous pourriez sans souci produire davantage», estime pourtant Jonathan Rigaux, mais ce n’est pas la mentalité. «Il s’agit d’une agriculture peu rentable par rapport à d’autres. Et de toute façon les agriculteurs luxembourgeois sont de “vrais” agriculteurs, terriens dans l’âme. Je ne plaide pas ma cause, mais si j’étais ministre de l’Agriculture au Luxembourg je n’investirais pas dans la culture du sapin au détriment de l’agriculture nourricière. Cette dernière constitue un bien trop précieux.»

«Un marché trop petit»

«Le marché local est terriblement atomisé», note de son côté le manager Belgique de Greencap, Gérald de Wouters, dont l’entreprise a une structure logistique au Luxembourg. Également présente en Bretagne côté français, son entreprise installée à Libin (province du Luxembourg) se targue d’être le plus important producteur de sapins belges. Elle ne commerce plus avec le Grand-Duché, «un marché trop petit pour une grande société comme la nôtre». Ses clients commandent jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de spécimens. «Au Luxembourg, ce serait 300 ou 400 pièces pour des revendeurs.»

Les grandes surfaces, elles, sollicitent leurs centrales d’achat. Les commandes sont généralement passées dès l’été, la coupe des arbres intervenant début novembre. Dans le secteur, le chiffre d’affaires de l’année se décide comme sur un coup de dé, en quatre ou cinq semaines.

L’Allemagne est prisée. Numéro trois du classement européen à l’export, elle apparaît au deuxième rang des producteurs avec 5 millions d’arbres. Ses ventes à l’étranger ne concernent qu’un cinquième des volumes.

Initiatives locales

Quoique plus discret, le sapin luxembourgeois n’est pas en reste pour autant. Ingénieuse, la pépinière Bamschoul Becker, située à Steinsel, propose un système de location pour la période des fêtes. Livré à domicile, l’arbre est repris par ses soins une fois la bûche de Noël digérée.

Une autre initiative notable a pris racine durant la pandémie de Covid-19. À l’époque, la société d’événementiel sportif Optin est à l’arrêt. Son fondateur, Romain Haas, se creuse la cervelle en quête d’un plan B. «On a regardé, il n’existait pas encore de services proposant la livraison de sapins», se souvient-il. Dans la foulée, il inaugure le site de ventes en ligne Sapins.lu.

Spécificité: la plateforme fonctionne en circuit court. «On a longuement cherché avant de trouver un producteur local. Il fallait qu’ils remplissent nos critères.» À savoir un sapin le plus «écolo» possible. Sapins.lu a trouvé son bonheur à Buschrodt, dans le canton de Redange.

L’affaire tourne plutôt rond. Lors du Noël 2022, la société avait conclu 365 commandes, un total en hausse de 60% sur un an.

La météo trouble la donne

Pour 2023, une difficulté se pose: le producteur retenu ne dispose pas d’une quantité suffisante de sapins. Plusieurs années sont nécessaires à leur pousse. Certains arbres seront donc issus d’une pépinière dans les environs de Trèves.

Obstacle supplémentaire: la météo. «Un carnage», résume le manager Belgique de Greencap, Gérald de Wouters. Les pluies intenses des derniers mois ont grevé le rendement de récolte. «Moins 30 à 40%. On ne va pas manquer de sapins, mais il y aura du retard dans les livraisons. Les choses devraient rentrer dans l’ordre après le premier week-end de décembre. Cela vaut pour tous les pays européens.»

Plastique pas si fantastique

Le marché continental pèse quelque 65 millions d’unités. «Stable», assure Gérald de Wouters, «mais sans être un grand analyste, je note que la population augmente et que ce chiffre n’évolue pas. C’est donc que potentiellement le marché est en recul.»

Au bénéfice du sapin artificiel? À l’heure actuelle, le rapport de force au Luxembourg paraît toujours largement en faveur du «naturel». De l’ordre de huit ventes sur dix, selon les observateurs. Ces derniers balayant l’argument «écolo». «La durée de vie moyenne d’un sapin plastique est de trois ans. Or, il faudrait attendre 18 ans avant que son empreinte carbone rejoigne celle du sapin naturel», argumente Gérald de Wouters.

Sans compter que la probabilité qu’un sapin plastique provienne du Luxembourg est nulle…