Martine Solovieff et Elisabeth Margue sont d’accord sur la nécessité de recruter plus de personnel de justice. (Photo: Marc Fassone)

Martine Solovieff et Elisabeth Margue sont d’accord sur la nécessité de recruter plus de personnel de justice. (Photo: Marc Fassone)

À l’occasion de la cérémonie des vœux de Nouvel An de la Justice, la procureure générale d’État, Martine Solovieff, a de nouveau tiré la sonnette d’alarme: la justice au Luxembourg ne suit plus. Elle a plaidé pour obtenir davantage de moyens humains et pour une réforme des procédures, jugées trop déséquilibrées en faveur de la défense.

La difficulté que la justice rencontre à faire face à l’accumulation des dossiers n’est pas un problème propre au Luxembourg, souligne la procureure générale d’État, . Ce problème touche aussi les pays voisins: France, Belgique et Allemagne. Ses racines? «La criminalité augmente, provoquant une hausse du nombre de dossiers à traiter. Des dossiers qui deviennent de plus en plus techniques et qui nécessitent des compétences de plus en plus particulières. Et je constate cela depuis que je suis entrée dans la législature.» Circonstance aggravante, comme pourrait le dire un pénaliste: le Luxembourg, de par son exiguïté, est tributaire de l’entraide judiciaire internationale. «Une entraide qui fonctionne assez bien avec les autres pays de l’Union européenne, mais dès lors qu’il faut traiter avec un État extra-européen, cela devient plus difficile – et plus long – voire impossible.»

Et si elle estime que les résidents ont toujours confiance dans la justice, elle pense que l’allongement des durées de procédure pose un problème de fond qu’il faut traiter sans tarder.

Des moyens humains rares

Une première solution au problème serait d’augmenter les moyens humains. Mais pour ce qui est du recrutement, Martine Solovieff souligne deux problèmes. Le premier, qualifié de «majeur», est celui qui restreint l’accès aux carrières de la magistrature aux seuls nationaux luxembourgeois. Chaque année, précise-t-elle, une centaine de candidats suivent les cours complémentaires de droit luxembourgeois (CCDL), une étape obligatoire pour accéder aux carrières de la justice. Toutes les carrières: avocats et magistrats. Et c’est le second souci: «Sur ces cent personnes, quarante vont au bout. Et tous ne manifestent pas d’intérêt pour la carrière de magistrat.»

Entre le secteur privé et la concurrence entre les ministères, les postes ont du mal à être pourvus. Quant à la question de savoir s’il faut ouvrir ces carrières aux non-Luxembourgeois, le procureur renvoie la décision aux politiques.

Elle plaide également pour un assouplissement des conditions d’intégration à la magistrature, notamment en ce qui concerne l’expérience requise. Le recrutement par examen nécessite une année d’expérience chez un avocat ou un notaire, et le recrutement sur dossier demande cinq années d’expérience. Selon elle, il faudrait alléger ces conditions pour permettre le recrutement de juristes exerçant dans d’autres ministères, dans le secteur communal ou dans le privé.

Elle compte beaucoup sur le projet de loi déposé par la ministre de la Justice, Elisabeth Margue. «Il faut aller vite sur ce dossier», insiste-t-elle.

Le levier procédural

Un autre levier sur lequel agir pour améliorer la situation serait de se pencher sur les procédures judiciaires. S’il n’est pas question pour elle de revenir sur les droits de la défense, droits qui ont été renforcés ces dernières années, elle relève que, d’un autre côté, le parquet et les autorités judiciaires n’ont pas bénéficié de moyens supplémentaires pour mener à bien les instructions. «Toutes les procédures doivent être revues, surtout la procédure pénale.»

Depuis 2018, les personnes poursuivies ont accès au dossier d’instruction, permettant de multiplier les recours contre les actes d’instruction, prolongeant ainsi les procédures. «Il est impératif de réformer à ce niveau.»

La ministre de la Justice, Elisabeth Margue, a tenté de rassurer ses interlocuteurs. Elle a réaffirmé la volonté du gouvernement de donner plus de moyens humains aux magistrats, de trouver de nouveaux locaux – elle confirme la volonté de créer une nouvelle Cité judiciaire – et d’accélérer la digitalisation de la Justice.

Martine Solovieff partant en pension ce 1er février, ce sera à son successeur, John Petry, actuel procureur général d’État adjoint, de dire l’an prochain si les engagements du gouvernement auront porté leurs fruits.