Avec son Critical Medicines Act (loi sur les médicaments critiques), la Commission européenne veut soutenir la fabrication de médicaments critiques, principalement les antibiotiques, l’insuline et les analgésiques, et améliorer leur disponibilité. Un objectif stratégique au sens premier du terme, tant les épisodes de pénurie de tel ou tel médicament en Europe ou dans certains pays se multiplient. Comment ? En surmontant les défis liés au manque de capacités de production en Europe, aux défaillances des chaînes d’approvisionnement et à la concurrence mondiale pour les ressources.
Concrètement – sans que l’on connaisse encore les modalités d’application – cela passera par l’amélioration des capacités de production grâce à des projets stratégiques ; par le recours aux marchés publics pour fiabiliser les chaînes d’approvisionnement des médicaments essentiels ; par le soutien aux achats collaboratifs afin de garantir un accès équitable aux médicaments importants ; et par la conclusion de partenariats internationaux pour réduire la dépendance à l’égard d’un nombre limité de fournisseurs.
Accueil contrasté
Le texte était très attendu et, dans un contexte où les questions de sécurité et de défense dominaient l’agenda et l’attention des parlementaires, il a su exister et attirer l’attention. Beaucoup y ont vu une ordonnance à moitié pleine, d’autres une prescription à moitié vide.
À la tribune, (Les Verts/ALE), vice-présidente de la toute nouvelle commission permanente de la santé du Parlement européen, s’était montrée très déçue : « Ce projet est un exemple parfait de ce que l’on obtient lorsqu’on rédige une législation à la va-vite. Alors que les défis liés à la disponibilité des médicaments critiques sont nombreux, que les attentes des patients et de l’industrie pharmaceutique en matière de solutions efficaces sont aussi élevées que ces défis, les mesures proposées sont en deçà des attentes et trop faibles. Rien dans ce texte ne permettra d’améliorer la disponibilité des médicaments. »
Au sortir de l’hémicycle, la députée européenne a détaillé ses critiques et concédé quelques bons points au projet du commissaire à la Santé, Olivér Várhelyi.
L’argent, nerf de la guerre
Sa première critique est liée au financement – ou plutôt au manque de pistes relatives au financement de ce texte –. «Pour sortir de notre dépendance envers des pays tiers hors UE, notamment en ce qui concerne les principes actifs, il faut ramener la production au sein de l’Union européenne. Mais pour ça, il faut un budget spécifique et le CMA ne donne aucune solution. C’est un vrai manque. On aurait pu mettre à contribution les programmes EU for Health, le Cohesion Fund, Horizon Europe ou même InvestEU. Dommage.»
Beaucoup de voix ont, depuis le début de cette session plénière, lié les problématiques de défense et de sécurité à la question des médicaments critiques. Un moyen de pouvoir bénéficier des Un accès que Tilly Metz juge peu probable. «Si on applique les critères de l’OTAN, tout ce qui relève de la santé est exclu.»
La députée voudrait, en matière de défense, une approche plus «holistique». «Nous devons ajouter à l’approche de militarisation de l’Otan d’autres éléments comme la mobilité, la sécurité énergétique, la sécurité alimentaire et ce qui nous occupe aujourd’hui, l’accès aux soins et aux médicaments.»
Onze États membres partagent cette analyse: la Belgique, la République tchèque, Chypre, l’Estonie, l’Allemagne, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, le Portugal, la Slovénie et l’Espagne ont demandé que le Critical Medicines Act soit intégré dans les efforts plus larges de l’UE en matière d’autonomie stratégique et de sécurité, plaçant ainsi la mesure sous l’égide du financement de la défense. Ils veulent transformer l’initiative en un programme stratégique à part entière, soutenu par le financement de la défense de l’UE.
Des précisions à apporter
La deuxième critique est liée à l’absence d’une vision du stockage à l’échelle européenne, «ce qui permettrait d’éviter que certains pays, prenons au hasard l’Allemagne, constituent des stocks énormes de certains produits alors que d’autres États membres doivent faire face à des pénuries».
Au rayon des satisfactions, il y a pour Tilly Metz la possibilité de faire bénéficier les médicaments figurant sur la liste des médicaments «critiques» d’aides spécifiques à la production émanant de l’Agence européenne des médicaments. «Mais tout cela reste en l’état très vague.»
Autre point positif, ce sont les appels d’offres en commun. Une réminiscence du Covid. Il en existe de deux sortes: les appels d’offres simplifiés, dans lesquels la Commission européenne négocie et les États signent les contrats, et les appels d’offres en commun, dans lesquels la Commission européenne négocie et signe.
Sur la question de la conclusion de partenariats stratégiques, Tilly Metz juge le principe bon. «Même si la volonté de relocalisation de la production de médicaments est là, on sait que l’on n’arrivera jamais à une indépendance totale par rapport aux gros producteurs situés hors de l’UE.»
(Ndlr: L’Europe est dépendante pour 70% à 80% de ses médicaments de l’Asie et de la Chine. 80% à 90% des antibiotiques utilisés dans le monde y sont fabriqués.)
Mais elle regrette le flou qui entoure encore le choix de ces partenaires, tout comme elle regrette que les subventions promises aux industriels pour soutenir la relocalisation de la production ne soient pas assorties en retour d’obligations, notamment en termes de transparence quant aux chaînes de production et aux coûts. «C’est une discussion que nous avons déjà eue avec le paquet Pharma. Comme je le dis toujours, sans ces obligations, nous paierons trois fois: avec de l’argent public pour le développement, avec nos données et avec le prix du médicament.»