Trois acteurs luxembourgeois proposent désormais des masques chirurgicaux fabriqués dans le pays. Des produits qui n’ont pas toujours la faveur des grands clients potentiels. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Trois acteurs luxembourgeois proposent désormais des masques chirurgicaux fabriqués dans le pays. Des produits qui n’ont pas toujours la faveur des grands clients potentiels. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Les machines à masques luxembourgeois fonctionnent bien en dessous de leurs capacités de production. La faute à un marché local très orienté vers les produits asiatiques. Pourtant, un nouvel acteur – le troisième – se lance: Textilcord. 

Après avoir traversé toute l’usine Textilcord à Steinfort, où s’entremêlent les odeurs de colle et de matériaux, à travers les bruits des machines, on découvre une petite bulle neuve et lumineuse, qui détonne un peu dans ce paysage industriel. Pour y entrer, un équipement spécial est obligatoire. À l’intérieur, une machine plus petite et moins bruyante que les autres transforme des bobines en masques chirurgicaux.

L’entreprise spécialisée dans la fabrication de toiles de renfort pour les pneumatiques , après et . Elle a pour cela investi 700.000 euros, financés à hauteur de 80% par les aides à la production Covid de l’État. L’objectif est de produire 20 millions de masques par an.

Une production à plus petite échelle

Mais existe-t-il un vrai marché local pour ces masques «made in Luxembourg»? C’est évidemment le prix qui fait la différence au moment du choix. Or, ces prix, les Asiatiques les cassent.

Ses masques, Textilcord prévoit de les vendre à 20 centimes TTC l’unité, à partir de la semaine prochaine. Family Invest déclare un prix de vente de 7 centimes HTVA, pour des gros volumes. Le particulier paiera cependant 30 centimes TTC l’unité pour une commande d’une boîte de 50 pièces . Le prix d’achat sera le même pour un particulier qui achète une boîte de 50 masques de Santé Services chez Cactus. Même si l’entreprise annonce, de son côté, pouvoir descendre à 16 centimes HTVA l’unité.

En Chine, on peut se fournir désormais en masques pour environ 5 centimes, selon plusieurs sources. La différence est de taille.

Céline Vuarnesson, directrice de Textilcord, a évidemment bien évalué les limites du marché national: «Quand nous avons monté notre business plan en juin dernier, nous ne savions pas comment allait évoluer la pandémie». Les objectifs de départ ne sont donc pas trop ambitieux. Une seule machine a été commandée, pour une production moindre que celle des deux autres entreprises actives sur ce marché. Pour Textilcord, l’activité masques ne devrait être que marginale par rapport à l’activité pneumatique. Deux personnes ont été engagées en renfort pour cette nouvelle branche, sur un effectif total de 130 salariés.

Textilcord a un avantage: le groupe Indorama Ventures, auquel elle appartient et qui compte une centaine d’usines, est son premier client. La vente de masques au sein du groupe a déjà débuté. Mais les particuliers font aussi partie des cibles, via la vente en ligne ou sur le site de production. Tout comme les entreprises, à qui elle propose d’ajouter leur logo.

Le challenge sera le même que pour les autres: «Conscientiser le consommateur sur le fait qu’il faut donner du poids au local. Je pense que les particuliers y sont plus enclins que les entreprises. Le Covid-19 a changé certaines mentalités.» Cela pourrait aussi passer par des «incitations gouvernementales», espère la directrice.

Le marché des grandes surfaces et les hôpitaux intéressent aussi Textilcord, qui cependant observe et patiente, ne souhaitant pas d’emblée marcher sur les plates-bandes de ses concurrents. L’entreprise a aussi prévu de produire des masques avec produit virucide – comme le font Santé Services et Family Invest.

La problématique sera de conscientiser le consommateur sur le fait qu’il faut donner du poids au local.
Céline Vuarnesson

Céline VuarnessondirectriceTextilcord

Manque de volonté de consommer local

«Le marché est là», estime pour sa part Jean-Luc Doucet, responsable de Family Invest. «Il y a des hôpitaux, des médecins, des dentistes…» Il a investi 10 millions d’euros pour démarrer une production transfrontalière de masques, depuis Longlaville (France) et Niederkorn (Luxembourg). Dont 1,2 million d’euros côté grand-ducal, pris en charge à 90% par le ministère de l’Économie. Ce qui a permis de réaliser, avec 18 salariés, un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros en 2020.

Avant de se lancer, Jean-Luc Doucet a étudié le marché français et évalué les besoins à 40 millions de masques par semaine, hors pandémie. Il n’a cependant pas pu récupérer de chiffres au Luxembourg. Ce qu’il manque? «La volonté de consommer local», dit-il. Selon lui, aussitôt la pénurie passée, les administrations publiques retournent vers les produits asiatiques, moins chers.

Avec 300.000 masques produits quotidiennement pour une capacité réelle d’un million d’unités, ses usines tournent en sous-régime. Sa clientèle se compose «d’entreprises et de particuliers», dont 10% sont établis au Luxembourg – le reste provenant de France.

Si les décisions politiques ne suivent pas, l’entrepreneur n’est pas sûr de persévérer après la fin de cette année. Il garde espoir: «En France, nous avons créé un syndicat des fabricants de masques». De quoi mettre la pression sur le gouvernement, au moins d’un côté de la frontière.

Les privés ont compris que, pour acheter de la qualité, il faut mettre quelques centimes de plus. Ceux qui n’ont pas compris cela, ce sont les administrations publiques, qui achètent toujours chinois.

Michel SchuetzdirecteurSanté Services

Dans le long hall de Gasperich d’où sortent les masques bleu marine de Santé Services, la déception est aussi de mise. Après avoir investi 200.000 euros dans une machine à masques chirurgicaux et 477.000 euros pour les FFP2, pris en charge à 80% par l’État, l’usine fabrique 55.000 masques par jour. Contre une capacité potentielle «trois fois plus élevée», admet le directeur, Michel Schuetz.

«Les privés ont compris que, pour acheter de la qualité, il faut mettre quelques centimes de plus. Ceux qui n’ont pas compris cela, ce sont les administrations publiques, qui achètent toujours chinois.» Ses principaux clients sont les particuliers, les supermarchés et évidemment les Hôpitaux Robert Schuman, dont elle est une filiale. Ce qui contribue juste à ne pas vendre à perte. Le chiffre d’affaires de l’entreprise s’élevait à 20 millions d’euros en 2020. Elle emploie 55 personnes.

Des marchés signés de longue date

Le ministère de l’Économie a pourtant financé les investissements de ces trois producteurs. «Nous proposons cette aide à ceux qui produisent quelque chose dans le cadre de la lutte contre le Covid. Le marché, c’est toujours un risque que prend l’entreprise.»

Mais pourquoi les aider si, finalement, le gouvernement lui-même n’utilise pas leurs masques? À ce sujet, le ministère de l’Économie nous renvoie vers celui de la Santé, responsable des appels d’offres. Qui indique que «les dernières commandes d’envergure ont été réalisées au printemps 2020, à un moment où il n’y avait pas de masques chirurgicaux disponibles au Luxembourg. En décembre 2020, le Luxembourg a fait un marché ouvert pour l’achat de masques FFP2. Lors de cette évaluation, aucune entreprise luxembourgeoise ne remplissait les critères demandés. Une entreprise allemande a gagné ce marché.»

Les producteurs luxembourgeois rencontrent le problème qu’il fallait prévoir: ils ont commencé leurs activités quand les masques se vendaient au prix fort. Maintenant, ils se retrouvent à un prix qui n’est pas comparable à celui des pays asiatiques.

Alain de BourcyprésidentSyndicat des pharmaciens luxembourgeois

Dans les hôpitaux, «les masques chirurgicaux font l’objet de contrats nationaux obtenus après la mise en place, par la Fédération des hôpitaux luxembourgeois (FHL), d’appels d’offres pour le compte des hôpitaux. La société Medline est actuellement celle retenue. Leurs masques sont produits en Chine», nous indique le Centre hospitalier de Luxembourg (CHL). Ce que Sylvain Vitali, secrétaire général de la fédération, explique par le fait que le marché a été conclu en 2019 pour une période fixe. Un nouvel appel d’offres devrait cependant s’ouvrir vers la fin de cette année. Le fournisseur sera choisi selon «des critères aussi bien financiers que qualitatifs».

Les pharmacies ne sortent guère non plus des circuits habituels pour se fournir, nous dit Alain de Bourcy, président du Syndicat des pharmaciens luxembourgeois (SPL). «Les producteurs luxembourgeois rencontrent le problème qu’il fallait prévoir: ils ont commencé leurs activités quand les masques se vendaient au prix fort. Maintenant, ils se retrouvent à un prix qui n’est pas comparable à celui des pays asiatiques. Je ne pense pas que c’était la meilleure idée, d’un point de vue commercial».