Le Luxembourg, comme l’ensemble de l’Europe, va devoir réduire sa consommation d’énergie cet hiver. Avez-vous identifié là où il sera possible de le faire?
. – «Nous avons évidemment regardé où se trouvent les potentiels de réduction de consommation d’énergie. Une bonne partie de cette réduction va venir de l’industrie, soit grâce à des processus d’optimisation, soit en migrant vers une autre énergie. Il faut comprendre que de janvier à mars la situation sera difficile. C’est-à-dire quand l’hiver sera le plus froid et que les stockages de gaz risquent d’être moins conséquents. C’est aussi en février et en mars que la consommation des bâtiments sera importante.
Après l’industrie, toutes les habitations et les grands bâtiments de banques devront également réduire leur consommation. Et si je veux être crédible aux yeux des acteurs de la place financière et des citoyens, le secteur public doit donner le bon exemple.
Justement, concrètement, qu’est-ce que vous allez faire pour que l’État, les ministères et les administrations réduisent cette consommation d’énergie cet hiver?
«Avec , Vice-premier ministre, ministre de la Défense et ministre de la Mobilité et des Travaux publics, une campagne de sensibilisation ayant pour cible les bâtiments publics sera lancée. Les communes sont en train de recevoir une circulaire avec les recommandations à suivre et un workshop pour les communes sera organisé en septembre. La main publique fera ce qu’elle doit faire pour réduire sa consommation d’énergie cet hiver. Une des premières mesures à prendre, et qui est assez efficace, c’est de vérifier les installations de chauffage et s’assurer d’un bon réglage. Il faut aussi mettre en place des consignes pour éviter le gaspillage au niveau du chauffage et de l’éclairage.
Je crois qu’avoir une voiture électrique ne veut pas dire qu’on doit rouler deux fois plus.
Et les familles?
«Pour les particuliers, la principale consommation d’énergie provient du chauffage et de l’eau chaude. Là aussi, une campagne de sensibilisation débutera en septembre afin d’inciter la population à chauffer les pièces à la bonne température et de façon modérée, ou encore de faire vérifier les installations des chaudières au gaz et au fioul afin de s’assurer qu’elles sont bien réglées. Le second poste de consommation se trouve au niveau de l’eau chaude. On peut prendre une douche de 3 minutes et l’on peut prendre une douche de 30 minutes. Mais il faut comprendre que nous sommes face à deux hivers qui seront tendus au niveau de l’approvisionnement de l’énergie à cause de la guerre que Poutine nous mène. Chacun peut être plus modéré quant à sa consommation d’eau chaude, car cela va aussi réduire la facture énergétique du particulier.
Mais le particulier qui a investi dans des panneaux solaires, une maison passive, une voiture électrique, peut se dire qu’il a déjà fait des efforts pour réduire la consommation d’énergie, alors pourquoi devrait-il encore en faire?
«Je crois qu’avoir une voiture électrique ne veut pas dire qu’on doit rouler deux fois plus. Cet été montre que l’on est en urgence climatique et la voiture électrique est mieux que la voiture brûlant de l’énergie fossile. Il y a encore mieux, c’est de ne pas rouler en voiture électrique et de prendre les transports publics et le vélo. Je crois que le plus important est d’avoir un geste citoyen responsable.
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Passons donc aux industriels. C’est eux qui vont devoir faire le plus grand effort. Les processus sont déjà souvent optimisés et gaspiller de l’énergie n’est pas dans les habitudes des industriels. Comment vont-ils réussir à réduire leur consommation d’énergie en l’espace de quelques mois?
«Nous sommes dans une démarche volontariste et nous avons encore eu récemment des discussions avec la Fedil. Nous regardons ce que nous pouvons faire, notamment concernant les 30 industriels les plus énergivores du pays. Pour le moment, les nouvelles sont bonnes puisqu’ArcelorMittal va être capable de réduire de 15% sa consommation, Goodyear pourra aussi réduire sa consommation, Guardian est à l’arrêt et ne reprendra sans doute pas cet hiver. On a identifié des potentiels de réduction mais on ne peut pas faire porter cette réduction uniquement à l’industrie. Je répète: il faut un effort collectif.
Cela fait 35 ans que l’on trouve des excuses pour ne pas aller vers une efficacité énergétique et les énergies renouvelables.
Dans le cas contraire, l’industrie devra mettre en œuvre un plan de délestage. La Fedil ne semble pas ravie de devoir travailler sur un tel plan et l’éventualité de voir des usines privées d’énergie du jour au lendemain…
«Personne n’est ravi de mettre en place un plan de délestage, qui est la solution quand on ne peut plus faire autrement. Si l’on baisse de 15% la consommation d’énergie, notamment de gaz, il n’y aura pas de pénurie, et donc pas de plan de délestage.
Certains peuvent aussi se dire qu’au vu de la taille du pays, les efforts du Luxembourg auront peu d’incidence sur la réduction de consommation d’énergie à l’échelle européenne…
«Oui, mais cette attitude ne mène nulle part. Le Luxembourg est petit par rapport à l’Europe et l’Europe est petite par rapport à la Chine. Cela fait 35 ans que l’on trouve des excuses pour ne pas aller vers une efficacité énergétique et les énergies renouvelables, aujourd’hui nous n’avons plus d’excuses. Nous sommes face à une vraie urgence, notamment climatique, en plus d’être face à des prix qui explosent. D’autant plus qu’il existe des alternatives. On peut installer des pompes à chaleur, il existe des aides pour la rénovation énergétique. Nous avons mis en place un transport public performant et gratuit. Je crois que dans ce pays, il n’y a vraiment plus d’arguments pour ne pas être vertueux.
Pourtant, pour le moment, l’éventualité d’une pénurie d’énergie en hiver ne semble pas préoccuper les acteurs économiques, alors qu’en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne, les grandes entreprises et la grande distribution ont annoncé la mise en place de mesures pour réduire leur consommation cet hiver. N’est-ce pas décevant?
«Il y a un facteur géographique à ne pas négliger. L’Italie et l’Espagne sont des pays où la climatisation joue un énorme rôle du fait de la chaleur qui est plus élevée que chez nous. Les climatisations tournent et consomment beaucoup d’électricité, donc beaucoup de gaz, et cela ne permet pas de remplir les stocks de gaz en été, ce qui est un problème. Nous, en été, nous avons peu de consommation de gaz, car nous ne chauffons pas et une bonne partie de nos citoyens partent en vacances. Le moment important pour nous est donc en septembre et en novembre. Cela ne sert absolument à rien de lancer une campagne de sensibilisation maintenant, à un moment où tout le monde a la tête ailleurs.
Nous sommes le pays qui donne les aides les plus élevées en matière de rénovation énergétique. Pour les personnes les plus fragiles financièrement, nous subventionnons jusqu’à 100% les coûts de l’installation d’une pompe à chaleur ou l’installation de nouvelles fenêtres.
Mais les entreprises ne semblent pas prendre, actuellement, la mesure de l’ampleur de l’effort demandé…
«La bonne nouvelle, c’est que l’UEL et son président, , ont annoncé vouloir travailler sur des mesures volontaires de la part de leurs membres, dont font partie la grande distribution et les supermarchés.
La rénovation énergétique est une des solutions pour réduire sa consommation d’énergie. Mais cela coûte cher. Ne faut-il pas accélérer encore un peu plus sur l’aide à ce niveau?
«C’est vrai que c’est parfois difficile, mais on essaie d’améliorer et de faciliter le système en place. On a réformé et simplifié administrativement le Klimabonus. Nous sommes le pays qui donne les aides les plus élevées en matière de rénovation énergétique. Pour les personnes les plus fragiles financièrement, nous subventionnons jusqu’à 100% les coûts de l’installation d’une pompe à chaleur ou l’installation de nouvelles fenêtres. D’un autre côté, nous avons donné un rôle plus important aux artisans.
C’est un ensemble de choses qui commence à produire des résultats. On voit déjà que les gens se rendent de plus en plus compte de l’urgence climatique, notamment en voyant les factures d’énergie augmenter. La Klima-Agence a vu le nombre de demandes de conseil doubler, et même tripler. Les artisans sont de mieux en mieux formés et avec nos objectifs climatiques ambitieux, ils ont devant eux au moins 30 ans de travail. On sent véritablement que la société est en train de prendre conscience de la situation, mais c’est aussi le résultat de la mise en place de notre stratégie politique.
En Belgique et en Allemagne, les écologistes ont accepté un retour du nucléaire pour aider à supporter la crise énergétique à venir et aider la transition écologique. Est-ce également votre cas? Êtes-vous un peu plus en faveur de l’énergie nucléaire?
«On vit une période complètement absurde. Le nucléaire français n’a jamais été aussi mal avec 27 des 54 réacteurs à l’arrêt, car il n’y a pas assez d’eau pour les refroidir et parce que 12 à 15 de ces réacteurs ont un grand problème de corrosion. La situation est absurde, car la Belgique doit relancer son nucléaire parce que les réacteurs français sont en défaut. L’Allemagne n’a pas besoin de relancer le nucléaire pour sa consommation intérieure, mais bien en raison de la défaillance du nucléaire français. Je trouve cela hallucinant que la presse en Europe écrive sur deux réacteurs en Belgique et trois réacteurs potentiels en Allemagne, mais aucun article sur les réacteurs défaillants en France.
Le nucléaire français est en faillite en ce moment. La politique nucléaire de la France a empêché de construire entre 15.000 à 20.000 mégawatts de solaire qui nous manquent cruellement aujourd’hui. La France a beaucoup de chauffage électrique, et chaque hiver, les pays voisins doivent la sauver du black-out. C’est une situation hallucinante. J’attire aussi l’attention sur le fait que la sûreté nucléaire a décidé de faire des compromis sur la sécurité de certains réacteurs afin de permettre leur retour dans le parc français cet hiver. Ce qui me laisse assez dubitatif.
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Ce n’est pas une question idéologique, mais un problème systémique au cœur du parc nucléaire français, comme le problème de corrosion. Les promesses du nucléaire du parc français ne tiennent pas debout. Quand Emmanuel Macron dit vouloir faire 6x2 nouveaux réacteurs pour sauver le climat et pour faire baisser les factures énergétiques de ses citoyens, il promet quelque chose pour 2038, 2040 et 2042. Mais c’est un mensonge, car cela veut dire qu’ils ne vont rien faire pendant 15 ans. La politique de la France est d’une grande tiédeur concernant les énergies renouvelables, mais chaude pour le nucléaire.
De son côté, le nucléaire allemand risque d’être relancé, mais le pays va aussi accélérer le déploiement du solaire et de l’éolien en mer. L’Allemagne souffre d’une grippe énergétique en raison du chantage de la Russie et de la politique des anciens gouvernements allemands, mais la France a un cancer. Encore une fois, on va devoir sauver la France pendant tous les hivers à venir, car la promesse du nucléaire français n’est pas tenue. Mais on préfère parler de deux réacteurs nucléaires en Belgique.
Pour revenir au Luxembourg, une étude de l’Université de Stanford estime à 14 milliards d’euros les investissements nécessaires pour faire fonctionner le pays avec 100% d’énergie renouvelable. Est-ce réalisable?
«Cette étude est très macro. Elle est assez bien faite et elle prend en compte les dernières données en la matière. Mais sur l’Europe, l’étude fait l’erreur suivante: elle considère chaque pays européen comme une île, alors que notre politique eu Europe est de construire ensemble un espace 100% renouvelable. C’est ce que nous essayons de construire au Luxembourg, où notre optimum énergétique et économique ne se résume pas à 100% d’autonomie sur l’île Luxembourg, mais bien 100% d’énergie renouvelable en Europe de l’Ouest en faisant 40 à 50% de notre production un mix entre le solaire, l’éolien sur terre et la biomasse à Luxembourg, et en faisant des coopérations avec, par exemple, le Danemark sur de grosses éoliennes en mer du Nord.
Ces dernières seront aussi une bonne solution pour les pays européens. Ce système intégré et transfrontalier est beaucoup moins cher que d’aller vers un système avec une autonomie 100% renouvelable par pays européen. En 2030, en Europe de l’Ouest, on sera à 70% d’énergie renouvelable, l’Allemagne sera à 80%. Si l’on regarde avec la France et le Benelux, on arrivera à 70% d’électricité verte d’ici 2030, et vers 2035, on sera proche des 100% grâce à l’infrastructure transfrontalière.»