L’intérêt de la Place pour les crypto-actifs n’est pas neuf. En février 2014, annonçant que les activités des prestataires de monnaies virtuelles relevaient des services financiers. Une avancée pour le secteur financier luxembourgeois, qui a d’ailleurs permis d’attirer des acteurs de renom, tels que Bitstamp et Bitflyer.
Pourtant, «le soufflé est peut-être un peu retombé depuis lors», constate Thomas Campione, director & crypto-assets leader chez PwC Luxembourg. «Nous aurions pu nous attendre à ce que les choses s’accélèrent plus franchement à partir de 2016-2017, mais ça n’a pas été le cas.» Les prestataires de monnaies virtuelles ont entre-temps été régulés comme des fournisseurs de services de paiement, mais seulement pour des activités liées aux monnaies fiat et non celles liées aux cryptomonnaies. Force est de constater que plusieurs acteurs ont marqué un intérêt pour la France et l’Allemagne en s’y établissant.
Avec un texte spécifique à l’industrie crypto-implémentée il y a plusieurs années, nous aurions peut-être pu attirer plus d’acteurs et construire un écosystème plus large que celui que nous avons actuellement, à l’image de la Suisse, la France et l’Allemagne.
Fallait-il, à l’instar de la France, que le Luxembourg se dote d’un nouveau texte spécifique pour ancrer son avantage compétitif? « tend à démontrer qu’un texte spécifique était nécessaire», commente Thomas Campione, précisant: «Avec un texte spécifique à l’industrie crypto-implémentée il y a plusieurs années, nous aurions peut-être pu attirer plus d’acteurs et construire un écosystème plus large que celui que nous avons actuellement, à l’image de la Suisse, la France et l’Allemagne. Nous ne pouvons cependant pas refaire l’histoire et devons regarder vers l’avant et les opportunités pour le Luxembourg.»
Une question de perception
L’entrée en application du Mica (Markets in Crypto-Assets), attendue dans le courant de 2023, apportera dès lors une base commune à l’ensemble des 27 États membres. S’agissant d’un règlement européen et non d’une directive, aucun pays ne pourra alors tenter de créer un espace concurrentiel avec une transposition du texte. Pourtant, Thomas Campione ne s’attend pas à ce que cette base réglementaire commune remette les compteurs à zéro. «Nous rattraperons le retard d’un point de vue réglementaire par la simple application du Mica. Mais, d’un point de vue perception, il y aura encore du chemin à parcourir pour capter l’attention de l’industrie», souligne le crypto-assets leader de PwC, mettant en exergue la nécessité de disposer d’un écosystème suffisamment large et mature pour attirer les acteurs internationaux du secteur.
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Pourtant, le cadre réglementaire et l’écosystème ne suffisent pas à faire du Luxembourg une Place privilégiée pour l’industrie des crypto-actifs. Outre la vitesse du régulateur à accorder les licences, Thomas Campione rappelle le rôle du gouvernement à prendre position sur la stratégie du pays en la matière, à l’instar de Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances. Le 17 octobre, ce dernier présentait la feuille de route de Bercy sur les cryptomonnaies, voulant que «la France soit le hub européen de l’écosystème des crypto-actifs».
Il y a une opportunité pour le Luxembourg d’attirer les acteurs institutionnels qui ont la volonté et les reins assez solides pour faire les choses correctement.
De son côté, Thomas Campione salue la démarche française. «Les propos de Bruno Le Maire sont assez proactifs. Il va à la rencontre de l’industrie en fixant des attentes également. Une dimension sur laquelle nous pourrions certainement progresser.» Ce n’est pas pour autant qu’il considère que la position du Luxembourg devrait être d’accepter toutes les entités qui souhaiteraient s’y établir. «Il y a une opportunité pour le Luxembourg d’attirer les acteurs institutionnels qui ont la volonté et les reins assez solides pour faire les choses correctement. Le Mica va créer une sélection naturelle. Soit la barre sera trop haute pour certains, soit d’autres ne disposeront pas des compétences suffisantes. Ils seront simplement éliminés du marché.» À ses yeux, le Luxembourg a ainsi un rôle-clé à jouer en attirant les meilleurs éléments du marché.
Une hausse des coûts
Les exigences apportées par le règlement Mica seront en effet hautes, destinées à couvrir tous les crypto-actifs qui ne sont pas considérés comme des instruments financiers. De la sorte, tous les types de stablecoins – les asset-referenced tokens (ART), qui ont en sous-jacent un panier d’actifs composé de monnaies traditionnelles ou de commodities, et les e-money tokens (EMT), adossés à une seule monnaie traditionnelle – seront soumis au règlement Mica. «L’une des priorités du Mica est d’encadrer les actifs qui pourraient, de près ou de loin, avoir un impact sur la politique monétaire européenne. Si un volume significatif de personnes commençait à avoir recours à des stablecoins émis par des entités privées et/ou adossés à des devises étrangères, cela pourrait par ailleurs entraîner un risque de souveraineté des États», explique Thomas Campione. À cela, le règlement Mica englobera également les utility tokens, des crypto-actifs utilisés au sein d’un écosystème fonctionnant en vase clos telle une plateforme spécifique.
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Par conséquent, le législateur européen a l’ambition de profiler le Mica comme le corollaire de la directive Mifid pour les actifs qui ne sont pas des instruments financiers. Cependant, Thomas Campione s’attend à ce que le Mica cause quelques dégâts éventuels parmi les acteurs du marché. «Au moment où Mifid est arrivée, le secteur financier traditionnel se trouvait largement plus institutionnalisé que ne l’est l’industrie des crypto-actifs aujourd’hui. Les efforts de mise en conformité ou le risque de disparition d’acteurs du marché sont certainement plus importants que lors de l’arrivée de la directive Mifid.»
Ce sera d’autant plus important qu’il existe un risque de perte des actifs au niveau des plateformes d’échange. La sécurisation du cycle de vie des clés privées et la ségrégation des actifs clients sont des éléments critiques.
Malgré tout, la vocation du Mica reste de rehausser le niveau de gouvernance de l’industrie des crypto-actifs, notamment au niveau de l’expertise et des compétences requises tant dans les équipes de gestion que de contrôle et celles de gestion des risques au sein des acteurs. «Ce sera d’autant plus important qu’il existe un risque de perte des actifs au niveau des plateformes d’échange. La sécurisation du cycle de vie des clés privées et la ségrégation des actifs clients sont des éléments critiques», interpelle Thomas Campione. Des coûts financiers et un renforcement des ressources humaines, qui s’accompagneront de requis prudentiels de capitaux propres qui n’existaient pas dans le passé. De quoi prévenir dans une juridiction européenne à l’avenir.