Quel est le rôle de l’expert-comptable au quotidien?
Virginie Toth (V. T.) – «Avant toute chose, il est important de préciser qu’au Luxembourg, il existe une distinction entre le métier de comptable et celui d’expert-comptable, que l’on ne retrouve pas dans nos pays voisins, comme la Belgique ou la France. Pour exercer en tant qu’expert-comptable, il faut notamment détenir une autorisation d’établissement délivrée par le ministère de l’Économie et être enregistré auprès de l’Ordre des experts-comptables qui, en tant que régulateur, impose de suivre certaines règles précises à ses membres.
Aurore Calvi (A. C.) – «Pour donner un exemple pratique, seul un expert-comptable est habilité à effectuer la comptabilité de sociétés dont le pied de bilan est supérieur à 2,3 millions d’euros et dont le chiffre d’affaires est de plus de 4,6 millions d’euros. Il peut également offrir des services de domiciliation, à l’instar des avocats et des PSF de support, ce que ne peut pas faire un simple comptable. Cette distinction faite, le comptable et l’expert-comptable doivent l’un comme l’autre s’assurer de l’exactitude des comptes de leurs clients, dans le respect des normes et des règles en vigueur. L’expert-comptable aura souvent une plus grande maîtrise dans l’analyse et le conseil économique et financier qu’il peut offrir à ses clients, même si d’excellents comptables le font aussi très bien. Ces deux professions différentes cohabitent souvent dans la plupart des cabinets aujourd’hui, ce qui prête encore souvent à confusion.
Comment évolue le métier d’expert-comptable?
A. C. – «Comme dans bien d’autres domaines, nous sommes confrontés à une importante augmentation des obligations réglementaires. Il est évident que l’introduction du plan comptable normalisé ou de nouvelles normes standardisées pour la présentation des comptes sont de bonnes choses pour notre métier. Voici quelques années encore, chacun appliquait son propre plan comptable, plus ou moins inspiré de ce qui se faisait en France ou en Belgique. Aujourd’hui, les mêmes règles s’appliquent à tout le monde et l’analyse des chiffres est plus aisée.
V. T. – «L’Ordre mène un travail constant, notamment au travers de différentes commissions, afin de suivre les projets de loi en cours, mais aussi pour émettre des avis et interpeller les élus quand cela est nécessaire pour, au final, aider ses membres à respecter les règles de conformité. Pour donner un exemple, nous avons notamment organisé des journées autour de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB/FT). Lors de ces journées, nos membres sont invités à venir poser leurs questions, amener leurs dossiers et lever les points d’incompréhension…
Nous ne parlons pas que des chiffres.
Quel est l’impact de la digitalisation sur votre métier? Aujourd’hui déjà, le simple encodage de factures peut se faire de façon automatisée par des logiciels. Comment voyez-vous cette évolution?
A. C. – «Nous voyons cette évolution de façon positive. La digitalisation, et notamment l’automatisation de certaines tâches, va nous permettre d’être plus rapides dans le traitement de certains documents et de consacrer davantage de temps pour analyser les données et offrir un conseil de qualité à nos clients, ce qui est véritablement au cœur de notre métier. Chaque client est différent. Il a construit son histoire autour de son activité et notre rôle est de l’accompagner, le conseiller. Lorsqu’il vient discuter avec son expert-comptable, nous ne parlons pas que de chiffres, mais aussi de sa stratégie, de ses projets, de ses envies. Nous l’aidons à mettre en place un budget prévisionnel, un suivi du cash flow. Nous poussons l’analyse de façon plus détaillée pour revoir les produits proposés, évaluer leur rentabilité…
V. T. – «Nous n’avons clairement pas peur que la profession d’expert-comptable disparaisse dans 10 ans. La véritable valeur ajoutée se situe au niveau du conseil et de l’accompagnement. Bien sûr, certains profils vont devoir s’adapter à cette évolution. Mais il en va ainsi dans de nombreux métiers. Certains devront améliorer leurs compétences en communication, sortir davantage de leur bureau pour aller à la rencontre de leurs clients. Cette digitalisation est une bonne chose dans le sens où elle vient aider le métier dans les réponses qu’il peut apporter sur des sujets comme la LCB/FT, les paperless policies, le RGPD, la facturation électronique… Ces évolutions réglementaires demandent de mettre en place des outils digitaux performants.
A. C. – «Pour ne prendre qu’un exemple, le règlement AML évolue tellement qu’il serait compliqué de respecter nos obligations réglementaires si nous n’avions pas d’outils pour nous soutenir dans cette tâche. Dès l’entrée en relation avec un potentiel client, nous devons lui demander pourquoi il veut travailler avec nous et quelle est sa raison d’être au Luxembourg. Nous devons comprendre son activité, revoir la structuration de sa clientèle, nous assurer de la provenance des fonds et à quoi ils vont servir. Ces mêmes questions lui seront posées par son notaire, sa banque… Nous sommes tous soumis aux mêmes obligations de contrôle, et cela peut se révéler quelque peu frustrant pour le client.
V. T. – «Il est clair que des améliorations seraient les bienvenues dans ce domaine. Chaque acteur est obligé de faire sa propre due diligence et sa propre analyse de risques par rapport à ce nouveau client, mais on pourrait imaginer la création d’un point d’entrée unique qui permettrait de récolter et de partager certaines données.
L’attractivité des talents est un sujet que le pays doit prendre à bras-le-corps.
Revenons-en au métier. Quelles sont les qualités d’un bon expert-comptable à vos yeux?
A. C. – «Un bon expert-comptable doit être en mesure d’expliquer les obligations et les responsabilités qui incombent à son client. La communication est donc un point essentiel. Il faut aussi savoir écouter, comprendre l’histoire, le vécu de chaque entrepreneur.
V. T. – «Il faut également faire preuve de rigueur, être bien organisé, capable de passer d’une tâche à une autre, d’un sujet à l’autre.
A. C. – «J’insiste sur ce travail d’écoute, qui est finalement primordial. Bien plus que de simples prestataires, nous sommes de véritables partenaires pour nos clients. Il arrive souvent qu’on en sache plus sur la vie professionnelle de notre client que sa propre épouse. Nous avons une vue précise sur sa société, il partage avec nous sa stratégie, ses projets. Il s’agit d’une véritable relation de confiance qui s’installe dans la durée. C’est ce qui rend ce métier si intéressant et agréable.
Voyez-vous d’autres défis à venir?
V. T. – «Le projet de loi ayant pour objet la refonte du droit comptable luxembourgeois applicable aux entreprises, qui a été déposé le 28 juillet dernier à la Chambre des députés, va entraîner de nombreux changements pour notre profession. Le processus législatif de transposition en droit national devrait durer environ un ou deux ans. La loi devrait donc entrer en vigueur vers la fin de l’année 2024 ou en 2025 et serait donc applicable pour la première fois aux comptes annuels et consolidés des sociétés pour les exercices commençant le 1er janvier 2025 ou au cours de l’exercice 2025.
A. C. – «L’un des grands changements apportés par ce nouveau texte est la création d’un nouveau statut de micro-entreprise. Il s’agit d’entreprises dont le chiffre d’affaires net ne dépasse pas 700.000 euros et dont le total du bilan est de maximum 300.000 euros. Ces sociétés seront dispensées d’établir une annexe aux comptes annuels. Il est également proposé de revoir le seuil pour la définition d’une petite entreprise. En parallèle, une obligation d’audit sera instaurée pour la nouvelle catégorie des grandes entreprises holding… Il a aussi été décidé de supprimer purement et simplement la fonction de commissaire aux comptes dans sa forme actuelle pour éviter l’incompréhension de certains investisseurs étrangers quant à la mission de contrôle dévolue au commissaire ou la confusion dans un contexte international entre le commissaire luxembourgeois et des professionnels de l’audit. Mais ce sujet mérite d’être discuté et approfondi.»
V. T. – «Un autre défi, très actuel celui-là, concerne les problématiques liées à l’ouverture d’un compte bancaire au Luxembourg. En termes d’attractivité de la Place, le signal n’est pas le bon. On dit vouloir attirer de nouveaux acteurs sur le territoire et ceux-ci éprouvent les pires difficultés dès l’entrée en relation avec une banque…
Vous parlez d’attractivité. Qu’en est-il du recrutement dans votre secteur?
V. T. – «Il s’agit là encore d’un véritable défi, mais ce n’est pas propre à notre secteur. L’attractivité des talents est un sujet que le pays doit prendre à bras-le-corps et rapidement. Nous avons lu avec attention les propositions du nouveau gouvernement et nous attendons des gestes concrets tant au niveau du logement que de la mobilité des frontaliers et des règles liées au télétravail…»
Les infos-clés à savoir sur le métier
Accès réglementé
Pour pouvoir exercer la profession d’expert-comptable au Luxembourg, le professionnel doit disposer d’une autorisation d’établissement délivrée par le ministère de l’Économie. Pour l’obtenir, il doit respecter trois conditions. Il doit tout d’abord disposer, au minimum, d’un bachelor en études économiques, financières, de gestion, de droit des affaires ou équivalent. Il doit également prouver l’exercice d’une pratique professionnelle de trois ans dans la branche, dont un an au moins auprès d’un expert-comptable dûment établi. Dernier point, il doit réussir le test d’aptitude qui vient clôturer la formation complémentaire des candidats réviseurs d’entreprises et experts-comptables organisée par l’Université de Luxembourg.
Par définition, l’expert-comptable est un prestataire de services indépendant qui, pour ses clients:
• organise, apprécie et redresse les comptabilités et les comptes de toute nature;
• établit les comptes annuels et / ou les comptes consolidés;
• analyse, par les procédés de la technique comptable, la situation et le fonctionnement des entreprises et organismes sous leurs différents aspects économiques et financiers.
Ce faisant, les activités de l’expert-comptable comportent encore bien d’autres services rendus aux entreprises tels que le conseil et la planification en matière de fiscalité directe et indirecte, la domiciliation de société, le contrôle contractuel des comptes, le secrétariat social et l’accompagnement en matière de droit du travail, etc.
Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition de parue le 12 décembre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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