Corinne Cahen: «Notre pays a d’énormes défis devant lui. Dès que je sors dans la rue, ils m’apparaissent. Mais l’un des plus importants, à mes yeux, reste celui du vivre-ensemble.»  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Corinne Cahen: «Notre pays a d’énormes défis devant lui. Dès que je sors dans la rue, ils m’apparaissent. Mais l’un des plus importants, à mes yeux, reste celui du vivre-ensemble.»  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l’Intégration, a accordé une longue interview à Paperjam. Pour évoquer notamment son bilan et son avenir. En voici le second volet.

Vous avez annoncé ne plus désirer rester présidente de votre parti et ne pas postuler à un nouveau mandat à la tête du ministère qui est le vôtre. Qu’avez-vous envie de faire aujourd’hui?

. – «Plein de choses! Je déborde d’idées. Mais ce qui me tient le plus à cœur, comme je vous le disais, c’est terminer le travail commencé au ministère de la Famille et de l’Intégration.

Notre pays a d’énormes défis devant lui. Dès que je sors dans la rue, ils m’apparaissent. Mais l’un des plus importants, à mes yeux, reste celui du vivre-ensemble. 58% de la population n’a pas la nationalité luxembourgeoise. Ce que nous réalisons au niveau du ministère de la Famille et de l’Intégration est quelque chose d’essentiel.

Ce vivre-ensemble fait partie des causes qui me font vibrer, à côté de la work-life balance – je constate d’ailleurs avec fierté que, désormais, plus de papas que de mamans prennent le congé parental –, de la lutte contre la pauvreté, des personnes âgées et du handicap. Concernant ce dernier, je constate que nous avons voté une loi concernant l’accessibilité… dont personne n’a parlé. Dans 10 ans, notre pays sera complètement accessible à tout le monde. On parle évidemment d’accessibilité en fauteuil roulant, mais aussi de celle pour les malvoyants, les malentendants, etc. Et c’est passé inaperçu. Sans doute parce que l’entrée en vigueur n’est pas pour tout de suite.

Quand on entend votre motivation pour ce ministère, on en vient à se dire que tenter de mettre en place des solutions pour tout ce que vous évoquez pourrait tout de même vous pousser vers un troisième mandat, non?

«Non. Je vais vous raconter une petite histoire pour que vous compreniez. Après avoir été élue députée en 2013, j’ai reçu un soir un coup de téléphone de , pour me dire que j’allais devenir membre du gouvernement. Je l’en ai remercié, avant de lui demander à quel portefeuille il pensait pour moi. Et là, il m’en a cité quelques-uns… qui ne m’intéressaient vraiment pas. Ce que je lui ai signifié. Il m’a laissé jusqu’au lendemain pour réfléchir. Du coup, j’ai passé ma nuit à regarder l’annuaire, histoire de me faire une idée des différents ministères. Je ne connaissais pas bien le fonctionnement de l’État à l’époque et les attributions de chacun. Jusque-là, j’avais eu le plus souvent affaire au ministère des Classes moyennes et celui-là, je savais que je n’en voulais pas (elle sourit, ndlr).

Ce qui me plaisait, c’est ce dont je parlais: la work-life balance, la pauvreté, le handicap, les personnes âgées, etc. Le lendemain, je suis donc allée voir Xavier en lui expliquant que le ministère de la Famille me plaisait, que je pouvais y réaliser les projets que j’avais en tête. Or, aujourd’hui, je constate que mon programme, c’est-à-dire les améliorations que je considérais comme nécessaires, est presque bouclé. Je n’ai jamais compris les gens qui acceptent un ministère parce qu’ils veulent juste être ministres… Ici, on aura réalisé énormément de choses en 10 ans, aidé beaucoup de gens. Je pourrai considérer que ma mission sera accomplie.

Je n’ai jamais compris les gens qui acceptent un ministère parce qu’ils veulent juste être ministres…
Corinne Cahen

Corinne Cahenministre de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région,  présidente du DP

On comprend que, dans le futur, vous n’accepterez donc pas n’importe quel autre poste de ministre. Concrètement, quel ministère vous attire?

«Celui du Travail. Je le trouve ‘sexy’, parce qu’il y a beaucoup de choses à réformer. Comme le temps de travail, faire en sorte que la population puisse mieux organiser sa vie, etc.

Au ministère de la Famille et de l’Intégration, vous avez été exposée à de dures critiques. L’opposition a demandé deux fois votre démission il y a un peu plus d’un an en raison de . Comment avez-vous vécu cette période?

«C’était difficile. Parce que nous avons tous travaillé comme des fous… tout en ne communiquant peut-être pas assez. C’est en tout cas ce qu’on nous a reproché. En même temps, je ne trouvais pas qu’en plein milieu d’une grave crise sanitaire c’était à moi de le faire. C’était plutôt au ministère de la Santé, et il l’a fait. Après, il y a quand même eu pas mal de communication en interne, mais il est vrai que je ne me suis pas vraiment mise en scène sur les réseaux sociaux pour le montrer via des ‘stories’ ou des 'posts’…

Je tiens aussi à ajouter qu’il est toujours facile de critiquer. Mais qu’il serait aussi facile de regarder les statistiques. Même si chaque mort est un mort de trop – et je le sais d’autant mieux que mon papa est décédé –, quand on compare nos chiffres à ceux disponibles à l’étranger, personne ne peut dire que nous avons moins bien travaillé. Globalement, nous avons bien protégé les gens.

Pour l’instant, chez nous, Orpea n’a pas touché un centime.
Corinne Cahen

Corinne Cahenministre de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région,  présidente du DP

On sait qu’Orpea, un des leaders mondiaux dans le domaine de l’hébergement des personnes âgées, a demandé un agrément pour s’installer au Luxembourg. Où en est-on?

«Ils ont une maison qui est prête, à Merl. Et ils en construisent une deuxième, du côté de Strassen, je pense. , pour la première, est en cours. La réponse ne devrait plus tarder…

J’ai lu le livre-enquête qui a fait scandale, ‘Les Fossoyeurs’ du journaliste Victor Castanet. Mon cœur a saigné en le lisant. Si seulement un tiers de ce qui est écrit est vrai, c’est déjà horrible!

C’est vous qui aurez la signature finale pour cette demande d’agrément…

«Oui, mais je dois m’en tenir à la loi. Ce n’est pas parce qu’une personne ne me plaît pas que je peux faire ce que je veux. . Je comprends qu’un mauvais sentiment accompagne leur demande. Mais celui-ci va sans doute pousser à davantage de vigilance.

On a pu voir dans cette affaire à quel point la surveillance des établissements peut être complexe à mettre en place…

«Au Luxembourg, une fois qu’un agrément est donné, cela nous apporte . Tant au niveau du ministère de la Famille que de l’assurance dépendance. Depuis la crise sanitaire, nous collaborons encore plus étroitement. Si une réclamation est déposée ou si l’assurance dépendance détecte, dans les statistiques, des signes de maltraitance, nous nous rendons sur place. Sinon, nous y allons d’office au moins une fois par an. Et puis, nous avons également une nouvelle loi – qui vient de nous revenir du Conseil d’État – qui nous apportera beaucoup de moyens de contrôle. Tout sera encore plus strict.

Après, en France, on reproche aussi à Orpea d’avoir augmenté ses bénéfices en embauchant moins de soignants que ce que lui permettent les dotations publiques allouées dans ce but. Le groupe a donc réalisé des bénéfices grâce à l’argent public. Or, à ce niveau-là, il me faut dire que, pour l’instant, chez nous, il n’a pas touché un centime.»

a été publiée ce samedi sur le site paperjam.lu.