«Le simple fait qu’on ait évité une hausse catastrophique des prix  favorise surtout les ménages les plus défavorisés puisque la proportion du carburant et des frais de chauffage dans les dépenses est beaucoup plus élevée pour ces ménages», explique Muriel Bouchet, directeur de la Fondation Idea. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/Archives)

«Le simple fait qu’on ait évité une hausse catastrophique des prix  favorise surtout les ménages les plus défavorisés puisque la proportion du carburant et des frais de chauffage dans les dépenses est beaucoup plus élevée pour ces ménages», explique Muriel Bouchet, directeur de la Fondation Idea. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/Archives)

Muriel Bouchet, directeur de la Fondation Idea, fait le point sur la situation économique globale du pays, et revient notamment sur les mesures prises lors des accords de la tripartite et sur le budget 2023.

En avril dernier, à propos de l’impact de l’inflation énergétique sur le budget des ménages. À l’époque, les projections du think tank reposaient sur une stabilité des prix de l’énergie de mars à décembre 2022… Depuis, la crise énergétique n’a cessé de s’aggraver, conduisant notamment, au Grand-Duché, à pour tenter d’endiguer l’inflation. , déposé cette semaine par (DP), est marqué au fer rouge par ce contexte brûlant, que commente pour nous Muriel Bouchet, le directeur de la Fondation Idea. 

La situation s’est-elle détériorée depuis la publication de votre dernier «Décryptage»?

Muriel Bouchet. – «Elle aurait dû massivement se détériorer, car en ce qui concerne les contrats de gaz notamment, comme l’avait expliqué le Statec, en faisant une moyenne pondérée, on aurait dû avoir une augmentation de 80% en octobre, de 10% en novembre et de 30% en janvier 2023. Donc cela aurait fait 2,6 fois plus seulement entre octobre et janvier. Mais l’accord tripartite va permettre d’écraser cette évolution, tout comme sur les prix de l’électricité.

Des mesures salutaires en cette période de crise énergétique?

«Oui, l’instauration du plafonnement de la hausse des prix du gaz à +15%, par rapport aux prix de septembre est une bonne chose, en comparaison à une potentielle augmentation de 2,6 c’est effectivement mieux. Mais cela reste une augmentation de 15%, donc pour certains ménages, la situation est tout de même compliquée, mais le gouvernement a évité une catastrophe. Le gel du prix de l’électricité est également une bonne chose.

Vous expliquiez dans votre analyse que les ménages relevant du premier quintile, soit le quintile comprenant les 20% de ménages les moins favorisés en termes de revenu disponible, consacraient en moyenne 7,7% de leur revenu à l’énergie, ils sont donc les plus fragilisés?

«Oui, le poids des produits énergétiques est beaucoup plus important pour des personnes plus défavorisées, ne fût-ce que le chauffage. Et ces ménages n’ont très souvent pas les systèmes de chauffage les plus modernes et les plus performants. Ils habitent souvent dans des logements mal isolés donc doivent chauffer beaucoup, et se retrouvent dans une sorte de cercle vicieux. Et ce n’est pas parce que vous gagnez cinq fois moins que vous aurez un budget de chauffage cinq fois moins important, c’est même l’inverse. Et de la même manière, en ce qui concerne les carburants, les prix sont très volatils. Donc pour des ménages défavorisés, c’est très exaspérant pour planifier un budget qui est déjà plus serré que celui des ménages plus favorisés.

Quel regard portez-vous sur ces mesures?

«Je dirais que ce sont plutôt des évolutions très défavorables que l’on évite ou qu’on lisse en tout cas, plutôt qu’une véritable amélioration pour les ménages défavorisés. Disons qu’on évite le pire.

Ce sont des montants considérables avec des finances publiques qui sont un peu la variable d’ajustement de tout ça.
Muriel Bouchet

Muriel BouchetDirecteurFondation Idea

Quelles auraient été les solutions pour que la situation s’améliore? Certains observateurs reprochent à ces aides de ne pas être assez ciblées?

«Le simple fait qu’on ait évité une hausse catastrophique des prix, cela favorise surtout les ménages les plus défavorisés puisque la proportion du carburant et des frais de chauffage dans les dépenses est beaucoup plus élevée pour ces ménages. Donc ces aides vont tout de même aider, proportionnellement aux revenus, et avantager les ménages plus défavorisés. Il a aussi été notamment décidé de reconduire la prime énergie en 2023 pour les bénéficiaires de l’allocation de vie chère (AVC), ou encore une adaptation du salaire social minimum à l’évolution du salaire moyen, donc il y a des mesures tout de même ciblées. Mais pour le prix du gaz, même si la hausse est plafonnée à 15%, cela reste une hausse. Si on avait voulu contrer cela de manière plus complète, il aurait peut-être fallu relever davantage le crédit d’impôt énergie octroyé lors de la dernière tripartite, et de le cibler.

Mais globalement, ces mesures répondent-elles à la situation de crise?

«Oui je trouve que face au défi qui est quand même considérable, le gouvernement n’a pas hésité à prendre ses responsabilités. Ce qui a été fait n’est pas rien, le plafonnement du prix n’est pas un détail, sinon on aurait une explosion des prix du gaz en particulier, donc cela permet d’éviter le pire. L’ensemble des mesures va coûter plus d’un milliard d’euros, et cela représente 2,5 milliards d’euros pour les deux tripartites. Donc ce sont des montants considérables, avec des finances publiques qui sont un peu la variable d’ajustement de tout ça.

À l’échelle du pays, ce sont aussi des montants conséquents. La possibilité de mettre en place ce type de mesure est-elle propre au Luxembourg?

«C’est grâce au fait qu’au Luxembourg, il y a une tradition assez rigoureuse avec une dette qui a toujours été historiquement basse par rapport aux pays voisins. Il est à noter qu’elle est tout de même en augmentation depuis la crise financière de 2008-2009 et à la pandémie. Il y a une tendance à la hausse, mais cela reste faible par rapport aux pays voisins. Actuellement, la dette publique se situe à 24,6% du PIB. C’est une leçon pour l’avenir, car cela aide le Luxembourg à pouvoir mettre en place, dans des situations de crise comme celle que nous vivons actuellement, des plans d’urgence qui sont des mesures significatives et qui pèsent, et qui ne sont pas de simples colifichets. Donc ça doit être une leçon. Il importe aussi que dans le futur, on ne laisse pas les finances publiques dériver.

Il faut espérer que d’ici 2024 les choses s’améliorent parce que là, se poserait le problème de la sortie du plafonnement des prix, prévue fin 2023.
Muriel Bouchet

Muriel BouchetDirecteurFondation Idea

Le mécanisme d’indexation est également maintenu en 2023 dans l’accord tripartite.

«Oui, les ménages les plus défavorisés vont pouvoir en bénéficier, mais comme pour eux l’alimentaire et tout ce qui concerne l’énergie représentent un poids particulier, il est possible que l’indexation ne soit pas suffisante dans le contexte que l’on connait actuellement.

Le Statec avait évoqué le risque d’avoir jusqu’à cinq tranches d’indexation dans le pire de ses scenarii, quelles auraient été les conséquences?

«Nous aurions été face à un dilemme considérable avec d’un côté le fait de devoir protéger le pouvoir d’achat des ménages les plus défavorisés. De l’autre côté, c’eût été complètement insupportable pour les entreprises qui connaissent déjà beaucoup de difficultés par ailleurs, et dont certaines ont déjà été affaiblies par la pandémie.

Dans le texte du budget de l’État 2023 présenté ce mercredi 12 octobre par la ministre des Finances , les familles monoparentales n’ont pas été oubliées…

«En effet, le montant maximal du crédit d’impôt monoparental va passer de 1.500 à 2.505 euros, soit une augmentation de 67%. Et le plafond jusqu’auquel un contribuable peut bénéficier de ce montant maximal passe de 35.000 à 65.000 euros. Pour moi, c’est une des mesures marquantes du budget 2023, car c’est une façon de lutter contre le risque de pauvreté.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?

«Je dirais que je suis prudent, et je regarde ce qu’il se passe au niveau des entreprises, de l’État, des ménages, etc. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle escalade de la part de Vladimir Poutine, donc attendons de voir. Et c’est même dans l’accord de la tripartite: il y a une clause de rendez-vous, si les choses continuent à se détériorer, il y aura d’autres réunions d’organisées. Ce qui est certain, c’est que ce mécanisme de plafonnement des prix et autres mesures ne peut pas être répété indéfiniment. Sinon en termes de finances publiques, cela deviendrait ingérable. Il faut espérer que d’ici 2024, les choses s’améliorent parce que là se poserait le problème de la sortie du plafonnement des prix, prévue fin 2023. Et cela a permis de diminuer drastiquement le dilemme lié à l’indexation parce que l’on n’aurait pas pu se permettre d’en avoir trop.»