Sur le site de la Rout Lëns, les Keeseminnen sont les bâtiments situés le long de la voie de chemin de fer (à droite sur cette photo). (Photo: Nader Ghavami/Archives Paperjam)

Sur le site de la Rout Lëns, les Keeseminnen sont les bâtiments situés le long de la voie de chemin de fer (à droite sur cette photo). (Photo: Nader Ghavami/Archives Paperjam)

Le projet de la Rout Lëns à Esch-sur-Alzette poursuit son développement. Mais la démolition des accumulateurs à minerai dits «Keeseminnen» provoque le mécontentement de défenseurs du patrimoine industriel.

C’est sur le site dit Terres Rouges, à Esch-sur-Alzette, juste à la frontière avec la France, que le promoteur  est en train de développer , en partenariat avec la Ville d’Esch-sur-Alzette et . Le site présente plusieurs vestiges industriels. Pour certains d’entre eux, à savoir le Hall des turbines, le Hall des soufflantes, le magasin TT, les portiques de la Möllerei et le poste d’aiguillage, un programme de conservation et de réhabilitation est déjà prévu.

«Le Service des sites et monuments nationaux est venu au printemps 2018 visiter le site de la Lentille Terres Rouges afin de décider quels étaient les bâtiments à conserver au vu de leur valeur patrimoniale», explique Sandra Huber, chargée du projet Rout Lëns chez Iko. «Suite à cette visite, le ministère de la Culture a envoyé un courrier le 26 juin 2018 dans lequel il propose de classer comme monument national le bâtiment TT situé à l’entrée du site, procédure qui est toujours en cours. De plus, les bâtiments qui nécessitent une protection sont clairement indiqués dans la modification ponctuelle du PAG Rout Lëns approuvée le 5 juillet 2019 par le conseil communal de la Ville d’Esch-sur-Alzette», précise Sandra Huber.

Mais d’autres bâtiments sont également présents sur le site, dont les Keeseminnen, anciens accumulateurs à minerai. Ce sont ces vestiges qui sont aujourd’hui au cœur d’une protestation.

Des travaux en cours

Actuellement, le site est en préparation et des démolitions sont en cours, dont celles des Keeseminnen, une démolition qui n’est pas au goût de tous. L’association Industriekultur-CNCI s’oppose à la disparition de cet «exemple caractéristique du patrimoine industriel» et a manifesté son opposition par voie de communiqué de presse. Par ailleurs, une lettre ouverte, signée par plusieurs signataires et menée par Sacha Pulli et Denis Scuto, a été envoyée au conseil municipal d’Esch-sur-Alzette le 5 mai dernier pour s’opposer à leur disparition. Un piquet de protestation sur le site a également été organisé le 30 avril.

Une demande de protection des Keeseminnen a été formulée le 10 mars 2020 par Dan Cao, Gino Pasqualoni, Denis Scuto, Jacques Maas, Do Demuth et Henri Clemens auprès du ministère de la Culture qui a accusé réception de celle-ci le 1er avril. Cette demande est toujours en cours d’examen.

«Nous souhaitons que la destruction soit mise en suspens au moins le temps que le ministère de la Culture formule son avis sur la protection de ces bâtiments», précise Sacha Pulli interrogé par téléphone, auteur et cosignataire de la lettre ouverte. «Si nous tenons compte de la nouvelle loi sur la protection du patrimoine qui est en cours d’adoption par le gouvernement, les Keeseminnen remplissent quasi tous les critères pour obtenir une protection patrimoniale», explique-t-il. «Le besoin d’attendre cette décision nous semble donc important.»

Pourtant, cette demande de protection intervient bien après la période légale des recours où des oppositions peuvent être formulées sur un projet de développement, à savoir jusqu’à trois mois après son introduction à la commune. «En absence de recours au tiers, nous avons pu enclencher le processus de préparation du terrain qui inclut la démolition de ces bâtiments», a expliqué par téléphone Pascal Moisy, chargé de communication pour ArcelorMittal qui est encore actuellement propriétaire du terrain, maître d’ouvrage des travaux de démolition et en charge de la dépollution du terrain.

«Nous reprochons à la Ville d’Esch et à ArcelorMittal d’avoir profité de cette période de crise pour entamer les travaux de démolition sans en avertir la population», rétorque Sacha Pulli. Mais ArcelorMittal assure suivre simplement le calendrier prévu pour ce projet, calendrier qui a dû être mis en suspens comme tous les autres chantiers du pays suite à la pandémie de Covid-19 et qui a pu de nouveau reprendre depuis le 20 mars.

De l’amiante dans les Keeseminnen

Autre problème soulevé par l’asbl Industriekultur-CNCI: celui de la présence d’amiante dans ces bâtiments. Dans leur communiqué de presse, ils écrivent «qu’aucune mesure de désamiantage n’a précédé» la démolition. Ce à quoi ArcelorMittal répond: «Le bâtiment présente en effet de l’amiante dans le toit et un processus adéquat a été mis en place pour sa démolition. Le désamiantage a été soumis à l’ITM qui nous a donné son accord et sa validation pour procéder au désamiantage et à la démolition.» Toutes les conditions semblent donc rassemblées pour procéder à la destruction de ce bâtiment en toute sécurité et en conformité au règlement actuellement en vigueur.

La conservation du patrimoine, un sujet délicat

«Le choix de conserver ou démolir les anciens bâtiments industriels présents sur le site tient à plusieurs critères», explique Sandra Huber, chargée du projet Rout Lëns pour Iko.

«Tout d’abord, leur valeur patrimoniale, leur état général et enfin les possibilités de réemploi qu’ils offrent. L’objectif ici n’est pas de sacraliser ce patrimoine, mais bien de le réintégrer dans notre époque en lui offrant non seulement une nouvelle vie et de nouvelles fonctions, mais aussi un avenir. Il s’agissait d’ailleurs d’une des conclusions des workshops menés il y a un an et qui a été formulée ainsi: ‘Réaffecter les immeubles anciens avec des fonctions ouvertes et vivantes. Éviter une ‘mise sous cloche’ du patrimoine.’ Un soin particulier a été porté pour conserver le maximum de bâtiments sur ce site et le coût associé à la rénovation des façades et toitures de ces bâtiments, hors aménagements intérieurs, est actuellement estimé à environ 15 millions d’euros», précise Sandra Huber.

Si cette contestation de démolition des Keeseminnen semble arriver bien tard dans le processus pour être recevable, elle a du moins le mérite de reposer la question de la conservation de notre patrimoine bâti et de l’intérêt que la population porte à ses vestiges industriels. Mais l’avenir des Keeseminnen semble plutôt compromis.