L’étude «Taxshift» propose d’augmenter le taux standard de TVA à 22% et le taux réduit à 12%. Contre respectivement 17% et 8% au Luxembourg (hors mesures face à l’inflation). (Photo: Shutterstock)

L’étude «Taxshift» propose d’augmenter le taux standard de TVA à 22% et le taux réduit à 12%. Contre respectivement 17% et 8% au Luxembourg (hors mesures face à l’inflation). (Photo: Shutterstock)

Hausse de la TVA d’un côté, baisse des impôts sur les salaires de l’autre… Le Nohaltegkeetsrot (Conseil supérieur pour un développement durable) liste 20 mesures de «rééquilibrage fiscal», à budget égal, pour davantage taxer la pollution.

Taxer autant pour gagner autant… mais autrement. Le Conseil supérieur pour un développement durable, ou Nohaltegkeetsrot, a présenté ce jeudi 20 juillet les résultats de l’étude «Taxshift» Luxembourg. Menée pour chaque pays européen par le cabinet Cambridge Econometrics en 2021, elle a été adaptée au Luxembourg avec l’aide du Statec.

L’objectif: élaborer des plans nationaux de «rééquilibrage fiscal». Le but n’est ni d’augmenter ni de diminuer les taxes, mais, à budget égal, de les réorienter vers les activités les plus polluantes, afin d’encourager les comportements durables. Au Luxembourg, on parle de 2,086 milliards d’euros ainsi redistribués par an.

Pour ce faire, l’étude propose de moins taxer les travailleurs. Ils récupéreraient 851 millions d’euros grâce à une réduction de l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales. 401 millions d’euros supplémentaires reviendraient dans les poches des ménages aux revenus les plus faibles grâce à un crédit d’impôt . En outre, les entreprises économiseraient 834 millions d’euros via différents crédits d’impôt liés à leur masse salariale, à leurs augmentations d’effectif, à leur impact social et à leurs investissements dans la formation et dans l’innovation circulaire.

En contrepartie, une taxe kilométrique, variable selon le type de véhicule et ciblant les plus polluants, permettrait à l’État de récupérer 386,5 millions d’euros de recettes fiscales. Une hausse de la TVA rapporterait de son côté 977 millions d’euros. D’autres taxes viseraient le transport aérien (394,5 millions d’euros), l’utilisation des ressources (30 millions d’euros, dont 21 millions dus à une hausse de 25% du coût de l’eau), le tabac (55 millions d’euros) et les émissions polluantes de différentes industries (243 millions d’euros).

Les taxes sur les véhicules et sur l’aviation ont été arrondies vers le haut dans le tableau de droite, d’où un résultat supérieur à 2,086 milliards d’euros. (Capture d’écran: rapport du Nohaltegkeetsrot)

Les taxes sur les véhicules et sur l’aviation ont été arrondies vers le haut dans le tableau de droite, d’où un résultat supérieur à 2,086 milliards d’euros. (Capture d’écran: rapport du Nohaltegkeetsrot)

Changer les comportements

Rendre du pouvoir d’achat aux ménages d’un côté, pour leur en reprendre de l’autre, n’est-ce pas contradictoire? «Si on limite notre action à augmenter la TVA et donner des crédits d’impôt, on n’a rien changé», admet le président du Nohaltegkeetsrot, . «Mais dans le détail, on améliore l’utilisation des ressources en augmentant le prix du kérosène (à charge des entreprises, qui pourront ensuite le répercuter sur leurs prix, ndlr). On essaie de changer le comportement du consommateur pour favoriser la location, la seconde main, la réparation…»

Dans le détail, le rapport préconise de passer le taux de TVA standard à 22% () et celui réduit à 12% (contre 7% en 2023, 8% en temps normal). Ses auteurs y voient notamment une «désincitation au gaspillage de produits, matériaux et nourriture».

«Il faut revenir sur les objectifs de l’étude», complète Romain Poulles. «Rendre les entreprises plus compétitives, le marché de l’emploi plus résilient, diminuer ou annuler la destruction des ressources non renouvelables et réduire les inégalités sociales.» Pour y arriver, «il faut un autre système économique». Le Luxembourg «est avant-dernier en matière de taxation des pollutions», rappelle-t-il. Il arrive même dernier des pays européens avec 3,64% de ses recettes fiscales issues de taxes «vertes» comme

Des grands principes

Le plan veut diminuer les inégalités, pourtant, ce sont souvent les ménages les plus pauvres qui n’ont pas les moyens d’investir dans des véhicules moins polluants. Sur ce point, Romain Poulles relève que l’étude prévoit 185 millions d’euros d’investissements supplémentaires dans la mobilité douce, y compris les transports en commun. Si cela peut paraître peu à côté des, le président du Conseil pour le développement durable rappelle que tout ne va pas dans le ferroviaire (799,7 millions d’euros sont dédiés aux frais d’exploitation des transports en commun gratuits et 524,11 millions d’euros dans le réseau ferré national et sa maintenance, plus 14,537 millions d’euros pour le sillon lorrain).

Il y a beaucoup d’éléments de ce shift que nous ne pouvons pas faire seuls.
Romain Poulles

Romain PoullesprésidentNohaltegkeetsrot

Au sujet de la taxe sur le kérosène, qui risque de pénaliser les entreprises nationales par rapport à des compagnies low cost basées hors du Luxembourg, «cette règle serait la même dans tous les pays», espère Romain Poulles, puisqu’il s’agit de recommandations européennes. «Il y a beaucoup d’éléments de ce shift que nous ne pouvons pas faire seuls.»

Il ajoute que le document vise surtout à énoncer des «principes». «Nous avons un consensus sur le fait qu’il n’est pas normal que la pollution ne soit quasiment pas axée, par rapport au travail, et qu’il faut faire ce transfert. On pourra réajuster les détails après.»

Un projet européen

En introduisant les mesures de manière progressive durant cinq ans, 7,3 milliards d’euros de recettes fiscales seraient finalement redistribués, calculent les experts à l’origine du rapport. Ceci avec un impact «neutre voir positif» sur l’économie: une hausse de 0,5% du PIB et de 1,4% de l’emploi par rapport à 2021. Et surtout une réduction de 3,8 millions de tonnes d’émissions de CO2 et l’épargne de 500 millions d’euros sur la facture d’importation d’énergie.

Une utopie, c’est toujours impossible tant qu’on ne l’a pas fait.
Romain Poulles

Romain PoullesprésidentNohaltegkeetsrot

Le document du Nohaltegkeetsrot projette ces chiffres pour 2025, en imaginant que les mesures auraient été mises en place en 2021, année de l’étude. «Les données n’ont pas fondamentalement changé, on pourrait dire à peu près la même chose, en commençant en 2023, pour 2028», commente Romain Poulles.

Interrogé sur le caractère utopique de la mise en place d’un tel «shift» de la fiscalité dans l’ensemble de l’Union européenne, Romain Poulles rétorque: «On peut être celui qui freine, on peut être celui qui est neutre, ou on peut être celui qui est précurseur et actif. Une utopie, c’est toujours impossible tant qu’on ne l’a pas fait.»

Le Nohaltegkeetsrot a déjà commencé à présenter son document aux différents partis politiques. «Notre ambition est qu’on se mette d’accord, en 2024, sur les grands principes. Pour ensuite travailler sur les détails de l’implémentation». Une mission pour la prochaine législature.