Les investisseurs sur les marchés émergents sont inquiets face au durcissement de la politique monétaire de la Fed (Federal Reserve System), tant par rapport au relèvement des taux – trois hausses sont prévues cette année – que par rapport à la baisse de son bilan, relève David Rees, économiste senior marchés émergents chez Schroders. Pour lui, «si les conséquences économiques semblent assez gérables, la performance des marchés financiers en souffrira».
Les marchés émergents sont traditionnellement sensibles aux fluctuations de la liquidité du dollar américain. «La dernière fois que la Fed a réduit son bilan en 2018, les marchés émergents n’ont pas trop bien réagi», rappelle-t-il. «Un resserrement de la liquidité en dollars pourrait nuire aux marchés émergents par le biais de la balance des paiements. C’est particulièrement vrai pour les pays qui dépendent de l’afflux de capitaux étrangers pour financer des déficits extérieurs. Il peut en résulter une baisse des importations et, in fine, un ralentissement de la croissance économique.»
Un resserrement de la liquidité en dollars pourrait nuire aux marchés émergents.
De plus, «en cas de hausse des taux d’intérêt des bons du Trésor, les flux de liquidités vers les marchés émergents et la croissance pourraient en pâtir».
Ces vulnérabilités «traditionnelles» à la hausse des taux obligataires américains semblent moins prononcées que par le passé, estime David Rees, parce que «les flux de capitaux vers les économies émergentes étaient plus faibles et que les positions extérieures étaient relativement bonnes cette dernière année».
«La hausse des coûts de l’énergie entraînera probablement une détérioration de la position extérieure des économies émergentes qui dépendent des importations de ressources naturelles. Cependant, à l’exception d’une poignée de petites économies émergentes, comme la Roumanie, l’Égypte ou la Turquie, des positions extérieures solides continuent de servir d’amortisseur au durcissement des conditions de financement», poursuit-il.
Si l’économiste ne semble pas préoccupé sur le terrain macroéconomique, ce n’est pas le cas pour les cours des investissements sur les marchés émergents.
Pour lui, les investisseurs devront surveiller l’évolution de la liquidité des banques centrales mondiales, qui est bien corrélée avec l’évolution des cours des actifs des pays émergents. De cet indicateur, il prédit une baisse des rendements des investissements dans les marchés émergents. «Les obligations libellées en dollars sont historiquement les plus sensibles à un resserrement, mais les actions et les devises seront également vulnérables.»
Quand l’Amérique éternue, c’est le monde qui prend froid.
Du côté de chez Pictet, Patrick Zweifel, chief economist Pictet Asset Management, explique: «Quand la première économie mondiale relève ses taux d’intérêt, les personnes, les entreprises et les gouvernements du monde entier en ressentent les répercussions sur leurs propres coûts d’emprunt. C’est tout particulièrement le cas dans les marchés émergents, où une part importante des emprunts est souvent libellée en dollars américains.»
Bref, «quand l’Amérique éternue, c’est le monde qui prend froid».
«L’histoire semble nous montrer que les périodes de ralentissement de la croissance économique renforcent l’effet négatif des hausses de taux aux États-Unis sur les marchés émergents, le scénario le plus probable selon nous pour cette année. En 2022, nous tablons sur une reprise de la croissance après un creux atteint au troisième trimestre de l’année dernière. Elle pourrait donc offrir un certain répit face à la hausse des taux américains. À plus long terme, les déséquilibres devraient se corriger, comme nous l’avons vu en 2013, quand la Fed a réduit ses mesures d’assouplissement quantitatif. Les devises des pays émergents les plus touchés vont s’affaiblir, ce qui renforcera la compétitivité de leurs exportations et, à terme, stimulera leur croissance.»
Les valorisations se sont améliorées, en particulier celles de la dette émergente en devise locale.
Il est une classe d’actifs qui a été au centre de beaucoup de paris de la part des gestionnaires: la dette émergente.
Si l’année 2021 a été difficile pour cette classe d’actifs avec des performances négatives, notamment la dette libellée en devise locale «doublement pénalisée par la dépréciation des devises et l’augmentation des taux d’intérêt», 2022 pourrait être une année plus porteuse selon Claudia Calich, head of emerging market chez M&G Investments. Pour elle, un certain nombre de catalyseurs ayant favorisé la mauvaise performance des marchés émergents en 2021 pourraient ne plus être d’actualité en 2022. «Mais il convient néanmoins de garder présents à l’esprit plusieurs facteurs.»
Le premier d’entre eux est l’inflation.
Claudia Calich l’estime «passagère» pour les pays émergents pour au moins deux raisons principales. D’abord, la réponse monétaire des pays émergents s’est avérée bien plus préventive, ce qui a permis de limiter l’envolée des taux longs. Ensuite, les capacités de relance budgétaires de ces pays sont limitées. «Moins de relance budgétaire implique moins d’efforts à fournir sur le plan monétaire afin de maîtriser l’inflation.»
La vigueur du dollar et le resserrement de la Fed sont d’autres facteurs d’importance. Pour elle, «à moins que la Fed ne doive procéder à des relèvements plus importants que ceux suggérés, les marchés émergents en devise locale devraient mieux s’en sortir en 2022. Ils devraient en cela être davantage aidés par les devises que les taux, dans la mesure où le potentiel de baisse des taux est désormais extrêmement limité, compte tenu de la politique plus restrictive de la Fed.»
La croissance mondiale jouera également un rôle. Si la tendance est à la baisse, Claudia Calich ne voit pas de récession à l’horizon qui pourrait impacter négativement les obligations émergentes.
Les risques géopolitiques et politiques? «L’éternel élément imprévisible.»
Tout comme peut être subjective la question de la valorisation. «Si l’heure était à un optimisme excessif à l’égard de la dette des pays émergents il y a un an, le sentiment a désormais sombré dans le pessimisme, ce qui pourrait être un signe optimiste en soi. Les valorisations se sont améliorées, en particulier celles de la dette émergente en devise locale (grâce aux devises et, dans une moindre mesure, aux taux d’intérêt) et de certains émetteurs à haut rendement. À l’inverse, les spreads des obligations ‘investment grade’ demeurent chers et n’offrent pas de protection contre une hausse des rendements outre-Atlantique.»
Dans l’ensemble, chez M&G, on est moins préoccupés par l’inflation dans les pays émergents en 2022 et optimistes à l’égard de certaines devises émergentes, celles des pays dont les comptes extérieurs sont solides ou dont l’inflation pourrait prochainement culminer. «Nous sommes plus prudents sur le front de la croissance, mais nous privilégions toutefois les obligations à haut rendement par rapport à celles ‘investment grade’.»