«Non, l’ensemble des demandes ne pourront pas être traitées jusqu’au 30 décembre.» La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) confirme les retours du terrain: au Luxembourg, les prétendants au passeport crypto européen seront fixés seulement d’ici à juillet 2026 au plus tard. Dans l’intervalle, les acteurs enregistrés comme prestataires de services sur actifs numériques (VASP) peuvent continuer à fournir des services crypto localement en vertu de la «clause de grand-père».
Le moment venu, le passeport permettra aux prestataires concernés d’offrir leurs services à travers toute l’UE sans restriction. Un élément clé pour l’industrie crypto européenne, selon l’un des 12 VASP enregistrés au Luxembourg, le fournisseur de liquidité B2C2. «Alors qu’auparavant, une entreprise avait besoin de 27 licences locales différentes pour opérer efficacement, mais pas de manière efficiente, à travers l’UE, le passeportage simplifie ces exigences et ouvre des passerelles entre la finance traditionnelle et les acteurs existants de la crypto», explique son responsable au Luxembourg, Denzel Walters.
Frustration palpable
Le cadre est fixé par le nouveau règlement européen sur les marchés des crypto-actifs (Mica), qui doit s’appliquer pleinement au 30 décembre. De la conservation à l’échange en passant par la gestion de crypto-actifs, Mica fixe des normes contraignantes aux acteurs du marché, afin de renforcer la protection des consommateurs et la stabilité financière. Il s’applique principalement aux émetteurs de tokens et aux prestataires de services sur crypto-actifs (CASP), touchant à la fois les institutions traditionnelles et les acteurs de la crypto.
Tous les VASP n’aspirent pas à obtenir un passeport CASP, synonyme d’obligations plus strictes en matière de gouvernance, de sécurité informatique, d’abus de marché ou encore de conflits d’intérêts. Parmi ceux qui ont pris ce chemin, la frustration est palpable: certains espéraient initialement pouvoir bénéficier de leur passeport dès le 1er janvier 2025. Ils se sont ensuite étonnés de l’absence d’une procédure en bonne et due forme pour obtenir la licence CASP – au profit d’échanges plus informels qui, selon eux, peuvent avantager les entreprises ayant des relations privilégiées avec le régulateur.
Les processus d’obtention de licences réglementaires nécessitent toujours de la patience.
«Les processus d’obtention de licences réglementaires nécessitent toujours une préparation considérable et de la patience, et le processus de licence CASP ne fait pas exception», reprend Denzel Walters de B2C2. La CSSF, souligne-t-il, «se trouve dans une position délicate»: elle n’a pas le champ complètement libre parce que le régulateur européen a mis du temps pour formaliser tous ses standards techniques. «Un certain nombre de textes de niveaux 2 et 3 qui soutiennent et sous-tendent Mica sont encore en cours de publication et de finalisation.»
«Heureusement, la CSSF a mis en œuvre un cadre VASP bien établi avec des obligations complètes en matière de connaissance client (KYC), de surveillance des transactions et de reporting, ainsi que des exigences en matière de gouvernance, d’externalisation et d’opérations, applicables au secteur des services financiers au Luxembourg. De plus, la CSSF s’est engagée de manière proactive avec les entreprises qui souhaitent obtenir une licence CASP, via des événements sectoriels et des réunions en face à face», salue Denzel Walters.
Pour le représentant de B2C2, «cela facilitera la transition vers Mica pour les VASP au Luxembourg». Quant à l’échéance du 1er juillet 2026 pour obtenir une autorisation CASP, elle «offre une période de préparation plus longue que dans certains autres pays de l’UE», positive le responsable local.
Nous travaillons pour obtenir la licence Mica dans les délais les plus courts possibles.
Les autres VASP luxembourgeois qui ont accepté de s’exprimer «on the record» ménagent eux aussi le régulateur. «Nous travaillons en étroite collaboration avec la CSSF pour obtenir la licence Mica dans les délais les plus courts possibles. La CSSF a exprimé son engagement à assurer un processus de demande Mica fluide tout en préservant l’intégrité du marché», note la plateforme d’échange Bitflyer Europe par la voix de sa CEO, Ami Nagata.
«Cela ne m’étonne pas du tout», réagit pour sa part le cofondateur de la fintech Stokr, Tobias Seidl, en prenant connaissance du délai dans le traitement des demandes. «En ce qui concerne notre entreprise et tous les autres VASP, cela ne pose pas de problème particulier car des dispositions transitoires sont applicables. L’obligation de licence ne s’appliquera qu’à partir du 1er juillet 2026. Le passeportage est certes souhaitable, mais il n’existe pas encore de mesures de niveau 2 sur la prestation transfrontalière de services.»
La CSSF «proactive»
«La CSSF a déjà reçu un certain nombre de demandes qui se trouvent à des stades plus ou moins avancés, en provenance d’entités qui tomberont sous le champ de Mica», déclare de son côté le régulateur, estimant que «le marché semble être bien préparé pour l’entrée en vigueur complète de Mica».
La CSSF précise qu’elle «a suivi le développement du règlement et a engagé de façon proactive le dialogue avec les acteurs enregistrés actuellement en tant que VASP, afin de comprendre leurs projets sous Mica. La CSSF avait publié un communiqué en février 2024 appelant les entités qui envisagent d’exercer une activité susceptible de tomber dans le champ d’application de Mica à la contacter afin d’effectuer des échanges préliminaires».
Par ailleurs, poursuit-elle, «la CSSF avait publié au mois de juillet 2024 un questionnaire élaboré par l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) afin de sonder l’appétit des entités financière pour le régime sur les crypto-actifs. En parallèle à ces initiatives, la CSSF a pris des mesures internes pour se préparer au traitement des demandes d’autorisation et à la surveillance des activités tombant sous Mica et de même à renforcer les compétences de ses agents en la matière».
Pour l’avocate spécialiste en technologies , l’impression que la CSSF n’est pas prête est injustifiée. La préparation du dossier, rappelle-t-elle, représente un énorme travail, tant pour l’aspirant CASP que pour l’autorité de surveillance. «La rapidité du processus dépend en grande partie de la qualité du dossier soumis. Un dossier complet et bien structuré permettra à la CSSF de l’instruire plus rapidement. On devrait voir les premières licences accordées dans les six prochains mois, probablement d’abord aux grandes institutions qui sont généralement mieux préparées – du fait qu’elles ont les ressources nécessaires pour ce faire.»
(Découvrez l’analyse de Nadia Manzari dans l’édition de janvier du magazine Paperjam, en kiosque ce mercredi 11 décembre.)