Bertrand Schmeler est Senior Vice President chez CBP Quilvest. (Illustration: Maison Moderne)

Bertrand Schmeler est Senior Vice President chez CBP Quilvest. (Illustration: Maison Moderne)

D’un environnement de reprise, de l’inflation maitrisée et des banques centrales bienveillantes à la situation actuelle – les conditions de marché ont fortement changé en peu de temps. Bertrand Schmeler, Senior Vice President chez CBP Quilvest, donne des explications. 

En seulement quelques mois, les conditions de marchés ont très fortement changé, laissant de nombreux investisseurs pris à revers par rapport à leurs prévisions de début d’année: d’un environnement de reprise soutenue de la croissance économique, accompagnée par une inflation maitrisée et des banques centrales bienveillantes, nous sommes passés à un climat beaucoup plus défavorable.

Tout d’abord, la guerre en Ukraine a profondément changé la donne. Les hausses de prix et les difficultés d’approvisionnement en matières premières énergétiques (pétrole, gaz) et agricoles pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat des consommateurs, pour lesquels le prix du gaz, de l’essence et de l’alimentation représentent une part importante du budget. Les économistes ont été ainsi conduits à réduire leurs anticipations de croissance. Alors que les États-Unis ont depuis longtemps assuré leur indépendance énergétique, ce sont les consommateurs européens qui souffrent le plus.

Les bourses mondiales ont fortement corrigé au cours du premier trimestre, sous l’effet du ralentissement économique attendu et d’une prime de risque géopolitique accrue. Même si les marchés ont pu regagner une partie du terrain perdu en début d’année, dans un rebond avant tout «technique», on sent bien que les équilibres qui avaient prévalu sur les marchés depuis la sortie de la grande crise financière de 2008 sont à présent cassés.

Ce sont les grandes banques centrales mondiales qui ont sifflé la fin de la partie: alors que depuis 2008, un environnement de faible croissance et faible inflation, d’incitations fiscales et d’abondance de liquidités était de mise, les banques centrales n’ont pas eu le choix que de modifier catégoriquement leur approche et combattre activement l’inflation, en remontant leurs taux directeurs et en préparant les marchés à des hausses futures, d’une façon beaucoup plus agressive que la plupart des économistes (et la plupart des banquiers centraux eux-mêmes) ne l’avaient prédit en début d’année.

Pour illustrer l’ampleur et la rapidité de la correction sur les marchés de taux d’intérêts, l’exemple du dollar US (USD) est frappant: alors qu’en début d’année 2022, les investisseurs prévoyaient que les taux directeurs de la banque centrale américaine seraient à 0,75% en décembre (ils étaient à 0% en début d’année), ces mêmes anticipations reflètent aujourd’hui un taux de 2,75% en fin d’année et une stabilisation autour de 3,5% en 2023. Même la banque centrale Européenne, dont on pensait qu’elle resterait très longtemps accommodante – tant la reprise économique en Europe reste fragile – a clairement signifié aux investisseurs qu’elle mettrait fin à sa politique de taux négatifs, pour augmenter les taux vers 0,25% avant la fin 2022.

Dans ce contexte, les investisseurs obligataires ont été pris à revers: un portefeuille obligataire à sept à 10 ans en emprunts d’États américains, le type d’investissement qualifié habituellement de «sans risque» a perdu 10% depuis le début de l’année: six ans de rendement escompté au moment de l’achat ont été effacés en 4 mois! 

Quelles conclusions peut-on tirer dans un environnement où les investissements «sans risque» sont fragilisés, où un contexte de marchés dopés durant des années à l’abondance de liquidités fait place à des politiques monétaires plus restrictives, où le risque géopolitique est accru?

La réponse tient essentiellement dans l’évolution de deux variables: pendant combien de temps encore l’inflation, largement tirée à la hausse par les prix des matières premières, va-t-elle perdurer? Et quelle sera la réaction des banques centrales par rapport cette évolution? Les banques centrales ont conscience du fait que la hausse de leurs taux directeurs aura un impact direct sur les taux d’emprunts hypothécaires des ménages (souvent à taux variable, donc sensibles à la hausse des taux) et des entreprises: en d’autres termes, elles risquent au final de voir l’économie mondiale ralentie fortement, plutôt que d’agir sur le prix des matières premières, qui obéissent à leurs propres facteurs. Les marges de manœuvre sont étroites et les erreurs de pilotage pourraient mener l’économie mondiale vers la «stagflation»: stagnation + inflation.

Notre scénario est celui d’une décélération progressive de l’inflation à horizon 12 à 18 mois, au fur et à mesure que les tensions sur l’approvisionnement en matières premières s’amenuisent et que la demande finale ralentit. Dans un tel contexte, un investisseur dont le portefeuille est libellé en Euros doit impérativement posséder du Dollar, dans une proportion importante: la dynamique de la croissance américaine par rapport à l’Europe, l’écart de taux d’intérêt entre les deux devises et le risque géopolitique sont les principaux soutiens à la poursuite de la hausse du Dollar.

Quand cela est possible, une exposition aux matières premières ou aux secteurs boursiers liés à l’énergie, l’agriculture et l’or sont source de valeur ajoutée dans un portefeuille.

Sur les marchés obligataires, malgré la correction récente et des taux redevenus légèrement positifs en Euro, les opportunités restent faibles. Les spreads de crédit n’ont que très peu corrigé et sont vulnérables à la poursuite d’une détérioration de l’environnement macroéconomique. Une exposition sur la courbe des taux américaine en USD, sur des maturités entre trois et sept ans, semble être un bon premier point d’entrée: les bonnes signatures donnent à présent des rendements supérieurs à 3,5% voire 4%.

Quant aux marchés des actions, qui reste traditionnellement un actif «réel» source de performance dans un contexte de retour de l’inflation, les facteurs de soutien des dernières années disparaissent peu à peu et les risques s’accumulent. Nous conseillons de rester investis, mais de réduire fortement le degré d’exposition – comme nous l’avons fait en début d’année. Les secteurs à privilégier sont un mix entre les valeurs de croissance (santé, certains acteurs de la technologie dont la rentabilité et la croissance restent solides) et les valeurs dites «value», profitant de la hausse des matières premières: énergie, matières premières agricoles et les valeurs industrielles plus capitalistiques. Une proportion importante de liquidités dans un portefeuille permettra d’absorber la volatilité à court terme et d’effectuer à nouveau des investissements plus tard dans l’année, quand les incertitudes liées au débat «persistance de l’inflation vs ralentissement économique» commenceront à se dissiper.