Maxime Durant, 45 ans, a quitté Michael Page après plus d’une quinzaine d’années pour piloter le lancement au Luxembourg de Lincoln Group, qui boucle ainsi son tour d’Europe des places financières. (Photo: Lincoln)

Maxime Durant, 45 ans, a quitté Michael Page après plus d’une quinzaine d’années pour piloter le lancement au Luxembourg de Lincoln Group, qui boucle ainsi son tour d’Europe des places financières. (Photo: Lincoln)

Nommé general manager du cabinet de conseil Lincoln, tout nouvel acteur sur le marché luxembourgeois du recrutement, Maxime Durant décrypte la stratégie d’expansion de la firme française et les évolutions en cours en matière d’«executive search».

Objectif de l’arrivée de Lincoln au Grand-Duché? «Consolider notre présence au Benelux», indiquait le deputy CEO, Jérôme Bouin, lors de l’officialisation de l’implantation de la firme française, fin avril. Créé en 1992, le cabinet de conseil spécialisé en «leadership advisory», «executive search» et «executive interim management» dispose désormais, avec le démarrage de ses activités ici, de douze bureaux dans dix pays.

Les clés de ce lancement ont été confiées à Maxime Durant (45 ans) nommé général manager. Auparavant, ce chasseur de têtes expérimenté, ancien diplômé d’école de commerce à Paris, exerçait des fonctions dirigeantes au sein de Michael Page Luxembourg, dont il était le senior director depuis 2016 et qu’il avait intégré dès 2008. Mais l’histoire ne dit pas si, avant de rejoindre Lincoln, lui-même a été «chassé»…

Quelle est la stratégie de Lincoln à l’international?

Maxime Durant. – «En trente années d’existence, le cabinet Lincoln a beaucoup grandi, avec désormais plus de 250 agents de talents. Après s’être positionné comme l’un des référents européens du conseil en talent management, Lincoln s’est rapidement ouvert à l’Asie avec l’installation d’un bureau à Shanghai en 2010. Une présence renforcée par la suite en Chine et sur la zone Asie Pacifique. La récente acquisition de Cooper Fitch aux Émirats arabes unis accroît encore la dimension internationale du groupe, dans une zone de plus en plus stratégique et dynamique économiquement.

Cette dernière année a été marquée par l’ouverture de trois nouveaux bureaux: Genève, qui renforce la présence de Lincoln en Suisse avec le bureau de Zurich déjà présent; la réouverture du bureau de Marrakech, pour opérer stratégiquement sur de nombreux pays d’Afrique; et enfin le Luxembourg.

L’objectif de Lincoln à l’international est de soutenir la communauté de talents à travers le monde, en leur offrant des opportunités de mobilité internationale et en favorisant leur développement global.

En quoi le Luxembourg constitue-t-il une opportunité intéressante?

«Il s’agit d’un acteur majeur du développement économique de l’Europe, on se doit donc d’y être présent. La deuxième raison tient aux synergies. Zurich, Genève, Paris… Historiquement, Lincoln a une présence forte sur les places financières. Avec le Luxembourg, nous complétons cet axe. Autre axe que nous consolidons: le Benelux. Nous sommes implantés à Bruxelles depuis 2008 et présents aux Pays-Bas depuis deux ans avec l’acquisition des pure players The Executive Network et WHYZ, il manquait le Luxembourg. Dernière raison: le pays constitue un marché à forte expansion, à fort dynamisme.

Quelles singularités identifiez-vous ici?

«La singularité forte, c’est que le Luxembourg, par essence, représente un marché très international, avec des cultures très différentes. En résultent des différences d’approche très prononcées. Cela demande d’être agile en termes de compréhension des besoins. Des sociétés ont des volontés de recrutement très rapide où l’efficacité et le temps priment. D’autres se situent davantage sur un temps long, avec une approche un peu plus portée sur les soft skills que sur les hard skills. Il convient de s’adapter. C’est ce qui est attrayant au Luxembourg, et très excitant: il faut trouver une philosophie qui parle à tout le monde.

Un recruteur doit plus que jamais être l’ambassadeur de la marque employeur de son client pour attirer les bons profils.
Maxime Durant

Maxime Durantgeneral managerLincoln

Quels sont vos engagements en matière d’offre différenciante par rapport à la concurrence?

«La philosophie de Lincoln, c’est de mettre le talent au cœur de sa stratégie. La relation se fait avec un talent qui peut être candidat à un moment de sa vie et client à un autre. Et quels que soient ces moments de vie, il aura, chez Lincoln, un agent pour l’accompagner afin de faire ressortir tout son potentiel. On souhaite installer une relation de confiance entre le talent et son agent.

Quels types de profils font appel à vos services? Et quels types de sociétés?

«Services financiers, banque, assurance, fonds, mais aussi industrie… Côté entreprises, tous les secteurs d’activité au Luxembourg sont concernés. Côté candidats, ce sont essentiellement des profils de leadership et de manager qui correspondent à notre positionnement d’’executive search’.

Vous avez vingt ans de métier derrière vous. Recrute-t-on différemment aujourd’hui qu’à vos débuts?

«L’approche est différente. On a aujourd’hui accès à des données qui étaient inexistantes il y a 20 ans. À l’époque, il fallait mettre en place des stratégies pour récupérer des noms de candidats, des numéros de téléphone, des adresses, et ainsi pouvoir les contacter directement. L’accès à ces données est à présent simplifié. La complexité de l’approche directe et de la chasse aujourd’hui est donc moins d’identifier des candidats que d’être différenciant pour les attirer, certains profils étant surcontactés! Un recruteur doit plus que jamais être l’ambassadeur de la marque employeur de son client pour attirer les bons profils.

En outre, le rapport de force a changé. Il y a 20 ans, il était en était en faveur des sociétés qui recrutent. À présent, les candidats sont les maîtres du jeu. Tout notre mindset doit être orienté talent.

Cette «position de force» que vous évoquez inclut-elle les prétentions salariales? 

«Effectivement, oui. Le salaire est un argument, mais un argument qu’il est difficile pour les sociétés de maintenir, aujourd’hui. On arrive à un tel niveau, notamment au Luxembourg, que cela devient très compliqué de trouver le juste ratio entre compétences, responsabilités et rémunération. Mais, oui, le marché étant en pénurie, les candidats de valeur se sentent désirés, ils ont donc des exigences de plus en plus élevées, que ce soit à l’embauche ou dans la rétention des talents internes. C’est une équation difficile à gérer pour nous, recruteurs, car on se retrouve de temps en temps devant des attentes de candidats qui ne sont pas toujours alignées avec les réalités du marché. Notre rôle, c’est d’essayer de les relativiser.

Grâce à notre base de données, nous sommes également en mesure de donner, aux entreprises comme aux talents, des indicateurs sur la réalité des salaires.

On oublie parfois la partie soft skills, qui fait que le recrutement sera un recrutement long terme ou pas.
Maxime Durant

Maxime Durantgeneral managerLincoln

Dans les process qui sont les vôtres, quelles perspectives ouvre l’essor des nouvelles technologies?

«On s’y prépare de manière très positive, car ce sera un support permettant d’identifier encore mieux les candidats, et encore plus vite, et de faire un match, avec l’intelligence artificielle, entre une «job description» et un talent. Cela évolue, cela évolue très vite même, pour autant rien n’enlèvera la capacité d’évaluer de manière humaine les soft skills d’un candidat. Et je pense qu’il faut qu’on remette ces soft skills au centre du jeu. Aujourd’hui, le marché va très vite. On recrute beaucoup sur des hard skills, donc sur des compétences techniques. On coche des cases, on remplit un cahier des charges. Mais on oublie parfois la partie soft skills, qui fait que le recrutement sera un recrutement long terme ou pas. Les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle ne changeront pas ça.

Quelles sont les traductions déjà concrètes, par exemple sur l’IA?

«Nous avons déjà effectué pas mal de développements internes, Lincoln a misé tôt sur le développement de solutions digitale/IA pour répondre à tous ses enjeux. Quelques exemples… Pour nos talents internes, avec le développement de Match-e, un algorithme interne qui détecte les opportunités pour nos candidats. Par la création d’un club IA au sein de Lincoln, dans un objectif de formation interne et de développement de nouvelles solutions tech. Pour nos talents externes, avec des solutions de «personal branding». Nous avons créé une plateforme innovante, Talent-e, nous utilisons l’IA pour booster le leadership digital de nos talents, notamment via la création de contenus hyper-personnalisés

La fameuse «guerre des talents» que se livre le marché est-elle plus féroce chez les cadres de haut niveau qu’ailleurs?

«Au contraire. La guerre des talents, je la situe essentiellement sur les rôles opérationnels et de middle management. Sur les fonctions de dirigeant, c’est moins le cas parce que le marché est un peu plus ‘classique’, le nombre de postes beaucoup plus réduit. En conséquence, les opportunités de changement ne sont pas légion sur une année. Quand on arrive avec la bonne approche, le bon discours et la bonne offre, les choses ne vont pas forcément au bout mais, en tout cas, on a l’écoute des candidats. Sur les fonctions de middle management et opérationnelles, vous n’avez parfois même pas l’écoute du candidat.

Je pense que le rapport de force entre candidats et employeurs va se normaliser également.
Maxime Durant

Maxime Durantgeneral managerLincoln

En quoi les attentes et demandes de vos clients ont-elles évolué, elles aussi, ces dernières années?

«S’est manifesté, ces quatre ou cinq dernières années, un besoin opérationnel très fort de la part des sociétés. Il y a eu, à un moment donné, une course aux talents qui a pu être néfaste parce que lorsqu’on mène cette course, on ne prend pas le temps d’analyser le recrutement sous tous ses angles. Donc il n’est pas forcément long terme et efficace. Actuellement, les choses reviennent un peu à la normale. Le marché est moins porteur, le besoin opérationnel se fait moins fort. On revient à un rythme de recrutement un peu plus long terme.

Un cadre qui n’aurait jamais fait l’objet d’une tentative de «débauchage» doit-il se sentir vexé?

«Le tout, dans une carrière, c’est d’évoluer. Beaucoup de candidats effectuent 15 ou 20 ans dans la même société, mais à des postes différents. Et puis, la fidélité entraîne la fidélité… Quand pour un poste on contacte une personne présente dans la même entreprise depuis une dizaine d’années, on se montre peut-être plus hésitant que lorsqu’on le fait avec une personne qui a l’habitude de changer tous les deux ou trois ans. Ou bien, peut-être que tout simplement son profil sur les réseaux sociaux professionnels n’est pas optimal… Nous accompagnons également les talents sur ce sujet avec une formation dédiée.

Comment envisagez-vous l’avenir?

«Le recrutement restera une compétition intense, c’est une certitude. Mais selon moi, cette compétition va se normaliser. On a atteint un pic ces dernières années parce que la pénurie de talents a fait que le marché était très complexe. Je pense que le rapport de force entre candidats et employeurs va se normaliser également, à tous les échelons, parce que chacun se réinvente. Les entreprises le font pour parler aux nouvelles générations et aux nouvelles exigences des candidats. Du côté candidat comme du côté client, les éléments vont s’aligner pour faire en sorte que le recrutement s’effectue de manière plus légère, moins contrainte, en prenant un peu plus le temps de l’analyse, pour être sûr d’aboutir à un mariage à long terme.»