La Chambre de commerce, une nouvelle fois, invite l’écosystème économique luxembourgeois au Mipim, à Cannes. Pouvez-vous nous rappeler les raisons d’une telle présence dans ce salon incontournable de l’immobilier?
. – «Le Mipim est reconnu comme le rendez-vous mondial du secteur de l’immobilier dans sa conception la plus large. On y trouve chaque année des investisseurs, des utilisateurs, des groupes hôteliers, des opérateurs, des développeurs, des services commerciaux, des architectes, des avocats, des banquiers… En somme, tous les acteurs qui touchent, de près ou de loin, à l’immobilier. Sur quatre jours de salon, avec 2.600 exposants et plus de 23.000 participants, le Luxembourg a une opportunité de se présenter comme une économie diversifiée et dynamique.
C’est la 17e fois que nous prenons part à ce salon en installant un pavillon national, sur lequel sont présents une dizaine d’acteurs luxembourgeois. Pour l’ensemble de l’écosystème, le Mipim est une occasion de nouer des liens, d’établir des contacts qualitatifs avec un très large écosystème à un niveau international. L’année dernière, nous avons emmené avec nous une délégation de 510 participants, avec une dizaine d’acteurs disposant d’un stand d’exposition au niveau de notre pavillon.
Cette édition sera certainement un peu particulière… Au Luxembourg comme ailleurs, l’activité inhérente à l’immobilier connaît un fort recul, quand elle n’est pas tout simplement en recul…
«Le Mipim permet, en effet, de prendre le pouls de tout un pan de l’économie. Il est évident que le secteur de l’immobilier est en souffrance. Beaucoup d’acteurs nous ont fait part de leur volonté de limiter le nombre de participants au salon en raison de la conjoncture actuelle. La hausse des taux d’intérêt, qui se situent toujours entre 3,5 et 4,5%, a constitué un coup de frein à l’activité. Les demandes en crédits immobiliers, au Luxembourg, ont reculé de 48,8%.
Les prix, eux, n’ont diminué que modérément, de l’ordre de 7% entre 2022 et 2023. L’année dernière, les loyers, à l’inverse, ont connu une forte hausse, d’environ 8,5% en moyenne. Nous sommes confrontés à une triple crise – de l’immobilier, du logement et de la construction. Cependant, en ce qui concerne l’immobilier, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Si beaucoup souffrent considérablement – en témoigne la hausse du nombre de faillites dans le secteur –, certains acteurs continuent de porter des projets et souhaitent pouvoir les montrer à l’occasion du Mipim.
Nous sommes au cœur de la crise. Peut-on cependant nourrir l’espoir de jours meilleurs?
«Est-ce que 2024 sera l’année d’un retournement de tendance? Il y a lieu d’y croire. Actuellement, les taux sur les crédits à long et moyen terme deviennent plus attractifs. Évidemment, nous ne retrouverons pas le niveau d’avant crise, qui était exceptionnellement bas, mais une baisse progressive contribuera au dénouement de la situation actuelle. La baisse des taux, conjuguées à la hausse des loyers auxquelles il faut ajouter les mesures gouvernementales, rendra l’acquisition de biens à nouveau plus attractive. Nous devrions assister, dans les mois à venir, à une normalisation de la situation. D’autres projets sont en voie de concrétisation. Du côté d’Esch-sur-Alzette, on peut évoquer le développement du quartier Metzeschmelz avec Agora. De nombreux projets sont en train d’être développés à Hollerich, au Kirchberg, à la Cloche d’Or et à Cessange. D’autres projets portent également sur le développement de zones non résidentielles.
La baisse des taux, conjuguées à la hausse des loyers auxquelles il faut ajouter les mesures gouvernementales, rendra l’acquisition de biens à nouveau plus attractive.
Quel regard portez-vous sur les enjeux au niveau du non-résidentiel?
«Les discussions évoquées au Mipim ne se limitent pas au résidentiel. Au niveau des bâtiments tertiaires, cependant, le nombre de transactions conclues en 2023 était particulièrement faible. Cela révèle une position d’attente des investisseurs, qui ne souhaitent pas se positionner en vue des incertitudes sur les taux. Encore une fois, la baisse de ces derniers – qui devrait intervenir dans les mois à venir – devrait contribuer à une normalisation de la situation. La vraie question est de déterminer à quel rythme la Banque centrale européenne va assouplir la politique monétaire actuelle. Toutefois, si l’inflation recule, elle reste toujours élevée en Europe – et plus encore au Luxembourg en raison de l’indexation automatique des salaires. La baisse des taux devrait donc intervenir moins rapidement que prévu, certainement plus tard qu’aux États-Unis.
Cet arrêt de plus d’un an du secteur immobilier risque de peser davantage sur un déséquilibre entre l’offre en biens immobiliers et la demande…
«Le Luxembourg est confronté, depuis plusieurs années, à un déficit d’offres de logements. L’un des problèmes en la matière est que nous ne parvenons pas à libérer suffisamment de foncier pour construire et répondre à la demande. Les acteurs sont face à des procédures administratives rigides et lentes. D’autre part, la dynamique économique du pays, sa croissance, est directement liée à la hausse de la force de travail. Par le passé, ce besoin en main-d’œuvre pouvait être comblé par le recourt à des travailleurs frontaliers.
Cependant, ce vivier de compétences ne suffit plus pour répondre à nos besoins de croissance. Il faut attirer au-delà de la Grande Région et pouvoir accueillir ces talents ici. L’accroissement de la demande fait pression sur les prix, conduisant à la crise du logement que nous traversons actuellement. Considérant cette équation complexe, nous prônons, depuis plusieurs années, une croissance qualitative qui soit décorrélée des besoins en ressources humaines, matérielles ou énergétiques pour l’alimenter. Il faut gagner en productivité.
Tant que l’on n’y parvient pas, la crise du logement risque donc de s’amplifier…
«Le Luxembourg, en effet, peine à engranger des gains de productivité. Il est important d’investir davantage dans la recherche et l’innovation, de soutenir plus encore la digitalisation de l’économie et de la société de manière générale. Nous disposions d’une productivité élevée par rapport à d’autres pays, liée notamment à la présence d’un nombre important d’acteurs financiers. Cependant, cette productivité n’évolue plus au Luxembourg alors qu’elle progresse ailleurs. Le modèle actuel doit évoluer. Tant que l’on ne gagne pas en productivité, notre croissance est liée à l’augmentation de l’utilisation des ressources de production, en l’occurrence la main-d’œuvre. C’est ce qui génère une pression sur les prix de l’immobilier. Je pense que l’ensemble des acteurs, aujourd’hui, s’accordent pour dire qu’il faut construire davantage, plus vite, et plus de manière plus dense.
À ce niveau aussi, cela semble difficile à concrétiser…
«Il faut, effectivement, se donner les moyens de pouvoir le faire. Cela passe par une réforme des procédures et de la législation, pour faciliter cela. Les communes doivent participer à cet effort et font, d’ailleurs, beaucoup en la matière. Cependant, à l’échelle d’une entité, il ne s’agit pas uniquement de délivrer des permis pour permettre le développement de logements. Il faut penser aux infrastructures autour des résidences, pour garantir une mobilité fluide, pouvoir accueillir les enfants dans les écoles, prévoir des lieux de rencontre, de loisirs…
Cela implique la mobilisation de moyens que les communes n’ont pas toujours. Enfin, il ne faut pas négliger l’effet Nimby (Not in my Backyard, pour ‘pas dans mon jardin’). Les résidents d’un quartier ou d’une commune ne voient que rarement d’un bon œil le développement d’un nouveau quartier ou d’une résidence à proximité de chez eux. Au niveau local, ce volet politique peut s’avérer plus sensible qu’à l’échelle nationale. Ce n’est pas un enjeu propre au Luxembourg, mais nous notons ces réticences parmi nos résidents.
Compte tenu de l’exiguïté du territoire, le modèle luxembourgeois atteint-il des limites?
«Il reste encore du foncier disponible pour la construction. Il faut pouvoir le libérer et accélérer la mise en œuvre des projets. Pour cela, il est nécessaire de travailler sur le volet législatif, administratif, mais aussi sur le volet social. Si l’on regarde l’accord de coalition, je pense que la majorité a compris qu’elle devait agir pour les générations futures, en veillant à garantir la cohésion sociale. Il faut prendre des décisions dans l’intérêt général. Dès à présent, il faut préciser et mettre en œuvre rapidement ce qui a été établi dans l’accord de coalition.
Au niveau de l’immobilier, et plus précisément du logement, quelles doivent être les mesures prioritaires à mettre en œuvre?
«On pourrait évoquer l’augmentation du taux d’amortissement accéléré pour les logements construits, en vue d’être mis en location, ainsi que la hausse de la durée de la période d’amortissement. En outre, on pourrait citer l’augmentation du Bëllegen Akt – le crédit d’impôt sur les actes notariés –, l’augmentation du montant de la déductibilité fiscale des intérêts débiteurs pour les propriétaires occupants ou encore la réforme du projet de loi relative au bail à loyer qui avait été vivement critiquée. On peut aussi évoquer le rachat de projet en Vefa par l’État et les communes.
À court terme, l’enjeu est en effet de maintenir l’outil de production…
«Dans le contexte actuel, des promoteurs qui peinent à commercialiser les biens en construction ont tendance à les mettre en pause. C’est pour permettre à ces projets d’aboutir que l’État et les communes ont décidé de racheter des projets en cours. L’enjeu est, dans la mesure du possible, de maintenir les emplois dans ce secteur. Il faut à tout prix éviter des licenciements, de se retrouver dans la situation qu’ont connu des secteurs du voyage ou de l’horeca dans le contexte du Covid. Si les professionnels de la construction perdent leur travail, ils risquent de partir ailleurs, quitter le Luxembourg, trouver un autre job.
Au moment où l’activité redémarrera, on aura alors toutes les peines à suivre et même à accélérer la réalisation de projets. Le Premier ministre a d’ailleurs bien précisé préférer investir à travers des mesures fiscales qui soutiennent l’activité que de payer des allocations de chômage. Maintenir l’activité, en outre, permet de limiter l’aggravation de l’écart entre l’offre et la demande, qui pourrait entraîner des hausses du prix de l’immobilier.
Le prix du logement est déjà un des principaux freins à l’attractivité des talents au Luxembourg…
«Absolument. Cependant, je ne suis pas fondamentalement pessimiste pour les mois à venir. Si le gouvernement parvient à mettre en œuvre rapidement les mesures annoncées, à les couler dans des textes de loi et à les exécuter efficacement, avec cet effet rétroactif, on aura déjà fait un bon pas pour soutenir la confiance des acteurs. Les investisseurs vont pouvoir reconsidérer l’investissement dans la pierre avec plus d’intérêt, des projets vont repartir en vue de soutenir l’offre. La demande est toujours là, mais ne peut être assouvie en raison de la hausse des taux d’intérêt.
Leur baisse sur des crédits à moyen et long terme va aussi permettre à des particuliers de réenvisager leur projet au regard de leur pouvoir d’achat immobilier. Il faut préciser que le pouvoir d’achat n’a pas reculé au Luxembourg. Seule la capacité à investir dans le logement et à rembourser les crédits avait été affectée par la conjoncture. Nous devrions, avec les mesures du gouvernement et la baisse des taux, retrouver davantage de pouvoir d’achat immobilier. Enfin, il ne faut pas négliger une baisse au niveau des prix et des capacités de négociation renforcée à la faveur de l’acquéreur, notamment sur les biens existants.
Comment voyez-vous les prix évoluer sur le marché?
«Sur les nouveaux projets, la baisse des prix n’est pas évidente. Les promoteurs ont, en effet, acheté les terrains au moment où ils coûtaient le plus cher. La main-d’œuvre est plus onéreuse en raison de l’inflation et de l’indexation des salaires. Les prix de l’énergie et des matériaux se sont envolés, eux aussi. Cependant, beaucoup de logements, en raison de la hausse des taux sur le marché, n’ont pas pu trouver acquéreur. Avant cette crise, 50 candidats intéressés pouvaient se manifester dans les heures qui suivaient la mise sur le marché d’un bien. Désormais, ce n’est plus le cas. Il n’y a pas, ou peu, de potentiels acquéreurs qui se manifestent. Au niveau d’un processus de vente, plus le temps de vente est long, plus la négociation est importante, plus on peut faire pression sur les prix.
Au-delà des impacts conjoncturels, le Mipim appréhende aussi des évolutions et tendances structurelles liées au secteur. Quels sont les autres grands sujets qui seront abordés lors de cette édition?
«Tout ce qui touche à la durabilité, à travers l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments, à la réduction de l’empreinte carbone du secteur, constitue une thématique centrale du salon depuis plusieurs années. Au-delà, le Mipim permet d’aborder d’autres sujets, comme les nouveaux modèles de «vivre-ensemble», les nouveaux modes de travail adoptés suite, notamment, à la crise du Covid. On y aborde le développement des écocités ou encore des villes intelligentes grâce à l’intégration des évolutions technologiques. Pour les acteurs luxembourgeois, c’est une opportunité de se tenir au courant des évolutions, de voir ce qui se fait ailleurs, mais aussi de montrer ce que l’on fait autour de ces sujets et de se vendre de façon moderne.
Le modèle sociétal luxembourgeois que nous valorisons au Mipim suscite toujours un réel intérêt.
Autour de ces diverses tendances, qu’est-ce que le Luxembourg a à proposer?
«Il y a de nombreux projets qui revêtent une dimension innovante. Cette année, Landimmo présentera au Mipim son projet de quartier Nei Hollerich. Le quartier durable, innovant et résilient Rout Lens, par Iko Real Estate, est aussi un projet important qui y sera présenté. Agora, qui nous accompagne depuis la création de ce pavillon luxembourgeois, continuera de raconter l’histoire de la reconversion des friches industrielles à Belval, avec une maquette dynamique, et y présentera l’approche mise en œuvre dans le cadre du développement du quartier Metzeschmelz. Le pavillon accueille aussi des acteurs innovants, comme Leko Labs.
Cette entreprise, qui a grandi dans l’écosystème start-up luxembourgeois, redéfinit le processus de construction des immeubles, accélérant et réduisant son impact carbone. Il faut voir ce qu’elle propose, c’est vraiment impressionnant. Enfin, il ne faut pas oublier que Luxembourg est une capitale européenne, avec la présence de nombreux immeubles institutionnels qu’il est aussi intéressant de présenter, et d’autres bâtiments emblématiques. Je pense notamment au nouveau siège d’ArcelorMittal ou des bureaux de certaines banques. Des immeubles développés au Luxembourg – je pense encore au nouveau siège de Post, qui a reçu des distinctions, ou à celui des CFL –, conçus par des bureaux d’architecture locaux comme internationaux, peuvent inspirer d’autres acteurs.
Si l’on considère le Grand-Duché dans sa globalité, comment est-il perçu au Mipim?
«Je pense que le modèle sociétal luxembourgeois, que nous cherchons à promouvoir dans le cadre de notre démarche, suscite toujours un réel intérêt. Le Luxembourg parvient à se distinguer par sa qualité de vie, son offre de mobilité gratuite, la diversité qui prévaut à l’échelle du territoire. Les acteurs qui nous découvrent sont surpris par les multiples dimensions de l’économie, sa place financière, bien sûr, son industrie et d’autres niches en développement autour des technologies de la santé ou encore de l’espace. La dimension internationale et accueillante du pays intéresse aussi beaucoup. C’est un aspect important à mettre en avant si l’on souhaite attirer des talents venant d’horizons divers. C’est un concept global, une dynamique de développement et d’aménagement positive, qu’il faut mettre en lumière. «
Les exposants du pavillon
Le pavillon national du Luxembourg au Mipim accueille 13 exposants. Ensemble, ils mettront en lumière le secteur immobilier luxembourgeois. Qui sont ces exposants?
Promoteurs
On retrouve notamment les maîtres d’ouvrage de nombreux développements emblématiques au Luxembourg, comme Agora, avec ses projets de reconversion de friches industrielles à Belval ou au niveau du nouveau quartier Metzeschmelz; Lux-Airport, qui porte un projet d’envergure au niveau de l’aéroport; Landimmo Real Estate, qui mène le redéploiement du quartier de Hollerich; et la Ville de Luxembourg. Parmi les promoteurs, on peut encore citer la présence d’ICN.
Concepteurs/constructeurs
Les métiers de la conception et de la construction seront aussi représentés à travers l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils ou encore via des acteurs vecteurs d’innovation comme Leko Labs ou Drees & Sommer.
Financiers
Le pavillon Luxembourg rassemble aussi une série d’acteurs financiers: la Banque de Luxembourg, la Bil, ING ainsi que Hauck Aufhäuser Lampe Privatbank AG. Les professions juridiques seront, quant à elles, représentées par DSM Avocats à la Cour.
Les demandes de crédits en recul
Entre 2022 et 2023, les acteurs financiers ont constaté une baisse de 48,8% de la demande de crédits immobiliers. En novembre 2023, le montant des nouveaux crédits immobiliers accordés pour une durée supérieure à 10 ans s’élevait à 149 millions d’euros – le niveau le plus faible de l’année. Sur les 11 premiers mois de l’année 2023 (les statistiques de décembre n’étant pas encore disponibles, ndlr), les montants accordés pour ces crédits s’élevaient à 2,3 milliards d’euros. Sur la même période, en 2022, les montants de nouveaux crédits immobiliers accordés d’une durée supérieure à 10 ans s’élevaient à 3,3 milliards d’euros.
Cet article a été rédigé pour le supplément Mipim 2024 de l’édition de parue le 28 février. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
.
Votre entreprise est membre du Paperjam+Delano Business Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via