Quel a été votre parcours avant de créer votre cabinet spécialisé en droit fiscal et droit des affaires en mai dernier?
«J’ai commencé mes études ici, au Luxembourg, avec une année de ‘’préparation’’ en droit, formule qui n’existe plus aujourd’hui, avant de partir à Strasbourg, où j’ai obtenu un master en droit fiscal et conseil en entreprise. J’ai ensuite étudié à Munich. Je trouvais intéressant de m’imprégner de la vision germanique de la fiscalité, d’autant plus que les textes de loi luxembourgeois sont encore fortement influencés par des textes allemands. J’ai terminé mon cursus par un master complémentaire en droit fiscal (LLM) à la New York University (NYU) School of Law.
Déjà durant mes années à Strasbourg, j’ai effectué mes premiers stages au Luxembourg auprès de fiscalistes expérimentés comme Jean-Pierre Winandy. À la fin de mes études, je l’ai d’ailleurs rejoint au sein d’un cabinet d’origine néerlandaise à forte spécialisation fiscale où j’ai exercé pendant huit ans. J’ai ensuite, avec deux autres associés, participé à l’ouverture de la succursale luxembourgeoise d’un grand cabinet anglo-saxon. L’aventure a duré cinq ans. Depuis très jeune, j’ai toujours eu la volonté d’exercer la profession d’avocat et d’ouvrir un cabinet où je pourrais exercer la fiscalité, avec une approche généraliste de la matière, tout en m’entourant de gens que j’apprécie, tant pour leur travail que pour leurs qualités humaines.
À qui s’adressent vos services?
«Notre volonté est de rester des généralistes du droit fiscal et du droit des affaires. Nous offrons du conseil sur mesure aux grands groupes luxembourgeois, aux multinationales, aux fonds d’investissement, mais aussi aux PME et aux personnes physiques. Nous sommes aussi reconnus pour notre expertise en contentieux fiscal, ce qui nous amène à défendre les intérêts de nos clients devant les tribunaux face aux autorités fiscales. Comme nous travaillons pour une grande diversité de clients, nos missions sont très variées. Nous pouvons apporter un conseil ponctuel sur une question précise où une haute valeur ajoutée est recherchée, et nous accompagnons également des clients dans la très longue durée pour soutenir leurs activités et répondre à toutes les problématiques juridiques et fiscales qui peuvent se poser dans ce cadre. Comme mentionné précédemment, nous représentons également nos clients dans le cadre de leurs litiges face à l’administration fiscale, à tous les stades de la procédure.
Avant les années 2010, la confiance régnait. Aujourd’hui, elle semble distendue, parfois même rompue.
Comment évolue le métier de fiscaliste?
«Quand j’ai commencé ma carrière, en 2009, nous avions beaucoup d’échanges avec les autorités fiscales. Il était alors naturel de poser des questions pour savoir si notre compréhension ou notre interprétation de la loi étaient en ligne avec celles de l’administration, d’apporter des clarifications sur un dossier, etc. Depuis lors – et l’affaire LuxLeaks n’y est sans doute pas étrangère –, il est devenu moins aisé de discuter avec les autorités fiscales. Le lien est souvent moins direct et la confiance réciproque semble entamée.
La possibilité d’obtenir, en amont d’une transaction, un rescrit fiscal de la part des autorités confirmant le traitement fiscal applicable à ladite transaction est, depuis de trop nombreuses années, en très fort déclin, alors même que la procédure à suivre est encadrée par la loi. D’un autre côté, les problématiques en matière de fiscalité sont devenues infiniment plus complexes, avec une prolifération des dispositions fiscales à l’échelle nationale et internationale, et un accroissement significatif de leur technicité. En quelque sorte, ces évolutions rendent aujourd’hui notre métier plus intéressant!
Le fiscaliste doit sans cesse se tenir informé, se montrer curieux et prendre davantage ses responsabilités. Il effectue sa propre analyse avant de mettre en place la structure qu’il juge en adéquation avec les règles fiscales en vigueur. L’avis des autorités fiscales ne tombe finalement souvent que bien après la mise en place d’une transaction, au travers de l’émission des bulletins d’imposition ou l’ouverture d’une procédure de vérification. Avec la quasi-disparition des rescrits fiscaux et l’augmentation importante des contentieux fiscaux depuis maintenant une dizaine d’années, c’est aujourd’hui souvent au juge de trancher les questions d’interprétation des dispositions légales et leur application à des cas concrets. Tout cela entraîne plus de lourdeur administrative, des coûts importants pour les contribuables concernés et des affaires qui prennent souvent des années avant d’être tranchées. Une telle situation est vectrice d’incertitude, ennemie jurée de la fiscalité.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la fiscalité à laquelle vous faites référence?
«La relation entre les autorités fiscales, les contribuables et les conseillers que nous sommes a fortement changé. Avant les années 2010, la confiance régnait. Aujourd’hui, elle semble distendue, parfois même rompue. Il ne s’agit pas ici de généraliser la situation. Des échanges sont encore possibles, bien heureusement. Il ne s’agit pas non plus de blâmer uniquement l’administration alors que la situation actuelle est forcément la résultante d’une multitude de facteurs et d’intervenants, dont les conseillers font partie.
Le constat est cependant que l’administration adopte une approche plus méfiante. Le challenge est aujourd’hui de rétablir cette confiance dans la relation. La fiscalité reste une matière complexe, requérant des prises de position et où les avis divergent parfois. Notre rôle est de conseiller notre client dans le respect de la loi. Mais si deux options s’offrent à nous, nous chercherons toujours l’imposition la plus appropriée pour notre client. Au final, le plus important est d’être irréprochable dans notre approche, alors qu’en matière fiscale, l’erreur ne pardonne pas, notre responsabilité peut être engagée envers nos clients et des sanctions par les autorités fiscales existent.
Assez récemment, l’administration fiscale est ainsi allée plus loin dans sa défiance envers les conseillers fiscaux en cherchant à sanctionner certains d’eux sur base de la fraude fiscale involontaire. Le risque, au final, est que le fiscaliste devienne un simple contrôleur de conformité, qui n’ose plus prendre position sur des cas d’imposition. Or, notre rôle est de fournir le meilleur conseil possible à nos clients et de rester intransigeants dans la défense des intérêts de nos clients.
Un bon fiscaliste doit également bien comprendre les chiffres.
Quels sont les autres challenges que vous rencontrez?
«Un autre challenge important pour notre métier au Luxembourg touche au savoir et à la transmission de celui-ci. Toute une génération de fiscalistes s’apprête à prendre sa retraite ou l’a déjà prise. Ces personnes ont assisté à l’évolution de notre métier depuis 40 ans et ont développé une très grande expérience dans une large variété de domaines. Aujourd’hui, vu la complexité des matières à traiter, les fiscalistes ont plutôt tendance à se spécialiser dans une matière très précise. Le marché se compose dès lors de beaucoup de spécialistes et de moins en moins de généralistes. Pour nous, le challenge est de pouvoir garder une vue globale, mais néanmoins pointue, sur tous les sujets.
Le dernier défi dont nous n’avons pas parlé touche évidemment à la compétition grandissante entre les différents centres financiers pour attirer les talents d’une part, et pour convaincre de l’attractivité du Luxembourg d’autre part. S’agissant du premier sujet, l’existence d’un master spécialisé en droit fiscal à l’Université du Luxembourg est un atout pour le pays, mais il faut rester conscient qu’il devient de plus en plus difficile d’attirer suffisamment de bons candidats, venant notamment des pays limitrophes. Sur le deuxième sujet, nous espérons que le nouveau gouvernement sera à l’écoute des grandes attentes de la place financière vis-à-vis de celui-ci pour redorer le blason du Luxembourg à l’échelle internationale, en maintenant sa compétitivité, dans un contexte de très forte concurrence, notamment en matière fiscale.
Quelles sont pour vous les qualités requises pour être un bon fiscaliste aujourd’hui?
«Il faut avant tout rester curieux, lire beaucoup, travailler dur et se former de façon continue afin d’être en mesure de comprendre les évolutions réglementaires qui peuvent impacter nos clients. Il faut bien sûr aimer la fiscalité et vouloir être performant dans ses missions. Un bon fiscaliste doit également bien comprendre les chiffres, cela veut dire avoir de bonnes connaissances en comptabilité, pouvoir lire un bilan, se plonger dans les comptes…
À cela s’ajoute la connaissance des langues. Au Luxembourg, la maîtrise du français et de l’anglais est un minimum, et l’allemand représente un atout très important. Au-delà de ces connaissances diverses, un bon fiscaliste doit être à l’écoute de son client, comprendre ses attentes, ses problématiques, pour l’accompagner dans sa vie quotidienne et l’aider à agir sereinement. Enfin, il est aujourd’hui impossible d’ignorer l’impact des nouvelles technologies et des évolutions qu’elles ont et continueront de plus en plus à avoir dans notre pratique.
De manière plus personnelle, qu’est-ce que ce métier vous apporte au quotidien?
«J’aime cette idée d’évoluer dans un monde en constante évolution, avec l’obligation de s’adapter en permanence aux nouvelles règles et même de se remettre en question au vu de l’environnement fiscal. Rien n’est figé et cela représente un moteur important à mes yeux. Ensuite, en tant qu’avocat, l’aspect contentieux fiscal me semble très intéressant. J’aime me battre pour défendre les intérêts de mes clients devant les tribunaux. Mon rôle consiste à défendre au mieux les intérêts de mes clients dans le respect de la loi, et je pense qu’il faut rester intransigeant et intègre dans cette défense. Enfin, la grande diversité dans les dossiers et les cas que j’ai à traiter est une grande source de stimulation intellectuelle, obligeant à constamment s’adapter et à ajuster son raisonnement.Georges SimonSecrétaire, Association luxembourgeoise d’études fiscales (Alef)
Les infos-clés à savoir sur le métier
Le fiscaliste conseille généralement une grande variété de clients, allant des citoyens aux entreprises. En fonction des législations et des taxes en vigueur, des projets de l’entreprise (fusion-acquisition, implantation à l’étranger, investissement), son objectif est de trouver la meilleure option fiscale, c’est-à-dire en principe la moins coûteuse pour l’entreprise (sans aller à l’encontre de la loi) et la plus efficace au regard de la spécificité de son activité. Pour cela, le fiscaliste doit connaître sur le bout des doigts les législations et normes fiscales en vigueur et les évolutions de ces dernières, et être capable de les faire interagir ensemble.
Il intervient également pour défendre les intérêts de ses clients et expliciter les choix faits en cas de contrôle fiscal ou judiciaire. Pour conseiller au mieux son client, le fiscaliste ne peut se cantonner à la fiscalité et la comptabilité. Bien des domaines du droit apparaissent encore dans sa pratique, que ce soit bien sûr en droit des sociétés ou bancaire, mais également en droit des obligations, droit social, etc.Très au fait des législations en vigueur, le fiscaliste suit de près l’actualité et les nouveautés dans son domaine. Rigoureux et organisé, il doit aussi avoir de réelles capacités d’analyse et de synthèse. Respectueux de la loi, sa morale est irréprochable.
À propos de l’IFA
L’Association luxembourgeoise d’études fiscales (Alef), qui est le groupement luxembourgeois autonome de l’International Fiscal Association (IFA), a été constituée le 6 juin 1988 et compte quelque 250 membres privés et sociétaires. Alors que les cabinets d’avocats, les fiduciaires et les cabinets comptables et de conseil sont majoritairement représentés parmi les membres de l’Alef, cette association compte également parmi ses membres des entreprises du secteur privé, des banques et compagnies d’assurances, ainsi que des associations et des institutions du secteur public.Présente dans plus de 100 pays, l’IFA a pour objectifs l’étude du droit fiscal international et comparatif et des conséquences économiques et financières de la fiscalité.
Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition de parue le 12 décembre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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