Henri Dewaerheijd revient sur l’évolution des technologies de paiement. Au Luxembourg, 62% des transactions se font sans contact, contre 80% dans le reste de l’Europe. (Photo: BG Photography)

Henri Dewaerheijd revient sur l’évolution des technologies de paiement. Au Luxembourg, 62% des transactions se font sans contact, contre 80% dans le reste de l’Europe. (Photo: BG Photography)

En 2020, Mastercard a enregistré 90 milliards de transactions dans le monde, soit 2.850 paiements par seconde. Depuis 60 ans, les technologies de paiement anticipent ou suivent les habitudes des consommateurs. Du sabot à la tokenisation, le point avec Henri Dewaerheijd, country manager chez Mastercard Belux.

Où et comment est née Mastercard? À cette époque, quelles étaient les habitudes de paiement des consommateurs?

Henri Dewaerheijd. – «C’est en 1965 qu’Eurocard International N.V., basée à Bruxelles et regroupant des banques européennes, a été créée. La première ébauche a été l’Interbank Card Association en 1966 aux USA. En 1968, Eurocard International et l’Interbank Card Association ont conclu une alliance stratégique selon laquelle les cartes des deux émetteurs seraient acceptées sur les deux réseaux. De là est arrivée la carte plastique embossée avec un numéro que l’on passait dans un sabot. L’empreinte au sabot a perduré jusque dans les années 90. En parallèle, les habitudes de paiement par argent liquide étaient majoritaires, surtout dans les commerces. En 1969, IBM a conçu la bande magnétique qui a permis aux premiers ordinateurs de relier le numéro de carte à un compte bancaire nominatif avec date d’expiration. Pendant longtemps, l’usage de la carte bancaire a surtout concerné les retraits d’argent dans les guichets automatiques.

Sur les petits montants, le Luxembourg a encore du chemin à faire puisque 54% des transactions se font encore en cash.
Henri Dewaerheijd

Henri Dewaerheijd country manager Mastercard Belux

À partir de quand le paiement par carte à la caisse des commerces s’est-il vraiment développé?

«Les Français ont inventé la puce électronique en 1990. Ce qui a permis la création d’un consortium EMV (EuroPayments, Mastercard & Visa) qui a renforcé la sécurisation des paiements, puisqu’à partir de là, les données de la carte ont été chiffrées. Et il fallait compléter les informations contenues dans la puce par un code PIN. Les transactions sont restées certes interceptables, mais pas décodables. Les années 90 ont vu exploser le nombre de paiements par carte suite à un plébiscite des commerçants. Aujourd’hui, Mastercard est présente dans 210 pays et utilisée par environ 40 millions de commerçants.

L’évolution technologique des cartes de crédit a-t-elle induit une hausse des transactions, ou est-ce la hausse des transactions qui a poussé à l’évolution technologique?

«C’est la technologie qui a permis d’augmenter le nombre de transactions. Aujourd’hui, vous payez un parcmètre ou un ticket de bus par carte, grâce à des bornes de paiement adaptées aux petits montants. En 2020, on a enregistré 90 milliards de transactions dans le monde, soit 2.850 paiements par seconde avec une Mastercard (Mastercard représente 30% des parts de marché des cartes bancaires, derrière Visa qui détient 60% et devant American Express à 3%, ndlr). Depuis 2010, c’est le paiement sans contact qui prend le dessus avec environ 80% des transactions en Europe. Au Luxembourg, cela représente seulement 62%. Sur les petits montants, le Luxembourg a encore du chemin à faire puisque 54% des transactions se font encore en cash. Aux Pays-Bas, 50% des transactions par carte sont de moins de 10 euros.


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En matière d’utilisation de la carte, qu’est-ce qui relève des règles propres à chaque banque, et ce qui relève de Mastercard?

«Notre rôle, c’est la standardisation de l’expérience. Nous sommes une entreprise technologique. Nous assurons le service et la sécurité dans la transaction. La banque, elle, s’adapte aux circonstances du marché et définit la politique de prix de la carte. Plus la carte est chère, plus il y a de services associés pour le client. Assurance en cas de perte ou vol, voyage/rapatriement, conciergerie ou achats en ligne… Chaque banque choisit comment elle veut customiser son offre. La nouvelle génération va davantage se tourner vers des banques en ligne ou des cartes gratuites (Revolut, N26…), même si la relation bancaire n’y est pas complète, ce système leur convient.

Il est déjà possible de lier son compte crypto à une Mastercard.
 Henri Dewaerheijd

 Henri Dewaerheijd country manager Mastercard Belux

À l’heure où l’on parle de cryptomonnaies, la carte bancaire est-elle dépassée?

«Non, car il est déjà possible de lier son compte crypto à une Mastercard. Aujourd’hui, le paiement se fait en euros, financé par un avoir en cryptos. À moyen terme, notre objectif est d’intégrer les cryptomonnaies sur notre propre réseau, qui comporte déjà plus de 150 devises en monnaies courantes, et d’aller vers un système qui permettrait de payer directement du consommateur au marchand.

Cela ne risque-t-il pas de poser des problèmes de stabilité et de sécurité pour les utilisateurs de cartes?

«Bien sûr, c’est pourquoi c’est un sujet sur lequel nous travaillons en lien avec la réglementation contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent. Ici, cela se fera en étroite concertation avec la CSSF ou la BCE, sous certaines conditions. D’abord en ce qui concerne la volatilité, on ne peut pas se permettre de générer une monnaie instable, nous voulons qu’elle puisse garantir la protection du consommateur. Nous restons dans la réflexion, mais nous allons sans doute nous tourner vers les stablecoins ou les cryptomonnaies émises par les banques nationales. La première transaction Mastercard a été émise par la Banque centrale des Bahamas en sand dollars. 

En 2024, les bandes magnétiques vont disparaître.
 Henri Dewaerheijd

 Henri Dewaerheijd country manager Mastercard Belux

Quelles seront les technologies de paiement demain?

«Nous avons déjà refusé une demande d’implantation de puce dans un corps humain… Donc ce n’est pas l’idée. En 2024, les bandes magnétiques vont disparaître. Il y a toujours un dilemme entre facilité d’utilisation et risques, mais dans l’ensemble, on va plutôt vers la dématérialisation totale. On a permis aux banques de faire des tests pilotes avec des codes dynamiques sur cartes, mais ces technologies ont été vite rattrapées par le téléphone. Lorsqu’Apple Pay a été lancée en 2014, nous avons digitalisé et sauvegardé leur carte dans le téléphone des utilisateurs. L’Apple Card ne possède déjà plus aucun numéro visible…

La reconnaissance biométrique et les codes d’accès au téléphone assurent une barrière de sécurité supplémentaire s’ajoutant à celles proposées par Mastercard et les banques et l’authentification à double facteur. Ce type de paiement mobile représente aujourd’hui 25% des transactions en Europe. Les assistants vocaux (Ok Google, Alexa…) et certains véhicules en sont déjà équipés. Le futur des paiements va vers le tout-dématérialisé, l’invisibilité et la tokenisation. On pourra utiliser n’importe quel objet support pour y sauvegarder ses données bancaires et effectuer un paiement via un porte-clés, un doudou, une montre, mais aussi des objets connectés comme une imprimante ou une machine à café…»