Un renversement aux États-Unis. Vendredi 24 juin, la Cour suprême, conservatrice, a annulé l’arrêt Roe v. Wade qui, depuis 1973, garantissait le droit à l’avortement. Désormais, chaque État a la possibilité d’autoriser l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou non. Près de la moitié pourraient l’interdire ou largement limiter ce droit. Peut-on craindre un tel retour en arrière au Luxembourg, au sujet d’un droit qui pouvait paraître acquis?
Dans le pays, . Ceci est inscrit dans une loi, qui a été plusieurs fois adaptée depuis 1978. La dernière mise à jour remonte à 2014, où la notion de «situation de détresse» comme condition à l’avortement a été supprimée. Le délai est de sept semaines de grossesse et neuf semaines d’aménorrhée pour une IVG médicamenteuse, sinon, elle devient chirurgicale.
Passer d’une majorité simple à absolue pour modifier ce droit
«Le problème, c’est que c’est une loi ordinaire, elle peut être facilement revue», explique Maxime Miltgen, de la plateforme Journée Internationale des Femmes (JIF). Celle-ci organise, avec le Planning familial, une manifestation devant l’ambassade des États-Unis au Luxembourg ce mardi 28 juin, à 12h30. Leur revendication: l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, qui a une valeur de loi fondamentale. Car «une loi ordinaire peut être changée avec une majorité simple, soit 31 sièges contre 29. Alors que, pour changer la Constitution, il faut une majorité absolue de deux tiers et obligatoirement deux votes, alors qu’avec une loi, il peut y avoir une dispense du second vote.» Pour elle, il faut profiter de la , pour y inscrire ce droit. Ce que propose également l’ancien ministre socialiste .
Sur Twitter, le Premier ministre (DP) qualifie la décision américaine d’«injustice sociale et économique».
Dans un communiqué de presse, le groupe politique déi Lénk s’est également prononcé en faveur d’une inscription de ce droit dans la Constitution. «L’exemple américain devrait pouvoir servir de leçon pour parvenir à faire du droit à l’avortement un droit irrévocable.»
La commission des institutions et de la révision constitutionnelle est-elle d’accord pour profiter de la révision en cours? «Trois des quatre chapitres ont déjà été votés pour la première fois» et le quatrième «ne concerne pas les droits, mais la Chambre des députés et le Conseil d’État», répond son président, (LSAP). «Si on envisage de faire entrer ce droit dans la Constitution, on ne va pas le faire à la va-vite ni retarder le processus actuel.»
Il relativise: «À la différence des États-Unis, nous avons une législation claire et nette sur l’avortement.» Ajoutant que «le droit à l’IVG est porté par une très grande majorité, qui dépasse les deux tiers. On ne peut pas exclure qu’une minorité veuille aller dans le sens américain, je ne le nie pas, mais je ne peux pas l’affirmer non plus.»
Le droit à l’IVG est porté par une très grande majorité
Une proposition à venir?
Une situation qui peut changer. Une fois la réforme de la Constitution actuelle terminée, qui peut prendre l’initiative d’une nouvelle modification, pour y inscrire le droit à l’IVG? «Chaque député ou groupe peut faire une proposition de loi.» Le président de la commission dédiée compte-t-il s’en charger? «Non, cela ne se fait pas comme ça. La discussion est ouverte, si elle atteint la commission des institutions, elle sera menée. Nous avons intérêt de le faire de manière réfléchie, sans scinder la population, et pas à faire de la politique politicienne.» Maxime Miltgen, également présidente des Femmes socialistes, est plus claire et assure qu’elle va «demander au LSAP de faire une proposition» dans ce sens.
Ce sont les personnes les plus fragiles qui vont payer le prix fort.
Elle ne dispose pas de statistiques nationales sur le nombre d’IVG pratiquées chaque année. Au Planning familial, dont les chiffres ne représentent qu’une partie de la réalité, 516 IVG ont été planifiées en 2021, après que 601 femmes ont contacté le centre médical. 98,3% ont eu lieu au Luxembourg, et le reste à l’étranger soit parce que les femmes concernées se retrouvaient hors délai (1,36%), soit pour d’autres raisons, par exemple parce qu’elles étudient/travaillent dans un autre pays.
Une multitude de situations
«Nous constatons que les personnes qui viennent sont de toutes catégories d’âge ou socio-économiques, parce qu’il y a une multitude de situations», détaille Anne-Marie Antoine, psychologue au Planning familial. La femme, qui garde encore aujourd’hui la plupart du temps la charge de la contraception, «n’est pas un robot», rappelle-t-elle. Et aux personnes contre l’avortement qui parleraient d’IVG de «confort», elle répond que «ce n’est pas la situation, et de toute façon, ce n’est pas à nous de juger». Elle dénonce également le poids moral que peuvent induire leurs «interférences négatives» (des phrases comme: «Tu te rends compte, c’est déjà un bébé») chez des personnes pourtant claires sur leur décision.
«Les politiques répressives n’entraînent qu’une hausse des avortements qui mettent en danger la femme», alerte-t-elle. «Ce sont les personnes les plus fragiles qui vont payer le prix fort». Elle illustre: «Avant la loi permettant l’IVG au Luxembourg, nous n’avions pas grand-chose à proposer aux femmes. On faisait du ‘tourisme abortif’ vers la Belgique ou les Pays-Bas. Celles qui avaient les moyens s’arrangeaient d’une manière ou d’une autre, celles qui n’en avaient pas se retrouvaient totalement démunies.»
Le Planning familial se veut un lieu «pro-choix», qui «n’interfère pas dans la décision, dans un sens comme dans l’autre», et offre une écoute.