La question ne cesse d’opposer les convaincus et les sceptiques: pourquoi manger bio? Les premiers diront que privilégier des produits issus de l’agriculture biologique n’est pas qu’une tendance ou un style de vie, mais plutôt une façon de devenir un «consommActeur», partant du principe que les achats des clients vont influencer le marché. Mais en face, encore plus dans un contexte inflationniste, l’argument du prix l’emporte, et certains consommateurs préfèrent le «bon sens» au label à proprement parler.
Sur le plan environnemental, l’agriculture biologique présente bien des intérêts. Sans pesticide ou autre intrant chimique, le sol dans lequel poussent nos légumes et où est stockée l’eau que nous buvons est davantage préservé des toxines chimiques. Pour la Vereenegung fir Biolandwirtschaft Lëtzebuerg (l’association pour l’agriculture bio au Luxembourg), l’enjeu est très clair: «S’engager dans le processus de transformation de l’agriculture est une nécessité pour rendre l’approvisionnement alimentaire durable et résilient à l’avenir. L’agriculture biologique montre une voie dans cette direction.»
La directrice de Vereenegung fir Biolandwirtschaft Lëtzebuerg, Daniela Noesen, résumait il y a quelques semaines, à l’occasion de la deuxième Bio-Woch, les bienfaits des méthodes bio de culture et d’élevage: le bien-être animal, des sols sains, une eau potable plus propre, une biodiversité préservée, une alimentation plus saine, avec trois principes de base: «le soin», «la préservation» et le «maintien».
L’IBLA (l’Institut pour l’agriculture biologique et la culture agraire au Luxembourg) et des associations telles que natur&ëmwelt et Co-labor vont même plus loin pour démontrer l’intérêt de l’agriculture bio. En août cette année, ils ont dévoilé leur projet commun: «2.000m² pour notre alimentation». Ils s’intéressent à la surface agricole disponible au Luxembourg pour la production alimentaire et aux besoins en termes de surface si l’agriculture biologique était généralisée. «Théoriquement, 2.000m² suffiraient pour une alimentation saine et biologique, à condition que les consommateurs réduisent le gaspillage alimentaire (1/3 des aliments produits) et diminuent significativement leur consommation de produits d’origine animale. Au lieu de produire du fourrage, ces terres seraient alors utilisées pour produire des aliments directement destinés à l’alimentation humaine. Il revient donc à nous, consommateurs, d’adapter nos habitudes», disaient les trois structures cet été. L’IBLA porte aussi le projet Vision 2050, qui modélise une série de scénarios pour une transition de l’agriculture luxembourgeoise vers une production 100% biologique.
Au Luxembourg, le bio a plutôt une longue tradition, avec des agriculteurs qui avaient déjà intégré une logique de durabilité et de qualité dans leurs produits. À ce jour, 7,2% des terres agricoles luxembourgeoises sont certifiées biologiques. Un plan d’action national, PAN-Bio 2025, a également été lancé par le gouvernement pour faire progresser encore le secteur.
Pour la santé
Au-delà des bienfaits de l’agriculture biologique pour la planète, l’impact de ces produits sur la santé fait aussi l’objet de plus en plus de recherches. Les pesticides et autres produits chimiques sont souvent accusés d’avoir un effet néfaste pour la santé, notamment en influençant le système hormonal. Les produits bio devraient donc théoriquement être plus sains. Selon le chimiste alimentaire et nutritionniste de formation, Dr Torsten Bohn, chercheur au Luxembourg Institute of Health (LIH), il est effectivement prouvé que la teneur en pesticides dans les aliments bio est moindre, a-t-il déjà eu l’occasion d’expliquer dans ses publications.
Toutefois, il notait aussi que «l’absence de recours aux pesticides peut entraîner une attaque fongique susceptible de favoriser l’apparition de substances toxiques ou cancérogènes – un contrôle attentif en cours de production et avant la vente, comme c’est généralement le cas en Europe, permet d’éviter cela. Il est également intéressant de constater que l’élevage d’animaux en plein air peut entraîner une augmentation de polluants environnementaux. C’est le cas par exemple si ces derniers absorbent davantage de métaux lourds ou de contaminants organiques via les pâturages que dans le cadre d’un élevage intensif en étable.»
Par ailleurs, l’alimentation bio pourrait aussi influencer le phénomène de l’antibiorésistance, décrit par l’OMS comme «l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale». Une de ses causes principales est l’utilisation excessive, voire systématique, d’antibiotiques dans l’élevage conventionnel. Ce qui est proscrit dans une démarche bio. Les bactéries ont alors tendance à devenir plus résistantes et peuvent ensuite être transmises aux humains par la consommation de viande ou via l’environnement.
Et le porte-monnaie?
Les intérêts de l’agriculture biologique sont ainsi nombreux, mais des freins subsistent. Notamment la question du prix des produits, généralement plus chers que ceux issus de l’agriculture conventionnelle. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), quatre raisons expliquent que les prix soient plus élevés: une offre de produits limitée, des coûts de production plus élevés en raison des apports de main-d’œuvre plus importants, des rendements souvent plus faibles que dans l’agriculture conventionnelle, mais aussi la commercialisation et la chaîne de distribution de ces produits, qui sont «relativement inefficaces avec des coûts qui sont plus élevés en raison des volumes relativement faibles», détaille-t-elle.
Nous sommes allés dans un supermarché luxembourgeois pour comparer les prix de produits bio et conventionnels. Dans la majeure partie des cas, les produits bio sont en effet légèrement plus chers. Mais pour certains produits plus spécifiques, le prix va du simple au double, comme pour des champignons blancs, pour lesquels il faut compter 10 euros de plus au kilo. Ce que la FAO explique ainsi: «Les rendements des champignons bio sont généralement inférieurs à ceux des champignons conventionnels en raison de l’absence d’intrants chimiques, qui augmentent la productivité. Les conditions de culture naturelles peuvent entraîner des pertes plus fréquentes dues aux maladies ou aux ravageurs, ce qui influe sur le prix final.»
Mais selon la FAO, les prix pourraient baisser, à condition que la demande augmente et que les agriculteurs tentent d’y répondre en convertissant davantage leurs exploitations en bio. Les défenseurs du bio semblent donc avoir raison en disant que le «consommActeur» peut influencer le marché. «Les innovations technologiques et les économies d’échelle devraient permettre de réduire les coûts de production, de transformation, de distribution et de commercialisation des produits biologiques», souligne en effet la FAO.
Autre élément souvent avancé: la question des labels et de leur pertinence. Car il ne suffit pas de coller une étiquette «bio» sur un produit. Pour obtenir une certification officielle, les producteurs doivent se conformer à des normes strictes et sont inspectés pour cela. Ils doivent conserver un cahier des charges détaillé, qui varie selon le label, concernant chaque étape de leur production et de leur transformation. Les conditions de certification dépendent du label. Au Luxembourg, on en trouve plusieurs, dont certains purement locaux, comme les labels Bio Lëtzebuerg, Bio Green Beef – né de la coopération entre Cactus et la coopérative Convis – ou encore Bio Maufel, qui porte exclusivement sur la viande. S’ajoutent d’autres certifications: Euroleaf à l’échelle européenne, Demeter (agriculture biodynamique), Biogarantie en Belgique, Bioland en Allemagne…
Mais dans bien des cas, le «bon sens» prime sur le label. Ainsi, entre un produit estampillé bio mais ayant parcouru des milliers de kilomètres, et donc avec une forte empreinte carbone, et un produit non bio d’un agriculteur qui, certes, ne dispose pas du label, mais qui cultive à quelques kilomètres à peine du consommateur, de façon raisonnée, l’intérêt du label peut être à relativiser.
Un autre constat opéré par la FAO met en lumière les limites actuelles de l’agriculture bio, surtout au regard de la sécurité alimentaire, c’est-à-dire le fait de garantir à chacun une alimentation suffisante, mais aussi les moyens d’y accéder. Par ailleurs, la FAO note aussi que «le régime foncier reste une contrainte majeure aux investissements en main-d’œuvre nécessaires à l’agriculture biologique». Pour faire face à la baisse des rendements et pour optimiser la production, les fermes biologiques ont tout intérêt à cultiver une variété de cultures. L’agriculture biologique pourrait donc avoir du mal, en l’état actuel, à répondre à la demande croissante.
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