Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Pour Carlo Thelen, si les sujets d’inquiétude sont nombreux pour les entreprises, la hausse des coûts semble fédérer tous les autres. Dans le contexte actuel, il faut éviter avant tout «d’étouffer la relance» en mettant tout en œuvre pour ne pas malmener la rentabilité des entreprises et la compétitivité du pays, estime le directeur général de la Chambre de commerce.

 À la sortie de l’été, tous les clignotants étaient au vert pour les entreprises. «La reprise était quasi généralisée. Et elle était particulièrement marquée au Luxembourg, avec une hausse du PIB de l’ordre de 6%. Les finances publiques ont bien résisté avec des recettes plus élevées que prévu, des déficits moins importants que ce que l’on craignait encore fin 2020. La vague des faillites n’est pas encore venue, grâce notamment aux aides étatiques», résume Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce.

Depuis, «alors que la relance était forte et l’optimisme élevé», les nuages macro­économiques se sont accumulés. Des nuages qui laissent présager une hausse des coûts avec ses corollaires, tels que la baisse du chiffre d’affaires et de la rentabilité. La hausse généralisée des coûts des matières premières et de l’énergie ainsi que la multiplication des problèmes d’approvisionnement sont à l’origine d’une reprise de l’inflation qui inquiète d’autant plus Carlo Thelen qu’au Luxembourg, «elle déclenche les automatismes sous-jacents au système de l’échelle mobile des salaires, communément appelée ‘indexation’. Celle-ci pénalise doublement la plupart des entreprises: premièrement, du fait du renchérissement des coûts de production, et deuxièmement, à travers une hausse imposée des salaires de 2,5% après chaque déclenchement d’une tranche indiciaire». La querelle d’école entre ceux pour qui la hausse des prix sera transitoire – et de citer la Commission européenne, qui considère que la reprise de la pandémie va freiner la relance, donc résorber les goulots d’étranglement et assécher les tendances inflationnistes – et ceux qui estiment qu’elle ne le sera pas, lui apparaît presque comme secondaire.

De nouvelles idées pour «désindexer»

Ses craintes sont plus dirigées vers les conséquences pour l’économie nationale d’un «impact de second tour» dû à l’indexation. Comprendre: une spirale auto-entretenue d’augmentation des prix, puis des salaires, puis des prix, renforçant d’autant l’inflation.

Un phénomène auquel le Luxembourg est particulièrement sensible. «Dans une économie de services comme la nôtre, répercuter sur le consommateur la hausse des prix est facile», insiste le directeur général de la Chambre de commerce. Qui complète: «Sauf pour les services soumis à la concurrence internationale comme les services financiers.» Dans ce cas, l’intégralité de la hausse due à l’indexation ne pourra pas être répercutée sur le consommateur final. «L’indexation impactera alors directement la rentabilité. Une situation difficile à expliquer à des maisons mères. Les grandes entreprises de services financiers sont souvent des filiales d’entreprises étrangères qui ne comprennent pas ce système.»

Face à cet effet «boule de neige» prévisible, qui place le pays en situation de désavantage «par rapport à d’autres pays qui n’ont pas ce système», la Chambre de commerce va faire de nouvelles propositions «pour rendre le système de l’indexation automatique et intégrale des salaires plus compatible avec les hausses inflationnistes dans une des économies les plus ouvertes au monde, tout en conservant la composante sociale à la base du système». L’inflation? «Si, dans d’autres pays, l’inflation pourrait se calmer sans doute à la fin de 2022, elle va s’installer durablement au Luxembourg. Et ça, c’est quelque chose qui est hautement dommageable pour une économie comme la nôtre, qui vit de ses exportations», ajoute Carlo Thelen. Avec à la clé une perte de compétitivité. Voire d’attractivité de «l’adresse Luxembourg».

Beaucoup de juridic­tions font des efforts pour être attractives, alors que nous, nous restons quelque peu conservateurs. 

Carlo Thelen

Pénurie de main-d’œuvre

L’autre source majeure d’inquiétude pour les entreprises est le manque de main-d’œuvre. Un manque «traditionnel» qui va en s’amplifiant. «Lorsque l’on parle aujourd’hui avec les entreprises, le manque de main-d’œuvre est un grave problème au quotidien. Par exemple, on n’a plus de chauffeurs, les camions restent en stationnement et les entreprises ont de plus en plus de mal à livrer leurs produits. Il y en a qui cherchent depuis des mois du personnel peu ou pas qualifié et qui n’en trouvent pas. Et c’est la même situation pour du personnel hautement qualifié où une vraie guerre des talents se déroule au niveau européen, sans oublier la concurrence de l’État où les salaires d’entrée sont toujours très élevés. Mais même eux ont manifestement des problèmes de recrutement.»

«Cette disponibilité insuffisante de main-d’œuvre au Luxembourg, dans un contexte également marqué par des flux transfrontaliers, dont le développement fulgurant des dernières décennies semble toucher à sa fin, porte en elle une pression supplémentaire sur les coûts de production pour les entreprises.» Un sujet qui amènera la Chambre de commerce à lancer un groupe de travail dans le courant de l’année pour analyser les sources du problème et trouver des solutions. La digitalisation figure peut-être parmi les pistes à explorer. «Si, il y a une dizaine d’années, les gens avaient peur de la digitalisation parce qu’ils pensaient que cela allait détruire des emplois, aujourd’hui on est bien content qu’elle existe car elle soulage la tension sur le marché du travail et contribue à contenir l’inflation. La digitalisation soutient le développement économique et je crois qu’on peut aller encore plus loin en industrialisant davantage des processus pour transférer des ressources des tâches répétitives vers des secteurs où le recours à la digitalisation est moins possible. Le grand défi est de pouvoir orienter les gens, notamment en recourant à la formation, vers des postes où l’humain prime.»

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce. (Photo: Mike Zenari) 

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce. (Photo: Mike Zenari) 

Menaces fiscales

Une autre menace plane sur le couple coût-compétitivité: l’évolution de la fiscalité.

Les tendances internationales «tracassent» Carlo Thelen. «Beaucoup de juridictions font des efforts pour être attractives alors que nous, nous restons quelque peu conservateurs.»

Alors que la réforme fiscale est reportée sine die pour cause de pandémie, la Chambre de commerce a fait des propositions sur les changements à court terme bénéfiques aux entreprises qu’il conviendrait d’apporter au système, «afin de le rendre plus simple, plus transparent et plus facile pour les entreprises avec le moins de déchet fiscal possible». Sans retour pour l’instant. Sur le front national, une hausse des impôts semble inévitable d’un point de vue macroéconomique. Cette perspective hérisse Carlo Thelen: «Ce serait la pire des choses pour les entreprises» pour qui, en matière de taux moyen global d’imposition des sociétés, «le Luxembourg n’est plus du tout compétitif». Et le patron de la Chambre de commerce de plaider pour une baisse de la fiscalité pour les entreprises et pour un système qui permettrait d’attirer ces talents dont l’économie semble manquer.

D’autres menaces pèsent encore sur l’évolution des coûts des entreprises, comme la transition énergétique et la fiscalité associée – dont la taxe carbone – ou la reprise de la pandémie. Au-delà du manque à gagner qui se dessine pour les secteurs de la restauration, de l’événementiel et des voyages d’affaires «qui ont déjà beaucoup souffert», le directeur général de la Chambre de commerce s’inquiète des coûts que va générer la politique de CovidCheck 3G (3G pour «geimpft, genesen, negativ getestet», soit «vacciné, guéri, testé»). «Même si les tests ne sont pas à la charge des entreprises, il faut les organiser. Et beaucoup d’entreprises vont devoir avoir recours à des sociétés tierces pour le faire.»

Pour les mois qui viennent, Carlo Thelen espère que «nous pourrons éviter d’étouffer la relance sous l’effet des différentes pressions sur les coûts de production des entreprises. Nombreuses sont celles qui sont malmenées par les multiples impacts de la crise. Il faut se féliciter de la prolongation des régimes d’aides en faveur des entreprises les plus touchées et de leurs salariés, alors que le grand défi à moyen terme consiste à améliorer constamment et concrètement l’attractivité de notre économie, ainsi que la compétitivité et la rentabilité de nos entreprises. Il s’agit là du meilleur remède pour garantir la cohésion sociale.» 

Cet article a été rédigé pour l’  parue le 16 décembre 2021.

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