Marche arrière après marche arrière. Un à un, de grands employeurs et de moins grands employeurs «invitent» leurs équipes à revenir au bureau, une question de gestion humaine mais aussi d’échanges, de créativité, de performance. Dans un billet de blog, que les avocats d’Arendt ont bien voulu commenter pour Paperjam, le cabinet invite à une certaine forme de prudence.
«Il s’agit là d’une décision stratégique qui ne peut être prise à la légère, notamment dans un marché du travail où la capacité à recruter et à fidéliser les talents est très concurrentielle et représente plus que jamais un défi. Le télétravail constitue un avantage compétitif sur lequel il est devenu difficile de faire l’impasse», analyse Philippe Schmit, qui rappelle l’adoption de la Convention du 20 octobre 2020 relative au régime juridique du télétravail. «En définitive, il s’agit avant tout d’une question de gestion des ressources humaines. Chaque entreprise doit évaluer sa propre situation et décider, le cas échéant en concertation avec les représentants du personnel, s’il est pertinent de maintenir ou non le télétravail. De récentes études montrent que certains salariés envisagent de changer d’employeur si cette option leur est retirée.»
«Beaucoup d’entreprises ont intégré des clauses prévoyant que le télétravail ne constitue pas un droit acquis et qu’il peut être modifié et/ou retiré à tout moment», complète Noémie Haller. «De telles clauses devraient être applicables. Si le régime de télétravail ne prévoit pas de telles clauses mais simplement les modalités selon lesquelles l’employeur peut restreindre ou supprimer unilatéralement le télétravail, il ne peut être exclu que ces clauses puissent être sujettes à contestation, selon les circonstances (par exemple si le délai de prévenance n’est pas considéré comme raisonnable).»
La Convention de 2020 ne règle pas tout, nuance d’ailleurs Lorraine Chéry. Elle «est moins claire sur le retour au présentiel et elle s’en remet essentiellement à l’autonomie de la volonté, de même qu’elle ne prend pas position explicitement sur le cas d’une restriction en relation avec les modalités de télétravail, telle qu’une réduction du nombre de jours pouvant être travaillés depuis le domicile du salarié.»
«Dans le cadre d’accords collectifs ou sectoriels» ajoute-t-elle, «l’employeur est tenu d’en respecter les dispositions et ne peut déroger au droit au télétravail sans renégocier les termes de la convention dans son intégralité, ce qui supposerait de dénoncer la convention collective à l’arrivée de son terme pour entamer de nouvelles négociations avec les syndicats. En règle générale, des clauses de sortie du télétravail ont en principe été négociées, par exemple la convention du secteur hospitalier qui stipule dans son article 6.6.2 que ‘Le télétravail ne constitue pas un droit acquis. Tant le salarié que l’employeur peuvent y mettre fin à tout moment.’» À défaut de convention collective, un accord employeur-employé n’aura que peu d’impact sur un changement collectif dans l’entreprise.
«Pour les entreprises, toute modification du régime de télétravail doit être abordée avec précaution», recommande Jean-Luc Putz. «Une suppression trop rapide ou mal gérée pourrait non seulement affecter le moral et l’organisation interne, mais aussi conduire à des contentieux juridiques. L’implication des représentants du personnel est un point d’attention, notamment dans les entreprises de plus de 150 salariés, où le processus de co-décision s’applique.»
Sans parler des risques réputationnels, ajoute-t-il. «Un manquement dans la gestion de cette nouvelle organisation du travail pourrait ternir leur image auprès des employés, clients et partenaires. Avant d’imposer un retour au bureau, il est crucial pour les employeurs de définir une stratégie à long terme, en s’assurant de respecter à la fois le cadre légal et les attentes des salariés, sous peine de perdre des talents ou de faire face à des répercutions judiciaires.»