Georg Joucken, head of private banking au sein de Banque Raiffeisen, sur l’arrivée des millennials sur le marché des investissements et les tendances qui s’en dégagent. (Illustration: Marielle Voisin. Photo: Raiffeisen)

Georg Joucken, head of private banking au sein de Banque Raiffeisen, sur l’arrivée des millennials sur le marché des investissements et les tendances qui s’en dégagent. (Illustration: Marielle Voisin. Photo: Raiffeisen)

En 2025, 75% des actifs à investir seront détenus par les millennials, ces personnes nées entre 1980 et 2000. Quelle légitimité la banque privée a-t-elle encore aujourd’hui face aux besoins de cette nouvelle clientèle exigeante et dans un cadre de marchés de plus en plus concurrentiel?

C’est le transfert de fortune intergénérationnel le plus important de l’Histoire qui est en train de se jouer sous nos yeux. Les baby-­boomers, nés entre 1946 et 1964, s’apprêtent en effet à léguer à la génération future, celle des millennials, la richesse accumulée durant cette période dorée du capitalisme. Cette «nouvelle génération», qui concentre à elle seule plus de la moitié des actifs à investir, détiendra, d’ici 2025, 75% de cette richesse. Neuf millionnaires sur 10 seront issus de cette génération Y, celle des millennials. D’ici moins de 25 ans, 36.000 milliards de dollars pourraient ainsi passer d’une génération à l’autre.

Pour la banque privée, l’enjeu est donc de taille: il faut parvenir à attirer, mais aussi à fidéliser, cette nouvelle clientèle, toujours attentive à la rentabilité de ses investissements, mais aussi plus exigeante et exprimant de nouveaux besoins en termes de gestion financière. «Nous savons, par exemple, que 90% des millennials consultent leur smartphone dans les 15 minutes qui suivent leur réveil. Ou que 88% d’entre eux effectuent leurs opérations bancaires en ligne. Dans ce contexte, l’un des plus grands défis qui se posent à nous est de reconsidérer l’approche utilisée jusqu’à présent avec la génération de leurs parents», explique Georg Joucken, head of private banking au sein de Banque Raiffeisen. «Tout l’enjeu est d’être capable d’entrer en interaction avec cette nouvelle génération qui a de nouvelles attentes et préoccupations, puis de l’intéresser. Il faut leur proposer de nouveaux canaux de communication et adapter l’offre de produits et services, tout en tenant compte du fait qu’ils ont une certaine défiance vis-à-vis de certaines institutions. Concernant les questions financières, ils sont sans doute la génération la moins expérimentée. Mais ils accordent néanmoins beaucoup de confiance à la technologie qui les accompagne tout au long de leur journée. Il est donc impératif de leur proposer non seulement des produits financiers adaptés à leurs attentes, mais aussi des conseils personnalisés ainsi que des outils et des canaux de communication qui leur correspondent.»

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Georg Joucken

Georg Jouckenhead of private bankingbanque Raiffeisen

Une génération plus digitale

La next gen’ est une génération bien ancrée dans son époque. Une époque où tout va très vite et où les nouvelles préoccupations environnementales et sociales occupent une place prépondérante, particulièrement lorsqu’il est question d’investir de l’argent. Elle se démarque également par sa forte appétence pour les nouvelles technologies et le digital, avec lesquels elle a grandi. «Le digital constitue d’ailleurs un moyen de créer une proximité avec la next gen’. Il faut aussi garder en mémoire le fait que les millennials ont souvent constitué leur patrimoine d’une manière et à une vitesse différentes de celles des générations précédentes», explique Georg Joucken. L’étude Wealth and Asset Management 4.0, commanditée par Deloitte, illustre cette nouvelle réalité à laquelle est soumis le secteur de la banque privée. 40% des investisseurs qui ont répondu à cette enquête pointent ainsi l’accès au numérique comme une priorité plus importante. Interrogés sur leur canal de communication préféré à l’avenir, neuf millennials sur 10 ont également affirmé que ce sera le smartphone.

Dans ce contexte, il est essentiel pour les banques d’adapter leur offre afin de répondre à ces nouvelles attentes. «C’est la raison pour laquelle, au sein de Banque Raiffeisen, nous offrons des produits et services tels que ­Payconiq (application sécurisée permettant de transférer de l’argent, payer en ligne, s’acquitter du paiement de factures, payer dans les commerces et restaurants via son smartphone, ndlr), Luxtrust Mobile (solution gratuite et pra­tique permettant de réaliser des démarches online via son smartphone, ndlr), la gestion courante de son compte bancaire via R-Net, etc.», détaille Georg Joucken, qui précise que, malgré ces innovations technologiques et ces nouveaux services sécurisés, Banque Raiffeisen reste fidèle à sa philosophie de banque ­coopérative à caractère humain.

Le rôle éducationnel de la banque

Une autre tendance de la next gen’ est qu’elle est composée d’investisseurs peu expérimentés qui conservent en moyenne 52% de leur épargne en espèces (contre 23% pour les autres groupes d’âge). «Pour nous, il est donc important de fournir plus que des produits financiers, mais aussi de participer à l’éducation financière des jeunes clients concernant les stratégies d’investissement et de planification qui leur correspondent. Nous insistons dès lors sur l’accompagnement que nous pouvons leur offrir aux moments clés de leur vie, ainsi que sur la transparence de nos produits et services. Ainsi, nous ne proposons que des services et produits qui permettent une bonne diversification des avoirs», explique le head of private banking de Banque Raiffeisen, qui multiplie les initiatives pour sensibiliser et former les jeunes, le plus tôt possible, aux subtilités et à l’importance de l’investissement. «Par exemple, nous participons à ­l’­ABBL Moneyweek, qui vise à sensibiliser les jeunes à l’école. Nous prenons part à des ‘job and ­study days’ et nous organisons des stages et des présentations dans les écoles. En complément, nous diversifions nos canaux de communication, notamment via les différents réseaux sociaux, afin de nous connecter à un public plus jeune et plus large. Nous accordons une grande importance au conseil en placement personnalisé. Actuellement, notre portefeuille d’investissement évolue progressivement vers la durabilité et l’investissement responsable, ce qui répond également aux attentes des millennials», explique Georg Joucken, qui souligne l’importance d’investir avant tout en fonction du profil de risque et selon les préférences durables de chaque investisseur, quel que soit son âge.

Plus d’appétit pour l’ESG, vraiment?

Si la recherche de rendement reste évidemment l’une des priorités pour la nouvelle génération, désormais, celle-ci ne se fait plus à n’importe quel prix. «Les investisseurs de la next gen’ sont également à la recherche d’investissements qui ont un impact», assure Georg Joucken. Toutefois, contrairement aux idées reçues, si l’on en croit l’enquête Wealth and Asset Management 4.0, investir pour le bien social ou environnemental n’est pas l’apanage des millennials. En effet, 32% des baby-­boomers interrogés prévoient d’investir prochainement dans des fonds ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) et 32% dans des produits dits durables, contre respectivement 22% et 10% des millennials. «À travers nos valeurs et les investissements que nous proposons à nos clients, nous mettons un accent sur une démarche citoyenne et responsable en faveur de la lutte contre les inégalités sociales et le changement climatique. Nous tenons à sensibiliser les clients à notre approche ESG via nos campagnes de communication, telles que ‘Investir de manière durable, c’est bien investir’, ainsi qu’une série de mini-conférences sur la finance responsable. Nous souhaitons nous profiler comme un acteur de référence de la finance durable via nos conseillers également, qui abordent le sujet ESG avec les investisseurs», explique Georg Joucken.

La concurrence des Gafa

Face à l’émergence de nouvelles technologies – telles que la blockchain, le traitement automatique du langage naturel (NLP, en anglais) ou le machine learning – et de nouveaux services – comme les robo-advisors – ainsi que l’intérêt grandissant de la nouvelle génération envers ceux-ci, le secteur des services bancaires voit débarquer sur le marché de nouveaux concurrents, principalement issus du secteur des fintech.

Forts de leurs ressources financières et technologiques sans égales, les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) se positionnent eux aussi de plus en plus sur le marché des services financiers. De quoi faire trembler les gestionnaires de fortune à travers le monde? «Nous voyons que cette jeune génération cherche à gagner de l’argent rapidement, sans toujours être consciente des risques pris.» Vivant constamment avec les nouvelles technologies de communication, ils sont 73% à faire davantage confiance à Google, Apple et Amazon parce qu’ils communiquent davantage avec leur assistant vocal plutôt qu’avec leur banque pour leurs questions d’ordre financier. «Mais c’est aventureux, voire dangereux», met en garde Georg Joucken. «Faire aveuglément confiance aux résultats d’un moteur de recherche peut avoir des conséquences potentiellement néfastes. Une recommandation d’investissement faite par des youtubeurs/influenceurs ne connaissant pas le profil de risque de l’investisseur peut difficilement remplacer l’expérience, la connaissance et les recommandations d’un banquier».

Pour le chef du département Banque ­Privée chez Banque Raiffeisen, la véritable plus-­value du secteur réside dans la personnalisation de l’expérience client aux moments clés de la vie de celui-ci et dans l’approche holistique des conseils qui lui sont prodigués. «Cela reste la clé du succès en matière d’investissement», rappelle-t-il.

Une recommandation d’investissement faite par un youtubeur peut difficilement remplacer l’expérience, la connaissance et les recommandations d’un banquier.
Georg Joucken

Georg Jouckenhead of private bankingbanque Raiffeisen

Un retard impossible à combler?

La next gen’ est une génération qui va vite et qui veut obtenir des résultats tout aussi rapidement. Dans ce contexte, de nombreux observateurs estiment que le secteur connaît un certain retard technologique – partiellement comblé par la pandémie – et que de nombreux clients ne se retrouvent plus aujourd’hui dans les services proposés par leur banque privée. De plus en plus d’investisseurs de la génération Y, très soucieux de leur autonomie, se disent même prêts à se passer complètement des services d’une banque privée pour la gestion de leurs actifs. LendEdu, une plateforme américaine qui compare des produits financiers pour les consommateurs, a interrogé plus de 500 jeunes investisseurs âgés de 18 à 34 ans afin de connaître leurs attentes vis-à-vis de leur conseiller financier ou de leur robot-conseiller. Dans cette étude parue l’an passé, il ressort notamment que 27,51% des millennials n’ont pas recours à un conseiller, car ils estiment que «les avantages d’un conseiller financier ne valent pas le coût», et près de 25% pensent «être capables de le faire eux-mêmes».

«Il est désormais clair, pour toutes les banques, que le défi consiste à évoluer avec les attentes et besoins de leurs clients, dont les millennials. Chez Raiffeisen, nous avons d’ailleurs déjà réagi en vue de renforcer la digitalisation de nos services, d’intégrer les nouvelles technologies et de renforcer l’utilisation de nouveaux canaux de communication. Certes, la next gen’ est fort importante pour nous, et nous tenons à lui offrir les conseils, les services et les produits qui correspondent à ses attentes, à ses préoccupations et à ses objectifs. Mais il est tout aussi important de préserver un bon mix de sa clientèle et de conserver une réelle proximité humaine avec l’ensemble de nos clients», souligne Georg Joucken.

Connectés et plus frivoles

Enfin, si les générations précédentes avaient davantage tendance à être fidèles à leur fournisseur de services, ce n’est plus forcément le cas. Les millennials hésitent moins à faire jouer la concurrence et sont prêts à changer de prestataire pour obtenir ce qu’ils désirent réellement.

La digitalisation aide dans ce sens. Cette génération beaucoup plus connectée est au fait de nombreux outils et est beaucoup plus renseignée. Il est de plus en plus courant de faire ses démarches via les sites et applications des différents établissements, qui permettent en quelques clics de pouvoir changer de fournisseur. Ainsi, selon l’étude de Deloitte, au cours de l’année écoulée, un tiers des investisseurs ont transféré plus de 20% de leurs avoirs vers de nouveaux prestataires de services (53% d’entre eux se disaient à la recherche de meilleurs rendements et 42% souhaitaient bénéficier d’une gamme de produits plus large). Au cours des deux prochaines années, 44% prévoient de faire de même… De quoi offrir des opportunités aux acteurs qui peuvent répondre à ces exigences afin de conquérir des parts de marché.

Cet article a été rédigé pour  paru le 30 mars 2022 avec  Le contenu du supplément est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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