Pour Patrizia Thiry, les collaborateurs ne font pas ce qu’on leur dit, mais ce qu’ils voient. D’où l’intérêt d’avoir un rôle modèle de manager inspirant et équilibré. (Photo: Maison Moderne)

Pour Patrizia Thiry, les collaborateurs ne font pas ce qu’on leur dit, mais ce qu’ils voient. D’où l’intérêt d’avoir un rôle modèle de manager inspirant et équilibré. (Photo: Maison Moderne)

Comment un leadership sain et bien formé aux questions de santé mentale peut-il engendrer de meilleures performances collectives? Un sujet proposé par Patrizia Thiry lors du Forum Santé-sécurité au travail le 26 octobre. Pour Paperjam, elle a accepté d’élargir le débat…

Patrizia Thiry est directrice générale de l’ASTF (Association pour la santé au travail des secteurs tertiaire et financier) et médecin du travail. Au cours du Forum Sécurité-santé au travail le 26 octobre, elle a animé un workshop sur la santé mentale des managers et la nécessité de proposer un rôle modèle inspirant puisque «les gens ne font pas ce qu’on leur dit, mais ce qu’ils voient» a-t-elle introduit. L’ASTF propose aux managers des formations pour conserver un leadership sain, en protégeant d’abord leur propre santé, pour ensuite mieux protéger celle des autres. Les thèmes de l’hyperconnectivité, de l’estime de soi, ou encore de la prévention des risques psychosociaux dans les équipes ont été abordés lors de son intervention.


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Comment le manager doit-il aborder une personne en souffrance dans l’entreprise?

Patrizia Thiry. – «Il y a quatre points essentiels à aborder D’abord: qu’est-ce qui a déclenché la situation? A priori, le leader n’a pas à s’intéresser à la vie privée de la personne, mais si le collaborateur veut en parler, il faut être à l’écoute. Ensuite, l’inviter à exprimer ses émotions, car souvent le collaborateur se sent mal sans savoir exactement quelle émotion prend le dessus: frustration, colère, peur…? La troisième question: qu’est-ce qui est le plus difficile? Et là, il ne faut pas interpréter sa réponse en fonction de ses propres filtres. Enfin, la question des ressources: qu’est-ce qui pourrait l’aider à aller mieux? C’est aussi le moment où on peut proposer au collaborateur une aide extérieure (médecin généraliste ou psychologue) si besoin.

On parle beaucoup de management bienveillant, d’entreprise «libérée», pourtant il n’y a jamais eu autant d’envies de démissions ou de changement professionnel qu’aujourd’hui parmi les salariés. Comment expliquez-vous cela?

«Le travail s’est beaucoup intensifié. En 30 ans de médecine du travail, je constate que ce n’est plus du tout la même donne. Les gens sont surchargés du matin au soir. Ils n’ont plus de place pour une pause entre collègues, salutaire, qui permettait avant de “vider son sac” après un meeting ou un coup de fil à un client. C’est aussi dû à une hyper connectivité au sein de l’entreprise. On est sollicités par les outils de travail que l’on emporte avec nous à la fin de la journée: notre laptop, le téléphone, même le weekend ou en vacances. Pas forcément de manière proactive, mais les notifications arrivent. La déconnexion totale est rare. Cela contribue à alimenter un flux d’hormones de stress permanent duquel on n’arrive plus à se soustraire.

Cela signifie que le digital est parfois la source du stress, et pas forcément la solution de simplification voulue par les managers?

«Absolument. C’est censé nous rendre la vie plus facile et ça l’est, d’un côté. Mais il faut s’autodiscipliner pour ne pas que le travail grignote la sphère privée, car le digital c’est la possibilité de travailler partout, ce qui est aussi un piège. Avec les confinements et le télétravail, on a vu que les collaborateurs se mettaient parfois eux-mêmes la pression et travaillaient plus longtemps qu’au bureau. La déconnexion, l’acceptation de ne pas y arriver c’est encore un tabou dans un monde professionnel où l’on glorifie la surperformance. Cela est aussi valable pour le manager, le “poker face” c’est révolu. Un manager sain est connecté à ses émotions et n’en a pas honte.

Est-ce qu’un arrêt de travail pour santé mentale qui se prolonge peut constituer, légalement, une cause valable de licenciement?

«Un arrêt de travail ne peut jamais être la cause d’un licenciement. Mais on peut être licencié pendant un arrêt de travail. Le collaborateur est protégé contre le licenciement pendant les six premiers mois de l’arrêt de travail. Ensuite il devient licenciable. Au bout de 78 semaines, soit environ deux ans et demi d’arrêt de travail, le contrat cesse d’office. Nous suivons environ 300 personnes en burnout sur l’année et il y a très peu de licenciements pour cette raison dans les grandes entreprises. Après un arrêt de travail pour burnout, le retour en entreprise se fait en moyenne au bout de 6 mois.»