Personne dans le monde ne s’intéresse autant aux fonds durables que les Européens: quelque 85% de tous les fonds durables sont européens, la deuxième région la plus active étant l’Amérique du Nord, qui suit de loin avec 11%. La seule autre couleur sur le graphique – montré lors d’une présentation des résultats de l’étude sur les fonds d’investissement durables européens – est celle de la région Asie-Pacifique, avec 3%.
Ces autres régions finiront-elles par rattraper leur retard? L’Amérique du Nord fait actuellement face à ce qu’Anne Estoppey, responsable des données et de l’intelligence du marché chez Tameo Impact Fund Solutions, a qualifié d’«importants défis» lors du webinaire de l’Association luxebourgeoise des fonds d’investissement (Alfi). Pendant ce temps, les régions d’Asie et du Pacifique s’y intéressent de plus en plus: leur marché des fonds durables a progressé de 26% en 2023, bien qu’il ne représente encore que 2% de leur marché total des fonds d’investissement. (En Europe, ce dernier chiffre est de 19%.)
En zoomant, l’étude a révélé que les plus grands acteurs des fonds durables hors Europe sont la France (11% des fonds durables européens), le Royaume-Uni (11%), l’Irlande (16%) et – toujours en tête de liste avec une bonne marge – le Luxembourg (34%).
En chiffres
À quoi ressemble le marché des fonds durables en Europe? En décembre 2023, il représentait 2.300 milliards d’euros (contre moins de 1.000 milliards d’euros en 2019) et 19% de l’ensemble du marché européen des fonds (contre 6% en 2019). Et après un ralentissement de la croissance en 2022 (7%), il a rebondi en 2023 avec une croissance de 20%. En comparaison, les fonds conventionnels (non durables) ont progressé cette année-là à un taux plus faible, bien que similaire, de 17%.
Mme Estoppey a également noté que certains pays avaient, au sein de leur propre marché, une part de fonds durables beaucoup plus élevée que la moyenne européenne, notamment la Belgique, la France et l’Autriche (environ 40% dans chacun de ces pays, contre une moyenne européenne de 19%). Ces données montrent, selon elle, la solidité des cadres réglementaires de ces régions.
En termes de stratégie, l’investissement passif – c’est-à-dire les fonds qui tentent de reproduire la performance d’un indice spécifique – a gagné en popularité: en 2019, 20% des fonds durables ont utilisé une stratégie passive contre 29% en 2023. (La tendance est également visible dans les fonds conventionnels, dont la part est passée de 21% à 26% au cours de la même période.)
«Ce qui est vraiment intéressant», ajoute Mme Estoppey, «c’est que la quasi-totalité des entrées nettes en 2023 sont allées dans des stratégies passives – elles ont augmenté de 39% en 2023.»
Interrogé sur les fonds à impact, c’est-à-dire ceux qui intègrent des facteurs sociaux et environnementaux dans leurs stratégies, Mme Estoppey a indiqué qu’ils restaient un «marché de niche». L’étude les définit comme un sous-segment des fonds durables et calcule qu’ils valent 418 milliards d’euros à la fin de 2023 et représentent 18% du marché des fonds durables en Europe. «Mais il est intéressant de noter que leur taille a presque triplé depuis 2019», a-t-elle ajouté.
Flux entrants et ralentissements
En 2024, les fonds ESG européens ont connu leur plus faible collecte en sept ans, a rapporté Hortense Bioy de Morningstar, l’autre intervenante du webinaire: seulement 53 milliards de dollars, en baisse par rapport aux 78 milliards de dollars de l’année précédente et bien en deçà du record de 527 milliards de dollars atteint en 2021. «Ce qui fait de 2024 une année décevante pour les fonds ESG», a-t-elle indiqué, «c’est le fait que le reste du marché a connu un boom». Pour expliquer cette baisse, Mme Bioy a mentionné plusieurs facteurs: des performances mitigées, des préoccupations concernant l’écoblanchiment, l’incertitude politique et réglementaire et, aux États-Unis, des sentiments anti-ESG croissants.
Mais si l’on considère les actifs, l’histoire est différente: les fonds ESG européens ont atteint un nouveau record de 2.700 milliards de dollars à la fin de 2024, soit une hausse de 8% par rapport à l’année précédente. «Ce niveau d’actifs reflète l’intérêt continu des inventeurs européens pour les questions de durabilité», a déclaré Mme Bioy, en particulier pour le changement climatique.
L’experte de Morningstar a également noté qu’en Europe, moins de fonds ESG ont été lancés en 2024 que les années précédentes, une tendance qu’elle s’attend à voir se poursuivre. «Ce ralentissement reflète la normalisation de l’activité de développement de produits ESG, après trois années de très forte croissance.» L’incertitude réglementaire (par exemple, autour de la SFDR 2) et les accusations d’écoblanchiment ont également rendu les gestionnaires d'actifs plus prudents», a-t-elle ajouté.
En fait, plus de fonds ESG ont été fermés en 2024 (350) que de fonds ouverts, «et cette année, nous pourrions même voir une diminution du nombre de fonds ESG proposés en Europe», a déclaré Mme Bioy, attribuant cette tendance aux règles anti-écoblanchiment, telles que celles de la SDR britannique et des directives de financement de l’Esma.
En route vers l’avenir
«Je vois deux grandes tendances se dessiner cette année», a déclaré Mme Bioy. «Tout d’abord, la manière dont ces règles anti-écoblanchiment vont affecter le marché des fonds ESG. Deuxièmement, il y aura davantage de ‘stratégies de transition’ et de meilleures définitions de ce que signifie réellement la ‘transition’.»
Pour donner une idée de l’ampleur de la réglementation anti-blanchiment, en mai 2024, quelque 4.300 fonds européens étaient susceptibles d’entrer dans le champ d’application des nouvelles lignes directrices de l’Esma relatives à la dénomination des fonds (c’est-à-dire les fonds dont la dénomination contient des termes liés à l’ESG ou au développement durable). Mme Bioy prévoit donc que 30 à 50% des fonds ESG européens, soit entre 1.200 et 2.200 d’entre eux, changeront de nom dans un avenir très proche.
Bien entendu, l’objectif de cette réglementation en matière de dénomination est en fin de compte d’élever les normes des fonds qui se disent «durables», et de nombreux fonds voudront continuer à le faire, ce qui impliquera de respecter les critères fixés par l’Esma dans la réglementation. Par exemple, pour conserver des termes tels que «environnemental», «ESG», «impact durable», «ISR» ou «vert», les fonds devront appliquer le Paris-Aligned Benchmark et donc être essentiellement exempts de combustibles fossiles.
Cela renvoie à l’autre prédiction de Mme Bioy concernant les transitions. «Le mot ‘transition’ n’a pas la même signification pour tout le monde», commente-t-elle. «Il sera très important pour les gestionnaires d’actifs d’être clairs.» Actuellement, souligne-t-elle, le concept de stratégie de transition englobe la transition énergétique, les facilitateurs de la transition, les leaders de la transition, les entreprises en transition ou les transitions qui se produisent au niveau du portefeuille (par exemple, atteindre les objectifs de décarbonisation par le biais d'une trajectoire).
Cet article a été rédigé initialement , traduit et édité pour le site de Paperjam en français.