Afin de garantir sa souveraineté stratégique, l’Europe doit être capable d’imposer ses normes en dehors de ses frontières. (Photo: Shutterstock)

Afin de garantir sa souveraineté stratégique, l’Europe doit être capable d’imposer ses normes en dehors de ses frontières. (Photo: Shutterstock)

Au moment où l’intégrité du voisinage européen est menacée, la souveraineté stratégique reprend toute son importance. Afin de devenir une réalité au-delà du simple discours politique, la souveraineté stratégique européenne nécessite des investissements publics – mais surtout privés – dans les écosystèmes-clés de demain qui devraient rapporter gros.

Longtemps laissée de côté par le débat public, la souveraineté stratégique européenne revient peu à peu sur le devant de la scène. Fervent défenseur de cette vision, le président français Emmanuel Macron profite d’ailleurs de la présidence française de l’Union européenne pour tenter de remettre le concept de souveraineté stratégique en odeur de sainteté auprès de ses confrères des autres États membres. La souveraineté européenne ambitionnée par la France comprend, entre autres, une réforme ambitieuse dans les domaines de l’économie et de la défense.

La Commission européenne a publié ce 15 février une note sur la défense européenne à l’intention du Conseil et du Parlement. Dans ce document, la Commission alerte sur l’Union européenne qui fait face à une instabilité globale et à des tensions géopolitiques croissantes.

Le concept de souveraineté stratégique va bien au-delà des questions de sécurité et de défense.
Pierre Blanchet

Pierre Blanchethead of investment intelligenceAmundi Asset Management

Prenant l’exemple du dossier ukrainien, l’exécutif européen note que «les conflits et les crises dans notre voisinage et au-delà ont une incidence directe sur notre propre sécurité, tandis que nos sociétés et nos économies sont la cible de menaces hybrides sophistiquées, notamment de cyberattaques et de campagnes de désinformation provenant de l’étranger». À cela, la crise climatique et la perte de biodiversité rajoutent des défis pour la sécurité mondiale en général, explique la Commission, qui rappelle que «les menaces qui pèsent sur la sécurité de l’UE ne sont pas seulement de nature militaire».

137 biens essentiels dépendant de l’étranger

Pour sa part, Pierre Blanchet, head of investment intelligence chez Amundi Asset Management, explique également que «le concept de souveraineté stratégique va bien au-delà des questions de sécurité et de défense». Indiquant que ce concept nécessite une autosuffisance, il souligne qu’il s’agit d’un objectif politique devant être fondé à la fois sur la réalité économique et sur une nouvelle dynamique d’investissement. «L’Union européenne est encore loin d’y parvenir», relativise-t-il.

Plus particulièrement au cours des confinements des deux dernières années, les opérateurs économiques ont pris plus que jamais conscience de l’importance de la souveraineté stratégique à cause des ruptures d’approvisionnement de marchandises qui en ont découlé. Citant un rapport de la Commission européenne publié en mai 2021, Pierre Blanchet souligne qu’il y a 137 biens essentiels dont les Européens dépendent en partie ou entièrement de pays tiers. C’est par exemple le cas de nombreuses matières premières, des énergies fossiles, de composants électroniques et de médicaments.

Bien que la transition énergétique en cours devrait permettre de pallier la dépendance des énergies fossiles, ses besoins croissants en terres rares, métaux et cellules photovoltaïques ne feront qu’augmenter la dépendance de l’Europe à la Chine. Malgré tout, Pierre Blanchet se montre optimiste: «Les contraintes géologiques sont difficiles à contourner, mais la production de biens industriels en Europe, associée à une plus grande diversification des fournisseurs, contribuerait à rendre le continent autonome.» Pour autant, ce n’est pas demain que l’Europe pourra atteindre sa pleine indépendance: «Cela nécessitera des milliards d’euros d’investissement sur plusieurs décennies. (…) Et le rendement du capital investi des entreprises européennes n’a cessé de chuter depuis la crise financière.»

La guerre des normes

Au-delà des investissements stratégiques, la capacité d’imposer les standards européens dans le monde revêt une importance capitale. «Si en temps de paix, la guerre est de nature commerciale, alors les normes et les règlements sont ses armes de prédilection», note Pierre Blanchet, prenant l’exemple de la guerre économique menée par les États-Unis contre la Chine en l’accusant de ne pas appliquer ses règles établies au cours des 30 dernières années. Quant à elle, la Chine revendique son droit à appliquer ses propres normes.

Bien que la capacité de l’Union européenne à édicter des normes reste parfois controversée, le head of investment intelligence d’Amundi estime qu’elle compte déjà quelques réussites à son actif, telles le règlement général sur la protection des données (RGPD) ou la taxonomie verte. «L’Europe assurera son autonomie si elle parvient à imposer ses propres règles qui orienteront les 200 à 300 milliards d’euros d’investissement nécessaires chaque année.»

Pour devenir une réalité politique, la souveraineté stratégique européenne doit être une opportunité d’investissement. Il faudra pour cela que les retours sur investissements soient attractifs et au moins égaux à ceux proposés dans les autres grandes régions.
Pierre Blanchet

Pierre Blanchethead of investment intelligenceAmundi Asset Management

Pour faire en sorte que la souveraineté européenne se concrétise, le verdict de Pierre Blanchet est sans appel: «Pour devenir une réalité politique, la souveraineté stratégique européenne doit être une opportunité d’investissement. Il faudra pour cela que les retours sur investissements soient attractifs et au moins égaux à ceux proposés dans les autres grandes régions.» Pour ce faire, le renforcement des chaînes de valeur et des écosystèmes dans les segments qui assureront la souveraineté de demain en constitue la pierre d’achoppement. Pour n’en citer que quelques-uns, il s’agit par exemple de l’intelligence artificielle, la cybersécurité, l’e-commerce, le cloud, l’internet des objets (IoT), la mobilité verte, l’hydrogène et les équipements médicaux avancés. Ces segments économiques offrent des rendements du capital investi supérieurs à la moyenne européenne des 10 dernières années. «Les fonds publics montreront la voie, mais ne suffiront pas à répondre à tous les besoins en capitaux propres», soulève Pierre Blanchet. Pour poursuivre la voie, l’investissement privé sera capital.

Cet article est issu de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous bimensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.