Parmi les défis de la Place relevés par Olivier Coekelbergs, il y a la nécessité de maintenir «un niveau de régulation adapté et financièrement absorbable tout en restant proactif et opportuniste dans la mise en place des réglementations imposées par l’EU».  (Photo: EY Luxembourg)

Parmi les défis de la Place relevés par Olivier Coekelbergs, il y a la nécessité de maintenir «un niveau de régulation adapté et financièrement absorbable tout en restant proactif et opportuniste dans la mise en place des réglementations imposées par l’EU».  (Photo: EY Luxembourg)

Quels seront, en 2021, les principaux enjeux des suites de la crise pour la place financière? Sur invitation de Paperjam, plusieurs experts répondent à cette question. Olivier Coekelbergs, Country Managing Partner d’EY Luxembourg, plaide notamment pour «un dialogue continu et constructif pour continuer à professionnaliser la place financière, la rendre attractive et éviter d’en exporter une image divisée».

Quoique secouée par 10 années de multiples évolutions fiscales, réglementaires et sociopolitiques, la place financière du Grand-Duché a fait preuve de résilience et d’agilité. Elle a, entre autres, été capable d’adapter rapidement son environnement législatif pour répondre proactivement et positivement à ces évolutions. Et si la jalousie que génère la Place luxembourgeoise suggère que cette dernière ait plus que largement profité des opportunités que ces évolutions ont créées, la réalité est un peu plus contrastée et varie sensiblement d’un secteur à l’autre. Évaluer les opportunités et les défis de demain nécessite de regarder la Place avec une certaine granularité. Il est déjà clair que les fintechs, les regtechs, les cryptomonnaies et la blockchain n’épargneront pas la place financière et que des évolutions majeures qui bouleverseront les modèles actuels peuvent être attendues.

La banque privée reste un métier clé pour la Place

Alors que certains voyaient dans la levée du secret bancaire la mort de la banque privée, la réalité a été tout autre. Les faits ont démontré de manière irréfutable la légitimité de la place financière dans ce secteur avec une croissance continue et soutenue des actifs sous gestion. Les efforts consentis par les banques pour élargir leurs gammes de produits, de solutions et de services tout en absorbant les nouvelles contraintes réglementaires et législatives ont payé. 

Entretenir ce positionnement va certainement requérir des banquiers des efforts supplémentaires, car les défis ne manquent pas. Les différences de vue sur la transformation digitale montrent, d’une part, que les banques ne seront pas épargnées par ce besoin de digitalisation et, d’autre part, qu’elles devront ultimement répondre aux attentes d’une clientèle évoluant entre la génération plus traditionnelle et la nouvelle génération qui voit dans la banque privée un service certes personnalisé, mais avant tout digital. 

Trouver l’équilibre entre l’investissement digital et la préservation des marges tout en répondant aux nouvelles attentes réglementaires constituera un défi majeur pour la banque privée.

Les fonds d’investissement traditionnels, le fer de lance de la Place luxembourgeoise

Premier axe de développement de la Place luxembourgeoise durant de nombreuses années, l’industrie des fonds d’investissement traditionnels reste l’élément fondamental de la place financière et de son succès. Même si les enjeux dans l’industrie des fonds semblent plus tourner autour de l’alternatif ces dernières années, les fonds traditionnels occupent toujours une place importante qu’il ne faudra pas négliger.

Alors que les actifs sous gestion ont explosé ces 20 dernières années, les marges ont fondu et contribué à une consolidation du secteur. Il semble que cette consolidation ne soit pas terminée. Le Luxembourg devra être conscient de cette réalité et adapter le positionnement de son offre qui appelle à une accélération de sa digitalisation pour ne pas réduire à néant les marges sur ce secteur et présente une fiscalité compétitive face à d’autres pays européens comme l’Irlande.

Les fonds alternatifs, un accélérateur inattendu il y a 10 ans

Brexit, nécessité accrue de substance, SCSp et AIFMD ont permis à la Place de se tailler la part du lion dans l’industrie des fonds alternatifs avec un réel repositionnement du Luxembourg sur la chaîne de valeur de ceux-ci. Du statut de hub pour la structuration d’acquisitions transfrontalières, le Luxembourg est devenu un hub pour la structuration des fonds alternatifs et les fonctions de middle et back-office de ces fonds.

On entrevoit aujourd’hui la possibilité de positionner également des fonctions d’«investor relations». Si diverses Places tentent de copier le modèle luxembourgeois, le Grand-Duché a toujours une longueur d’avance. L’enjeu sera de préserver cette avance en offrant la flexibilité dont ces fonds ont besoin, en maintenant un niveau de régulation adapté à la nature des investisseurs et en acceptant que la fiscalité doive être au moins comparable à ce que d’autres juridictions peuvent offrir.

Le Luxembourg, le grand gagnant du Brexit dans le secteur de l’assurance

Tandis que les discussions sur le Brexit étaient encore embryonnaires, les grands noms de l’assurance avaient déjà anticipé la remise en cause du passeport européen pour la conduite de leurs opérations sur le continent.

Si l’Irlande apparaissait comme le plan de repli privilégié pour les assureurs établis au Royaume-Uni, Le Luxembourg s’est toutefois profilé comme une alternative privilégiée sur le segment de l’assurance spécialisée à destination des entreprises.

Il est cependant clair que les choix qui ont été faits hier ne seront pas nécessairement les choix qui devront être faits demain pour assurer le succès de la Place face à une concurrence de plus en plus forte.
Olivier Coekelbergs

Olivier CoekelbergsCountry Managing PartnerEY Luxembourg

Le succès du Brexit pour le secteur des assurances au Luxembourg a modifié la typologie des acteurs présents sur le marché. Au-delà des nécessités de substance qui s’imposent aux nouveaux entrants – qui se confrontent d’ailleurs à une compétition sur le marché de l’emploi pour les profils qualifiés –, c’est tout l’écosystème de l’assurance qui doit achever une réelle mutation pour s’adapter à un segment d’affaires spécialisées et un détachement progressif des centres d’expertises britanniques.

Éduquer, communiquer et s’unir pour la stabilité

Nul ne peut nier que la Place financière s’est renforcée à de nombreux égards, a fait des choix tactiques payants et a su profiter de nombreuses opportunités. Il est cependant clair que les choix qui ont été faits hier ne seront pas nécessairement les choix qui devront être faits demain pour assurer le succès de la Place face à une concurrence de plus en plus forte.

La place financière a son lot de défis à relever: la digitalisation et son attractivité pour les talents sont des enjeux majeurs qui ne peuvent être ignorés. Maintenir un niveau de régulation adapté et financièrement absorbable tout en restant proactif et opportuniste dans la mise en place des réglementations imposées par l’EU peut offrir à la Place la compétitivité réelle et unique dont elle aura besoin pour faire face à la concurrence. Même si l’harmonisation fiscale opérée par l’EU laisse peu de marge de manœuvre pour offrir un environnement fiscal compétitif, le Luxembourg ne peut pas se permettre d’avoir une fiscalité plus lourde que d’autres pays de l’Union européenne.

Sans la place financière, la qualité de vie et le pouvoir d’achat sur le territoire luxembourgeois seraient fortement mis à mal.
Olivier Coekelbergs

Olivier CoekelbergsCountry Managing PartnerEY Luxembourg

Dans un environnement socio-économique bouleversé par la pandémie, il sera essentiel de démontrer l’importance cruciale qu’ont la place financière et ses dirigeants pour la pérennité de l’État luxembourgeois et le rôle fondamental que joue la Place dans les finances de l’État. Nous devrions tous être fiers de ce qui a été construit et sensibiliser l’opinion publique à cette importance. Sans la place financière, la qualité de vie et le pouvoir d’achat sur le territoire luxembourgeois seraient fortement mis à mal. Cette réalité ne peut être ignorée. Elle doit faire l’objet d’une prise de conscience qui va bien au-delà des acteurs de la Place. 

L’envie, pour ne pas dire la jalousie, que la Place financière crée doit pousser l’ensemble des acteurs à s’unifier et parler d’une seule voix pour la protéger et véhiculer un message de stabilité qui reste le premier élément différenciateur dont la Place bénéficie depuis de nombreuses années. Mettre à mal cette image de stabilité est un jeu très dangereux dont les effets pourraient être irréparables. C’est dans ce contexte que les acteurs politiques, les autorités de supervision et les différentes associations doivent entretenir un dialogue continu et constructif pour continuer à professionnaliser la place financière, la rendre attractive et éviter d’en exporter une image divisée.