Distinction – Suzanne Cotter a été faite Chevalier des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture en France.   (Photo: Edouard Olszewski)

Distinction – Suzanne Cotter a été faite Chevalier des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture en France.   (Photo: Edouard Olszewski)

Depuis le mois de janvier, Suzanne Cotter est la nouvelle directrice du Mudam. Australienne de naissance, passée par Londres, Oxford ou encore Porto, cette amoureuse de la création ambitionne de placer le Luxembourg sur la carte mondiale de l’art contemporain.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Lorsqu’on parle de collection, cela implique des réserves. C’est un point sensible aussi pour le Mudam. Vous aviez évoqué lors d’un  la possibilité de mutualiser des espaces avec d’autres musées. Où en êtes-vous de cette réflexion?

. – «C’est un grand espoir. Le gouvernement luxembourgeois est en dialogue avec tous les musées sur cette nécessité, car nous avons tous ce même besoin. Et mutualiser serait une bonne perspective. Une étape très positive a déjà été réalisée: l’État est en train de mettre en place MuseumPlus, qui est une base de données commune pour les inventaires des collections.

Nous allons tous pouvoir partager le même système. C’est déjà une forme de mutualisation des informations relatives aux collections muséales au Luxembourg. La création des réserves mutualisées pourrait prendre 5 à 10 ans. Entre-temps, nous menons un projet pour rationaliser des espaces de notre collection.

Nous devrions pouvoir bientôt annoncer quelque chose. Nous avons cette énorme responsabilité par rapport aux collections. C’est très bien de pouvoir les stocker, mais c’est encore mieux de pouvoir les montrer, dans le musée ou ailleurs. Mais à certains moments, il faut reposer les œuvres, et il y en a toujours de nouvelles.

Au niveau écologique, on a aussi une responsabilité, c’est une des grandes questions pour tous les musées du monde. Est-ce qu’on peut vraiment continuer à acquérir sans fin? Le Mudam étant un musée de taille plutôt modeste, on pourrait réfléchir à ça. La question de faire des achats chaque année n’est pas une question de quantité, mais de qualité et d’intérêt.

Si on arrive à attirer plus de personnes, on aura peut-être un système vertueux.

Suzanne CotterdirectriceMudam

Vous disiez tout à l’heure que les subventions publiques représentent 80% du budget et que vous aimeriez qu’elles augmentent. Le Mudam ne doit-il pas aussi développer ses propres recettes ou faire appel au secteur privé pour du mécénat ou du sponsoring? 

«Le musée l’a toujours fait. Car si l’État nous verse 80% du budget, il faut bien trouver les 20% restants! L’année dernière, la subvention publique se montait à 75%. Et sur les 25% complémentaires, seulement 5% provenaient du mécénat. Le reste vient de la billetterie, de la boutique, du café. Comme tous les musées, il y a tout un package pour générer des recettes.

Mais ce n’est pas toujours évident, car plus de la moitié des entrées au Mudam sont gratuites. Et parmi ceux qui paient, il n’y a qu’environ 25% qui achètent leur ticket à la billetterie, dont 8% sont à tarif réduit. Nous sommes en train d’étudier tous ces chiffres, mais j’estime qu’il est très important pour l’accessibilité du musée d’avoir la gratuité à certains moments. Actuellement les conférences sont gratuites, les moins de 21 ans ne paient pas, les écoles non plus… Du coup, la billetterie représente environ 2% du total de nos recettes. 

Si on arrive à attirer plus de personnes, on aura peut-être un système vertueux. Mais actuellement, on parle de pourcentages modestes. 

Il y a aussi beaucoup d’entreprises au Luxembourg. Êtes-vous allée à leur rencontre?

«Je suis en train de le faire. Certaines font partie de nos mécènes, mais d’autres ont des politiques qui touchent à d’autres secteurs que le nôtre, comme le sport, le social ou l’éducation… Beaucoup s’intéressent au Mudam, car elles voient dans le musée un lieu phare pour le Luxembourg et veulent être associées à cette image.

Mon désir est que ce mécénat soit une association de valeur autour de ce que le Mudam représente: c’est un lieu d’art, de culture, de pédagogie, qui est lié à la société. Des entreprises pourraient nous aider à ouvrir le musée à travers des expositions plus ambitieuses, des donations ou des contributions liées aux acquisitions.

  (Photo: Edouard Olszewski)

  (Photo: Edouard Olszewski)

D’autres musées dans le monde font parfois sponsoriser des expositions ou des salles entières... C’est envisageable au Luxembourg?

«Nous n’y sommes pas. On en trouve surtout dans les pays anglo-saxons dans le cadre de ce qu’on appelle 'les projets capitaux'. Pour le Mudam, plutôt que de donner à une salle le nom d’une entreprise, je préfère qu’on reconnaisse l’importance du mécénat autrement. C’est un moyen de renforcer la visibilité de certaines activités à travers les clients ou ceux qui sont associés à cette entreprise mécène. Le mécénat peut aussi se faire à travers un soutien individuel, ou des fondations, comme c’est déjà le cas avec la Fondation Leir. 

Le Mudam est une fondation de droit privé. Est-ce que le transformer en établissement public pourrait être intéressant selon vous?

«Il y a eu des raisons historiques pour que ce soit une fondation privée, mais nous sommes le musée national d’art contemporain. Je n’envisage pas de revoir les statuts.

Est-ce qu’il y a de grands collectionneurs au Luxembourg?

«Il y a une belle culture de collectionneurs au Luxembourg, avec beaucoup de personnes qui aiment vraiment l’art et qui ne collectionnent pas pour la spéculation. Mais ils ne montrent jamais tout ce qu’ils ont. J’aimerais que, parmi nos différents publics, le Mudam soit aussi un lieu pour les accueillir.

La question du développement des publics est primordiale. Comment comptez-vous vous y prendre? 

«Nous avons commencé avec un travail plus fort sur les médias sociaux. En premier lieu, il faut arriver à toucher les publics. Avant, on faisait une programmation très intéressante, mais sans forcément arriver à toucher beaucoup de monde. Avec cette nouvelle stratégie de communication, on commence déjà à voir une différence.

La programmation doit se lier aussi à d’autres activités sur le calendrier au niveau local, mais aussi international, comme la Nuit des musées, le Mois de la photographie… Enfin, nous devons aussi sortir du musée pour aller directement à la rencontre du public. On ne peut pas rester dans notre citadelle, en pensant que tout le monde viendra vers nous.

J’aimerais aussi travailler avec les écoles des beaux-arts qui se trouvent autour de nous.

Suzanne CotterdirectriceMudam

Comment se concrétisera cette politique de musée hors les murs?

«À travers des projets ponctuels, mais aussi à travers l’éducation et les écoles par exemple. Dès que le nouveau gouvernement sera installé, j’irai discuter avec le ministère de l’Éducation pour savoir comment mieux travailler ensemble. Idem avec l’Université. J’aimerais aussi travailler avec les écoles des beaux-arts qui se trouvent autour de nous, comme nous venons de le faire à l’occasion de l’exposition Jeff Wall avec les écoles de Metz et de Nancy. Car les jeunes artistes sont parmi les publics qui sont essentiels pour les musées.

Développerez-vous des programmes de résidence pour les jeunes artistes? 

«En tant que musée, établir un programme de résidence soutenu n’est pas notre priorité. Ceci ne nous empêche pas d’avoir des projets de résidence avec certains artistes pour des projets spécifiques. 

Pour attirer davantage, faut-il des expositions plus «grand public»?

«Je voudrais une certaine ouverture, mais je dois tester un peu, car un artiste qui est très connu du milieu de l’art ne l’est pas nécessairement du grand public. Mon ambition est de faire venir des grands noms au Luxembourg.

Par exemple?

«Je ne peux pas encore vous le dire, car je suis en train de travailler sur la programmation future. Si on y arrive une fois par an ou tous les deux ans, c’est déjà formidable, car faire venir de grands noms demande un budget important. J’espère qu’il y aura quelques belles surprises en 2020. Mais il faut aussi être conscient que les artistes qui sont en train d’entrer dans l’histoire travaillent beaucoup, donc la préparation d’une exposition avec eux prend deux, trois, quatre ans.

Cette idée de temporalité est importante à prendre en compte, tout comme le fait qu’un programme ne s’arrête pas en janvier pour recommencer ensuite. C’est un travail continu. Nous sommes déjà par exemple en train de travailler sur la programmation pour 2021 et les 15 ans de l’ouverture du Mudam.

Il y a ici une attente de voir venir au Luxembourg quelques grands noms. Mais notre responsabilité est aussi de sensibiliser les gens à l’art contemporain. Or, les artistes qui sont moins connus aujourd’hui peuvent très bien devenir les stars de demain. Nous avons donc un rôle important pour contribuer à une culture d’anticipation. Je voudrais que le Mudam soit considéré comme un musée de premier plan, à jour par rapport à l’actualité. Cela pourrait devenir un point de fierté pour la population. 

Un des moyens d’y parvenir, c’est aussi de travailler en collaboration avec d’autres institutions... 

«Absolument. L’économie du musée ne permet pas de monter des projets ambitieux sans collaboration. C’est pour cela que l’année prochaine, nous travaillerons entre autres avec le Whitney Museum of American Art de New York, le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia de Madrid ou le K20 de Düsseldorf. J’apporte aussi le réseau et l’expérience que j’ai pu acquérir au cours de mon parcours international, ainsi qu’une connaissance des musées et des directeurs. Le Mudam doit trouver des institutions qui pourraient être des institutions sœurs.

  (Photo: Edouard Olszewski)

  (Photo: Edouard Olszewski)

Il y a en a une, pas très loin d’ici... le Centre Pompidou-Metz. Pour le Mudam, c’est un concurrent ou un partenaire?

«Un partenaire, pas du tout un concurrent! J’ai justement proposé qu’Emma Lavigne, sa directrice, et moi-même soyons en dialogue pour la conférence de Luxembourg Art Week. Il y a des moments où nous avons un travail similaire, mais aussi des différences, car c’est un satellite de Beaubourg avec une programmation qui est liée à cette collection. Mais Emma Lavigne est une personne que j’admire énormément, elle a un dynamisme et une intelligence qui sont exceptionnels. Notre espoir est de pouvoir travailler ensemble.

Au-delà de votre travail quotidien au Mudam, avez-vous encore le temps de visiter des ateliers d’artistes, de vous rendre à des expositions? 

«C’est toujours difficile, et c’est pour cela que nous avons des curateurs qui s’en occupent. J’essaie aussi de renforcer notre équipe avec des commissaires plus jeunes, car le regard sur la création contemporaine change aussi de perspective selon les générations. Mais je reste particulièrement active, je voyage beaucoup, je visite beaucoup, je lis beaucoup.

Le fait d’avoir été à Londres pendant une vingtaine d’années m’a permis d’accompagner le travail de plusieurs artistes, tout comme le fait d’avoir travaillé à New York ou dans le monde lusophone. J’ai vu le développement de leurs œuvres. Mon regard a acquis une certaine maturité qui me permet d’identifier la nouveauté, mais en même temps je m’appuie aussi sur l’intelligence collective de l’équipe, car il faut avoir confiance dans le regard des autres. 

Quel regard portez-vous sur les artistes luxembourgeois?

«Vu le nombre d’artistes qui sont venus à notre fête des artistes en juin dernier, il y en a beaucoup, mais la plupart ne vivent pas ici. Les artistes luxembourgeois sont très cosmopolites. Il y en a de tous les âges, de grande ambition, qui travaillent avec finesse. Je suis en train d’apprendre, avec l’aide de collègues, je fais quelques visites d’ateliers. C’est pour moi un apprentissage passionnant!»