Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, relativise les risques de récession aux États-Unis. (Photo: Rexecode)

Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, relativise les risques de récession aux États-Unis. (Photo: Rexecode)

À la mi-août, la courbe des taux à deux et à dix ans s’est inversée. Un phénomène souvent perçu comme le signal d’une prochaine récession aux États-Unis. Denis Ferrand, directeur de Rexecode, centre parisien de recherche économique, relativise ce lien et ne voit pas de menace imminente.

On a beaucoup parlé de l’inversion de la courbe des taux aux États-Unis, ce moment particulier où la dette à court terme coûte plus cher que la dette à long terme. Pourquoi ce phénomène serait-il annonciateur d’une récession?

Denis Ferrand. – «Il faut d’abord bien préciser qu’il s’agit d’une observation empirique. Sur les 10 fois où l’on a observé cette inversion de la courbe des taux aux États-Unis, elle a été suivie d’une entrée en récession à 12 ou 18 mois d’intervalle de l’économie américaine. Cette situation explique surtout une fuite vers les actifs les moins risqués. Les titres à long terme sont privilégiés et, comme on anticipe des baisses de taux d’intérêt, les taux à long terme reflètent déjà ce mouvement.

Selon moi, si l’on veut observer un indicateur plus parlant en termes de prévisions de récession, il faut comparer la masse des frais financiers nette payée par les entreprises aux États-Unis à leur marge nette d’exploitation. Quand ce ratio commence à monter, une récession suit systématiquement. C’est cette fois la solvabilité des entreprises qui est remise en question. On observe à ce moment des disparitions d’entreprises et un ralentissement des investissements, c’est un mécanisme économique. On entrevoit actuellement ce phénomène, mais il reste très ténu.

Certains n’hésitent pas à prévoir cette crise. Quels sont les facteurs qui pourraient entraîner une récession aux États-Unis?

«Ce n’est pas le scénario que nous retenons de notre côté. Un ralentissement est possible, mais jusqu’à présent, il reste des éléments de soutien à l’économie, notamment du côté de la dépense des ménages. Mais la croissance ne dépend pas que de cela. À plus long terme, elle est déterminée par les choix d’investissement.

Actuellement, plusieurs moteurs de l’économie américaine ont calé. C’est le cas de l’investissement des entreprises et des exportations, qui sont en train de reculer. Avec, à la clé, une dégradation du solde extérieur. Si la consommation des ménages venait à reculer, on pourrait alors entrer en récession. Mais ce n’est pas notre scénario. On observe encore une dynamique de l’emploi, même si elle ralentit, et les salaires continuent à augmenter. Or, pour l’instant, les entreprises sont capables d’y faire face, notamment grâce aux baisses d’impôt.

Si la consommation des ménages venait à reculer, on pourrait alors entrer en récession. Mais ce n’est pas notre scénario.
Denis Ferrand

Denis Ferranddirecteur généralRexecode

Reste le risque des tensions commerciales...

«Oui, effectivement, ces tensions sont l’épée de Damoclès. Elles font peser un risque important sur les prix de la consommation intérieure. Mais ce scénario échappe complètement aux paramètres budgétaires de pilotage macroéconomique. Le président de la Fed, Jerome Powell, n’a pas dit autre chose à Jackson Hole le 23 août dernier. Selon lui, ce qui peut déterminer la trajectoire de la croissance américaine, c’est la politique commerciale, un élément sur lequel la politique monétaire a très peu de prise.

Le président de la Fed s’est, lui aussi, montré assez rassurant sur la croissance américaine...

«Pour l’instant, on n’observe pas un arrêt massif. Mais on perçoit quand même deux facteurs de risque conjoncturel au niveau de l’investissement. Le premier concerne l’industrie aéronautique et les risques liés à Boeing suite à la crise du 737 Max. Une forte chute des commandes aéronautiques impacte clairement le PIB américain.

Le second est lié à la politique de Trump, qui réclame des prix du pétrole durablement bas pour soutenir les dépenses de consommation des ménages. Mais cette baisse des prix impacte pourtant le pays négativement. On l’a vu en 2016, une année de mini-récession industrielle liée à l’arrêt des dépenses d’investissement dans les entreprises du secteur énergétique après la division par trois du prix du pétrole.

Le pays connaît actuellement sa plus longue période de croissance. À quoi est-elle due?

«Oui, c’est la plus longue, mais à un rythme relativement bas. En moyenne, la croissance annuelle est de 2% entre 2010 et 2019, ce qui reste loin du rythme auquel on était habitué dans les phases de reprise de l’économie américaine dans le passé. C’est sans doute cela qui fait qu’elle a pu durer dans le temps. Elle met du temps avant de produire ses contre-feux, les tensions qui viennent casser la phase de croissance: hausse des salaires et tensions inflationnistes. Ces tensions s’installent peu à peu, mais sans danger actuellement.

Le rythme relativement bas de la croissance américaine explique la plus longue phase de croissance.
Denis Ferrand

Denis Ferranddirecteur généralRexecode

Quelles seraient les premières conséquences en Europe d’une récession aux États-Unis?

«Ce qui serait nouveau en cas de scénario de récession, c’est que les outils grâce auxquels on contrecarre généralement une récession, via la politique monétaire, sont déjà utilisés à plein. Mario Draghi a beau affirmer qu’il dispose encore de tout un arsenal, les taux sont déjà très bas, et l’effet marginal des achats d’actifs se réduit peu à peu. Jusqu’à présent, une récession américaine se transmet inévitablement à l’Europe, avec un décalage de six mois. Mais ce que l’on risque d’expérimenter lorsque viendra la prochaine récession, si elle arrive, c’est qu’on sera privé de l’arme classique de la politique monétaire.»