Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency)

La période durant laquelle les taux d’intérêt directeurs des banques centrales se situaient à 0%, ou même en territoire négatif pour certaines régions, fait désormais partie du passé.

La semaine dernière, la Banque nationale suisse, qui jusqu’à lors était la dernière grande banque centrale à maintenir des taux négatifs, a augmenté son taux directeur de 0,75%, pour le porter à 0,50%. Cette année, le mouvement haussier des taux d’intérêt fut brutal. Le taux court américain a atteint 3% la semaine dernière, alors qu’il s’établissait encore à 0% il y a 6 mois. Le mantra «TINA» (there is no alternative) a supporté les actifs risqués ces dernières années. Mais aux conditions actuelles de marché, cette abréviation peut être remise en question. L’investissement en cash deviendrait-il une alternative intéressante par rapport aux actions?

Revenons un instant sur les éléments qui ont contribué à la bonne performance des marchés actions en 2021. La demande forte du consommateur, l’inflation faible et la patience des banques centrales face à la montée de l’inflation étaient les principaux facteurs de soutien des actions.

Ces trois éléments se sont complètement retournés cette année. Premièrement, le consommateur subit de plein fouet la hausse de l’inflation et le retrait des aides fiscales aux États-Unis. Par conséquent, les dépenses privées ont fortement ralenti par rapport à l’année dernière, et il n’est pas exclu qu’elles baissent dans certaines régions au cours des prochains trimestres. Ensuite, l’inflation a continué d’augmenter à un rythme rapide pour atteindre un niveau alarmant. Troisièmement, les banques centrales ont réagi à cette hausse de l’inflation qui n’était plus en adéquation avec leur mandat de stabilité des prix. Elles ont donc augmenté leurs taux directeurs rapidement, ce qui était encore inconcevable il y a quelques mois.

La forte progression des taux d’intérêt à long terme, qui reflètent les anticipations du marché quant aux taux courts futurs, a eu des effets en cascade prévisibles. Les recoins les plus spéculatifs du marché (cryptos, sociétés technologiques américaines non rentables, SPACs [Special Purpose Acquisition Companies], etc.) ont été les premiers à en subir les conséquences. Les années précédentes, la faiblesse des taux d’intérêt a incité des comportements de plus en plus irrationnels des investisseurs, qui par manque de rendement ont trouvé une certaine attractivité dans ce type d’investissement. La hausse des taux d’emprunt à long terme a également entrainé une baisse des valorisations des actions. D’un point de vue économique, le recul du prix des actifs peut avoir un effet sur le comportement de consommation des ménages à travers ce que l’on appelle «l’effet de richesse négatif», ce qui peut contribuer à faire ralentir les pressions sur les prix. Enfin, les conséquences de la hausse des taux d’intérêt à long terme ont commencé à apparaître aux États-Unis dans les secteurs de l’économie les plus sensibles au coût de financement, comme l’activité immobilière. De fait, les ventes de nouvelles maisons sont en chute de près de 30% sur un an dans ce pays.

Après la baisse de 10% en euro des actions mondiales depuis le début d’année, est-ce que les actions sont devenues attractives? Pas pour autant.

S’il est vrai que les ratios de valorisation des actions se sont ajustés, ces derniers restent basés sur des prévisions bénéficiaires probablement trop optimistes. Il est douteux que les bénéfices des entreprises s’améliorent dans les trimestres à venir comme le suggère le consensus des analystes. En effet, les entreprises font face à un double défi. D’une part, la demande globale ralentit, et d’autre part, les coûts des entreprises augmentent tous azimuts: main-d’œuvre, matériaux, énergie, charge de la dette. Cet effet «ciseau» aura comme conséquence de réduire leurs marges bénéficiaires, qui se situent proches d’un niveau record. Si les perspectives de capacité bénéficiaire des entreprises se dégradent, le prix des actions doit s’ajuster à la baisse, toute autre chose étant égale. Il existe aujourd’hui une différence marquée entre les prévisions des analystes en termes de croissance des bénéfices et l’environnement macroéconomique qui ne cesse de se détériorer. Il est dès lors probable qu’à un moment donné, ces attentes des analystes soient revues négativement.

Ensuite, les actions ne sont pas forcément attractives par rapport au placement sans risque (surtout aux États-Unis où le cash rémunère désormais plus de 3%). Malgré la baisse des actions américaines depuis le début d’année (-20% en dollars), l’attractivité relative des actions par rapport aux obligations d’état américain ne s’est pas améliorée. Au vu de la dégradation des perspectives économiques, l’excès de rendement exigé par les investisseurs pour détenir des actions par rapport à un investissement sans risque – ce que l’on appelle la prime de risque – devrait se situer à un niveau plus élevé.

Pour conclure, depuis le début d’année, la baisse des marchés actions a été principalement due à l’aspect «taux». Ce mouvement d’ajustement des perspectives de politique monétaire est en grande partie assimilé par les marchés. Si une stabilisation des taux longs pourrait être un facteur de soutien pour les actions, un contexte macroéconomique moins porteur ne semble pas encore être entièrement reflété dans les cours.