Dire que le pacte migratoire n’a pas fait l’unanimité ne relève pas de la litote. Les positions sur le sujet restent tranchées. Revenons en arrière: le pacte migratoire constitue la réponse de l’UE à la crise des migrants de 2015 durant laquelle l’Union enregistra 1,8 million d’arrivées en un an. Le texte fut présenté par la Commission en 2019 pour être adopté par le Parlement européen le 10 avril 2024 lors d’une des dernières séances plénières de la mandature. Une adoption sur le fil qui ne clôt pas le débat. Loin de là. Et pas seulement parce que le texte doit encore être formellement adopté par le Conseil de l’UE et que certaines de ses dispositions contenues dans une directive devront être transposées dans la législation de chaque État membre d’ici 2026.
Filtrage, coopération et solidarité comme bases de la politique européenne
Concrètement, le pacte migratoire compte dix textes législatifs (neuf règlements et une directive). Dix textes destinés à établir un équilibre entre le contrôle aux frontières et la solidarité dans l’accueil des réfugiés sur le sol européen. Dix textes tournant autour de trois axes: un filtrage accéléré aux frontières – les migrants doivent être fixés sur leur sort en cinq jours maximum –, une coopération accrue avec les pays d’origine et de transit – afin de limiter les arrivées, et lutter contre les réseaux de passeurs et contre le trafic de migrants – et mécanisme de solidarité plus flexible. Mécanisme dans lequel les relocalisations – comprendre les transferts de demandeurs d’asile entre États membres – se feront désormais sur base de volontariat, les pays disposant de trois options, à savoir l’accueil, une contribution financière ou d’autres mesures de solidarité comme l’aide logistique à d’autres pays. L’extrême droite et les souverainistes ont concentré leurs critiques sur ce dernier point tandis que les verts, la gauche radicale et certains socialistes ont eux critiqué l’externalisation des frontières européennes via des partenariats avec des pays «ne partageant pas les valeurs humanistes de l’Europe».
Le pacte migratoire n’est pas un pas en avant. Son objectif est de calmer l’extrême droite.
Médecins sans Frontières, très critique sur ce pacte en particulier et sur la politique migratoire de l’UE en général accusé de transformer le continent en «Forteresse Europe» selon les mots de directeur de la section luxembourgeoise de MSF. Une expression très forte. MSF Luxembourg avait convié le 30 mai dernier cinq candidats aux européennes – quatre têtes de liste et députés sortants, à savoir (LSAP), (déi Gréng), (Fokus), (CSV) et une candidate, (DP) à débattre sur le sujet. Un débat vif.
Sur la question du filtrage des migrants, le principe a été jugé inadmissible par Marc Angel, Tilly Metz – seule députée présente à avoir voté contre le pacte – et Monica Semedo. Cette dernière, de concert avec Isabel Wiseler Lima, a insisté sur le fait que le pacte, même imparfait pouvait améliorer la situation des migrants. Et qu’il fallait encore travailler dessus. Ce que conteste Tilly Metz: «Ce texte n’est pas un pas en avant. Son objectif est de calmer l’extrême droite. La situation va empirer.» Marc Angel – qui a voté le pacte – a rajouté que c’était un moyen d’éviter que les pays fassent cavalier seul et concluent des accords avec des pays tiers pour gérer la crise, «comme l’Italie de Meloni avec l’Albanie».
Pour franchir une frontière, il faut en avoir la permission.
Sur la question des pushbacks aux frontières et de la violence qui en découle, tous la condamnent au nom des valeurs de l’Europe et du respect des conventions internationales et appellent la Commission à agir. Marc Angel déplore l’absence de missions «search and ressue» financées par des fonds européens. Isabel Wiseler Lima a évoqué «l’instrumentalisation des migrants pour polariser la société européenne par des régimes autocratiques et dictatoriaux» et tenté de défendre le principe selon lequel «pour franchir une frontière, il faut en avoir la permission». Ce qui lui a valu une attaque en règle de la part de Tilly Metz l’accusant d’adopter les arguments de la droite extrême.
La question de fond de la légitimité des migrations n’aura au final pas été abordée, pas plus que celle de la politique migratoire que devrait adopter l’Europe. Que lit-on sur ces points dans les programmes des partis représentés à la Chambre des députés?
Cœur et raison
Le CSV veut une politique migratoire «combinant cœur et raison», ouverture et protection des frontières, «qui reste humaine» et une immigration légale «avec des règles claires». Pour le parti, «l’objectif premier doit être de s’attaquer aux racines du phénomène migratoire. La lutte contre la pauvreté mondiale, la dictature, la persécution politique et le changement climatique font partie des tâches les plus nobles de l’Europe.»
Pour le DP, le parti «n’acceptera en aucun cas l’aliénation du droit d’asile des personnes fuyant la guerre, les violations et les dictatures. Quant aux migrations ne relevant pas du droit d’asile, le DP insiste sur le devoir absolu des instances compétentes de respecter les standards en matière de droit de la personne ainsi que les impératifs humanitaires, en toutes circonstances, tant à l’intérieur de l’UE que dans les pays limitrophes impliqués, de façon directe ou indirecte, dans le traitement des migrants.» Et le DP appelle à «développer des voies légales plus efficaces pour l’entrée des travailleurs qualifiés dans l’UE. Les permis de travail doivent offrir des perspectives réalistes à long terme aux migrants, contribuant ainsi à lutter contre l’immigration clandestine.»
Pour le LSAP, qui a fait de «l’Europe avec du cœur» son slogan de campagne, «la migration est une opportunité – économique, sociale et culturelle – pour nos pays. C’est pourquoi nous estimons qu’il faut s’opposer à ce que les migrants soient perçus comme un problème politique, nous demandons une politique migratoire commune et coordonnée, fonctionnant sur le principe de solidarité entre les pays et nous exigeons une politique migratoire européenne basée sur les droits de l’homme, le respect et la dignité.»
Solidarité et quotas
Déi Gréng défend le principe du «respect des droits fondamentaux des demandeuses et demandeurs d’asile et des frontières ouvertes» et refuse de transformer l’Europe en forteresse. Pour Tilly Metz, l’extrême droite s’est saisie de ce problème pour susciter la peur dans l’électorat. Elle et le parti vert appellent à plus de solidarité et veulent l’établissement de quotas d’accueil. Et appellent à «utiliser le potentiel de la migration de manière positive».
Chez Piraten, on plaide pour «une agence de l’UE commune qui fournirait une aide adéquate aux demandeurs d’asile concernés, quel que soit le pays où ils se trouvent. En introduisant des quotas, chaque pays de l’UE serait tenu de fournir des structures, des ressources financières et d’autres types d’aide à l’agence de l’UE commune. Grâce à l’agence de l’UE, chaque demandeur d’asile recevrait automatiquement une autorisation de travailler dans tous les pays de l’UE.» Dans ce contexte, le parti appelle également à réfléchir à un revenu de base européen, qui aiderait les personnes concernées à se reconstruire rapidement une vie.
Chez déi Lénk, on veut une Europe ouverte. «Tout en luttant contre les causes de la migration involontaire dont les causes principales sont la pauvreté, la répression, les conflits et, désormais, le changement climatique, il est indispensable de démanteler la forteresse Europe et d’en finir avec le repli sur soi qui nourrit les pires instincts politiques», lit-on dans le programme. «Actuellement, l’Union européenne fait fausse route. Non seulement elle traite l’immigration essentiellement comme un problème sécuritaire, mais elle agit aussi contrairement aux droits humains.» Le parti est pour les quotas d’accueil, veut mettre en place des schémas d’immigration légale et régulée et veut régulariser les travailleurs sans-papiers après six mois de résidence.
Des frontières sûres pour l’ADR
Pour l’ADR, la problématique apparaît dès les premières pages du programme. À la différence des autres partis. Sur le sujet, la position du parti est claire et invariable: «L’ADR s’engage pour des frontières extérieures sûres, qui empêchent toute immigration illégale et toute criminalité transfrontalière. Les demandeurs d’asile qui n’ont pas (ou plus) droit à l’asile doivent quitter l’UE. Les questions d’asile relèvent des compétences nationales et les frontières extérieures de l’UE doivent être protégées efficacement. Les demandes d’asile doivent, dans la mesure du possible, être examinées en dehors des frontières de l’UE.» L’ADR se dit aussi contre toute forme de répartition de migrants.