va-t-elle permettre aux généalogistes de se faire une place au soleil de Place? Lydia Waltisperger, directrice et Thierry Jolivalt, généalogiste successoral chez Westrich Gen-Chercheurs d’héritiers l’espèrent. Tout en reconnaissant que la route est encore longue et que faire coïncider deux cultures – celle de la conformité chez les banquiers et les assureurs et celle de la complétude chez les généalogistes – va demander un travail de fonds.
La profession de généalogiste est née du besoin de construire des dévolutions successorales conformes. Et si elle a pris son essor en France il y a quelque 200 ans, ce n’est pas un hasard. La France était à l’époque un pays doté d’un code civil et d’une organisation administrative – État civil, administration fiscale, cadastre, etc. – qui permettait de mener les recherches adéquates.
Au Luxembourg, pour mener des recherches successorales, les généalogistes s’appuient sur différentes sources qu’ils croisent. «Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce métier ne consiste pas juste à chercher, il consiste à recouper» introduit Thierry Jolivalt.
25% des déclarations de successions inexactes
La principale de ces sources est l’état civil qui au Luxembourg regroupe par communes les actes de naissance, de mariage et de décès – des actes qui sont notés dans ce que l’on appelle les tables décennales –. Les généalogistes utilisent aussi les registres de populations – des fichiers qui regroupent des familles entières –, les registres de cimetières, les informations fiscales de l’Administration de l’enregistrement – les déclarations de successions, de donations, de partage ainsi que le cadastre. Ils ont également recours aux informations judiciaires comme des certificats d’hérédité, les jugements de divorce et d’adoption ou encore des dossiers de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité. Ils peuvent également trouver des sources «inhabituelles» comme les vieux recensements ou les dossiers militaires.
Des documents dont la qualité n’est pas toujours à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre. C’est le cas des déclarations de successions, «des outils de recherches censés être fiables, mais qui ne le sont pas tant que ça», explique Thierry Jolivalt. Du moins jusqu’au début des années 80 nuance – t-il.
Pourquoi? Les différentes sources énumérées restaient parcellaires et les notaires faisaient «comme ils pouvaient». Et ce d’autant plus facilement qu’à l’époque, l’immobilier ne valait rien – du moins pas assez pour aller rechercher tel ou tel collatéral ayant émigré dans les pays voisins ou aux États-Unis. Thierry Jolivalt estime que 20% à 25% des déclarations de successions sont ainsi sinon fausses, du moins très incomplètes. «Tout cela est complètement différent aujourd’hui. Avec les valeurs en jeu, on ne peut plus se permettre ça. Les notaires luxembourgeois y font très attention et c’est pour cela qu’ils recourent très souvent à nos services.»
Des sources de plus en plus inaccessibles
L’accès aux infirmations dont a besoin le généalogiste pour travailler n’est pas libre. Il faut avoir des autorisations pour y accéder. Des autorisations délivrées soit par les archives nationales, soit par le procureur d’État principalement pour les actes de l’état civil, soit par le juge de paix pour les actes de l’enregistrement. Et ces dernières années, les accès se sont réduits. Depuis 2016, les fichiers de population sont devenus inaccessibles. «Les avocats ne peuvent plus accéder aux adresses des gens et ne peuvent donc plus assigner quelqu’un. Ils les trouvent plus, on ne leur répond pas. C’est invraisemblable.» La loi sur les archives a fixé un délai de 50 ans pour que celles-ci deviennent publiques. Sauf si on peut démontrer que la personne concernée est décédée depuis plus de 25 ans. «Ce qui n’en nous aide pas pour trouver des gens bien vivants.» Et l’entrée en vigueur du RGPD (Règlement général sur la protection des données) a rendu les institutions hostiles à toute demande d’information. «Tout le monde a peur.»
Conséquence sur le terrain, «vous perdez un temps considérable avec le risque d’être tenté de faire des raccourcis, de ne pas aller au bout, de ne pas croiser toutes les sources…».
Et il ne faut pas compter sur les archives numérisées disponibles en ligne et les sites de généalogie sur internet, «des sites très en vogue, mais rarement fiables à 100%» selon Lydia Waltisperger. «Des outils qui fournissent des indices, mais qui ne permettent pas de faire des généalogies complètes.»
Auxiliaire du notaire et représentant des héritiers
Westrich Gen intervient principalement pour des notaires, des avocats nommés curateurs de succession ou directement pour des héritiers, tout intéressés à retrouver d’éventuels héritiers manquants pour liquider une succession.
Les promoteurs immobiliers recourent également à leurs services. «Au Luxembourg, on trouve beaucoup de terrains qui sont encore inscrits au nom de personnes qui sont décédées il y a 60 ans, voire plus. Des terrains qui ont été oubliés dans des successions et de génération en génération, ces terrains sont restés inscrits au nom de ces personnes décédées en 1920 par exemple. Une époque où le foncier ne valait rien», expliquent Lydia Waltisperger et Thierry Jolivalt. Qui se définissent comme des auxiliaires du notaire ou le représentant des héritiers.
«Pour ces derniers, nous les aidons à faire valoir leurs droits. Contre un pourcentage des sommes à récupérer. Contrairement à un avocat ou le client devront très rapidement verser de fortes provisions, Westrich Gen sera rémunéré lorsque le dossier sera clos. Des dossiers qui peuvent mettre des années à être clos, notamment lorsqu’il y a plusieurs héritiers. Qui plus est ne vivant pas tous au Luxembourg. Nous avons un risque financier extrêmement important. Un dossier que l’on a commencé et qu’on n’a pas fini, pour nous il ne vaut pas un centime, il n’a fait que couter.»
Un généalogiste doit faire face à deux grands problèmes.
Le premier spécifique au Grand-Duché est lié au statut de terre migratoire du pays. Beaucoup de Luxembourgeois ont émigré vers les pays voisins ou vers les États-Unis. «Dans 80% de nos dossiers, nous devons faire des recherches à l’étranger. Et dans 70% aux États-Unis», indique Lydia Waltisperger. «Ce qui rend le temps de recherche très aléatoire.» Il y a aussi les réactions des gens. «Les Luxembourgeois sont des gens très méfiants», indique Thierry Jolivalt. «Au Grand-Duché les gens peuvent venir nous voir et se renseigner, ce qui les rassure. Mais des héritiers installés à l’étranger préféreront souvent nous ignorer, ce qui bloquera une succession.» Les persuader peut se révéler être un véritable défi.
À la conquête de la Place
La loi relative aux «actifs dormants» ouvre de nouveaux débouchés commerciaux aux généalogistes.
Westrich Gen s’y prépare depuis quelques années déjà. La société a été agréée en 2019 Professionnels du secteur de l’assurance (PAS) en tant que régleur de sinistres. «Cela nous a permis d’avoir accès au marché de l’assurance. L’agrément est aussi un label de qualité qui témoigne des bonnes pratiques en matière de sécurisation des données.» Et si Westrich Gen n’est pas agréé PSF (Professionnel du secteur financier) par la CSSF, c’est parce qu’elle n’y peut y prétendre «n’ayant pas une activité financière prédominante». La société est quand même membre de l’ABBL, dans la catégorie C dédiée aux activités auxiliaires du secteur financier.
«Étonnamment, nous n’avons encore travaillé avec aucune banque luxembourgeoise par le passé», indique Lydia Waltisperger «Par contre, des banques étrangères sont venues vers nous, attirées par notre niveau de sécurisation des données. Les banques grand-ducales ont les mêmes demandes en termes de sécurité des données et commencent à prendre contact avec nous.»
Lydia Waltisperger et Thierry Jolivalt s’interrogent sur le contenu des missions qui leur seront éventuellement confiées: «quels seront les montants en jeu, est-ce que la composante internationale sera forte et à quand remonteront des dossiers et quelle sera la qualité des informations sur les titulaires des comptes?» Thierry Jolivalt s’attend à se trouver face à des comptes dont les ouvertures pourraient remonter aux années 30. Une époque où les formalités pour ouvrir des comptes étaient bien plus réduites que celles qui existent aujourd’hui.
L’autre grande question qui se pose sera celle de la profondeur des recherches à mener. Et à ce niveau, deux cultures s’affrontent. Celle des généalogistes, «une culture de l’acte authentique et de la complétude» et celle des banquiers qui est «une culture de la conformité». «Si pour nous une recherche successorale se doit d’être la plus complète possible, les banquiers avec qui nous avons discuté estiment plutôt que la loi ne leur met pas à charge une obligation de résultat. Pour eux, le résultat des recherches doit pouvoir être montré à l’autorité de contrôle et servir de quitus.»
Cet article est issu de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous bimensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.