Prune Delvalle, Avocate, Junior Associate au sein de CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg © CASTEGNARO – Ius Laboris Luxembourg

Prune Delvalle, Avocate, Junior Associate au sein de CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg © CASTEGNARO – Ius Laboris Luxembourg

La Cour d’appel a, au sein d’une décision récente, rappelé les contours du principe d’individualisation des sanctions en considérant qu’un manque de transparence pouvait justifier le licenciement avec effet immédiat d’un salarié qui n’avait pourtant jamais fait l’objet d’un quelconque avertissement professionnel au cours de ses années de service.

Contexte

Un «directeur de supermarché» sans antécédent professionnel, élu manager de l’année en 2015 et disposant d’une ancienneté de 9 ans, s’est vu licencier avec effet immédiat en date du 21 mars 2017 pour avoir:

- méconnu la procédure de transfert de marchandises applicable entre les différents supermarchés de la société;

- détourné une bouteille de whisky d’une valeur de 29,45.- EUR pour ses besoins personnels;

- tenté de régulariser par la suite le stock erroné de marchandises avec l’aide de son épouse.

Lors d’un premier entretien informel avec l’employeur, le salarié avait d’abord prétendu ne pas se souvenir des faits, puis avait expliqué avoir, à la demande d’un client, transféré une bouteille de whisky du supermarché de Belval au supermarché d’Alzingen, sans toutefois pouvoir se souvenir où se trouvait la bouteille en question.

Après cet entretien, l’épouse du salarié prit l’initiative d’acheter au supermarché de Bertrange une bouteille de whisky identique afin de la déposer au sein du magasin d’Alzingen, de façon à régulariser le stock de marchandises.

Or, lors de l’entretien préalable organisé deux jours plus tard, le salarié, qui avait pourtant appris entre-temps la supercherie de son épouse, n’en parla pas à son employeur et demanda au contraire à deux reprises à ce que les stocks des magasins concernés soient recomptés.

Lors d’un deuxième entretien préalable, le salarié mentit à nouveau après avoir été confronté aux enregistrements des caméras de vidéosurveillance du supermarché, en prétextant que son épouse s’était rendue au supermarché afin d’acheter un gâteau.

L’employeur lui notifia alors son licenciement pour faute grave.

Dans ce contexte, le Salarié a saisi le tribunal du travail afin de contester la régularité de son licenciement au motif que les faits étaient insuffisants pour justifier le licenciement pour faute grave d’un directeur ayant atteint une ancienneté de service de 9 ans.

Or, au vu des différents témoignages recueillis et de l’enquête interne menée par l’employeur, le tribunal a relevé le manque de transparence manifeste du salarié envers son employeur et a déclaré le licenciement avec effet immédiat fondé et justifié.

Le salarié a interjeté appel.

Décision de la Cour d’appel 

La Cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal du travail, reconnaissant qu’en l’espèce, le non-respect de la procédure applicable au sein de l’entreprise accompagné du manque de transparence du salarié envers son employeur étaient des fautes graves justifiant un licenciement avec effet immédiat.

Cette décision de la Cour d’appel aurait, a priori, de quoi surprendre alors que  i) la soustraction frauduleuse de la bouteille de whisky n’avait pas été établie dans l’arrêt commenté et que  ii) le salarié n’avait jamais fait l’objet d’un quelconque avertissement professionnel.

i) En effet, s’il a été prouvé qu’une bouteille de whisky a bien été retirée du magasin de Belval, aucun document ni aucun témoignage n’a permis de prouver un éventuel vol du salarié.

À cet égard, il convient cependant de rappeler que, selon la jurisprudence, la qualification pénale que les faits invoqués à la base d’un licenciement pourraient éventuellement recevoir est sans incidence sur l’analyse de leur gravité au regard des dispositions du droit du travail.

Notamment, les juges ne considèrent pas nécessairement un vol comme étant une faute grave.

Ainsi, l’arrêt commenté s’inscrit dans la continuité de cette jurisprudence selon laquelle il convient, pour apprécier la gravité d’une faute commise par un salarié, de prendre en considération l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment les antécédents professionnels, mais aussi la fonction occupée ainsi que tous les éléments pouvant influer sur la responsabilité du salarié.

Dans ce contexte, les juges ont retenu en l’espèce que: «Eu égard à sa qualité de directeur de supermarché, nommé manager de l’année 2015, [l’]employeur [du salarié] était fondé à s’attendre de sa part à une loyauté sans faille.»

La gravité de la faute a donc été appréciée indépendamment de la qualification de vol.

(ii) Par ailleurs, on constate que le passé irréprochable du salarié n’a pas joué en sa faveur.

Cette position de la Cour n’est pas non plus isolée, alors que les juges ont déjà pu retenir qu’un manquement unique du salarié n’était pas de nature à atténuer la gravité de la faute commise par ce dernier.

Tel fut le cas dans un arrêt en date du 8 novembre 2017 par le biais duquel les juges ont confirmé le licenciement d’une salariée qui n’avait pourtant aucun passé disciplinaire, au motif qu’elle n’avait pas complété un formulaire important, exposant ainsi son employeur à de graves conséquences préjudiciables, alors que cette dernière était chef du département Compliance.

Les juges avaient alors retenu que: «Un employeur est en droit d’attendre d’une responsable du service Compliance bénéficiant d’une solide expérience dans le domaine qu’elle fasse preuve d’une certaine autonomie et d’un sens des responsabilités élevé.»

En l’espèce, la décision rappelle une fois encore que l’appréciation du caractère suffisamment grave et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, à l’appui du licenciement d’un salarié, en l’occurrence un licenciement avec effet immédiat, relève en dernière analyse du pouvoir souverain des juges du fond, qui statuent au cas par cas selon l’intégralité des circonstances de l’espèce.

Cour d’appel, 10 juin 2021, n°CAL-2019-00873 du rôle.

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Cour d’appel, 17 juin 2021, n°CAL-2019-00537 du rôle

 Cour d’appel, 15 décembre 2016, n°42793 du rôle

Cour Supérieure de Justice, 8e chambre, 9 novembre 2017, 43445