Dans une vie précédente, Lydie Freitas baignait dans l’univers des Big 4, avec 15 années de fidélité au cabinet Deloitte et des fonctions dirigeantes. Le business, elle connaît. En 2021, elle a bifurqué pour créer son propre cabinet, Potentia, à Dommeldange. Cabinet de développement personnel, cette fois, où elle s’adonne notamment à l’accompagnement mental des sportifs comme des dirigeants d’entreprise. Une discipline en vogue actuellement qu’elle nous raconte ici, avec plus d’un parallèle possible entre ce que vivent les athlètes et ce que traversent les leaders. Voyage dans leur cerveau.
Pour un sportif, cela s’entend, il y a nécessité à répondre présent le jour J, et toute sa concentration doit être consacrée à cette perspective. Mais pour un chef d’entreprise? En quoi un leader a-t-il, lui aussi, besoin de «booster son mental», pour reprendre cette expression qui régulièrement revient dans vos propos?
Lydie Freitas. – «Dans le sport, la performance repose sur quatre piliers. Le physique. La technique. La tactique. Et le mental… Si un sportif veut être complet dans sa quête de performance, cela ne peut pas être uniquement en mode réactif lorsque se présente une difficulté. Cela passe également par des entraînements mentaux afin de favoriser toute sa capacité de réflexion, de concentration et de mémorisation. Ça, c’est le cognitif. Toute la gestion émotionnelle. Il en va de même pour un leader. Faire face aux incertitudes, prendre des décisions, gérer son stress… Tout cela, ce sont des thématiques qui ne se traitent nulle part ailleurs que dans le mental.
Les leaders qui ‘osent’ cette démarche sont ceux qui interrogent non seulement leurs capacités de réflexion, mais également le côté émotionnel.
Quelles sont les demandes les plus fréquentes?
«Lorsqu’un leader franchit le pas de venir jusqu’à moi, bien souvent c’est pour effectuer de l’executive coaching. Rarement en disant: ‘Je vais prendre une préparatrice mentale.’ Mais en fait, puisque nous travaillons sur le mental et sur l’émotionnel, la technique est la même. Seule la terminologie diffère. Pourquoi faire cette démarche? Elle concerne tout leader en quête d’équilibre. Équilibre entre sa réflexion, ses décisions, ses actions. Je pratique également la sophrologie, et dans la sophrologie on parle de tête/corps/cœur. La tête, c’est la capacité à réfléchir. Le cœur, la manière dont je vais gérer mes émotions. Et le corps, mon pouvoir d’action. L’idée est d’arriver à un alignement. Les leaders qui ‘osent’ cette démarche sont ceux qui interrogent non seulement leurs capacités de réflexion, mais également le côté émotionnel, pour prendre de bonnes décisions ou pour gérer leur stress et faire face aux imprévus. Autant de challenges.
Des challenges comparables à ceux qu’a à affronter un athlète?
«S’il est un challenge qui est peu médiatisé, c’est la solitude du leader. Un dirigeant a son comité de direction, il est entouré. De même que le sportif dispose d’un staff et est entouré. Sauf qu’à l’instant T, celui qui prend la décision, qui prend la responsabilité, c’est celui qui tire dans le ballon… ou celui qui décide pour son entreprise. Cette solitude n’est pas physique, elle est émotionnelle. Un coach permet d’accompagner le leader et d’accompagner son développement.
Il y a un instant, vous avez employé le terme «oser». Est-ce à dire que la gestion du mental est encore taboue dans le monde de l’entreprise?
«Les réticences sont de deux ordres. La première, c’est de prendre conscience qu’il y a un besoin. Un vrai besoin. Et de l’assumer. La deuxième réticence, en effet, c’est le côté tabou. Je communique sur les réseaux sociaux, mais je communique peu sur le nom de mes clients, et quand je le fais, c’est parce que mes clients eux-mêmes communiquent sur leur préparation. Discrétion…
Un exemple: j’accompagne une karatéka championne de France et d’Europe, qui, en octobre prochain, participera aux championnats du monde. Quand elle a commencé à travailler avec moi, cette discrétion était un préalable. Personne ne devait le savoir, pas même son coach technique, son préparateur physique… Pendant un an, cela a mûri dans sa tête. Et après deux rendez-vous ensemble, elle m’a présentée aux autres comme sa préparatrice mentale. J’étais très surprise, mais un déclic s’était produit en elle. Elle le déclare en interview à présent: cela fait partie de son entraînement. Ce n’est pas pour résoudre un problème, mais pour booster sa performance.
Effectuer cette démarche, c’est s’assumer en fait. Savoir qui l’on est.
Consentir à une préparation mentale, cela revient à mettre son orgueil de côté?
«J’ignore si c’est une question d’orgueil. Effectuer cette démarche, c’est s’assumer en fait. Savoir qui l’on est. Ou travailler avec quelqu’un pour le savoir, l’accepter et l’exprimer pleinement.
En somme, une force supplémentaire à aller glaner?
«Aller chercher au fond de soi, oui, être conscient de son potentiel, l’utiliser, le libérer. Ce n’est pas pour rien si j’ai intitulé mon cabinet Potentia.
Concrètement, comment se déroulent les choses? Je suis chef d’entreprise, j’ai besoin de votre accompagnement. On va se rencontrer chaque semaine? Une fois par mois?
«En coaching, il faut du temps entre les séances. Parce que le travail ne s’effectue pas uniquement lors des rendez-vous. En dehors des séances, cela infuse, des actions sont mises en place. Le coaching, c’est ça: définir un plan d’action.
Vous avez les mêmes approches, les mêmes techniques, les mêmes méthodes pour les sportifs que pour les chefs d’entreprise?
«Oui. En m’adaptant à leur environnement, et à leurs besoins face à cet environnement-là.
À l’arrivée, vous êtes celle qui connaît le mieux le sportif ou le chef d’entreprise avec qui vous travaillez?
«D’un point de vue intérieur, oui.
Parce qu’il faut se mettre à nu devant vous?
«Oui. Bien sûr. C’est pour cela que la relation de confiance prime.
Le sport permet de développer sa matière grise, donc sa capacité de réflexion, de concentration, de motivation, de mémoire.
Chaque professionnel dispose de sa propre méthode?
«Les techniques sont bien entendu les mêmes, mais il y a autant de manières de coacher que de coachs, en effet. Nous avons chacun notre couleur, notre style, notre personnalité. Moi, je suis coach, mais je ne suis pas que coach. J’ai mon passé, mon expérience, et tout cela est utile dans mes approches. J’utilise par exemple beaucoup la visualisation, que je pratique aussi dans la sophrologie ou en hypnose.
Je vais me faire l’avocat du diable… Vous n’êtes pas que coach, dites-vous, mais vous n’avez jamais été sportive de haut niveau ou cheffe d’entreprise. Comment est-il possible de se mettre à la place des autres?
«Il s’agit là de la différence entre un conseiller et un coach. Le conseiller a l’expertise technique. Moi, j’ai une vue davantage intérieure, sur le ressenti et l’émotionnel. Par ailleurs, leader, je l’ai été également à Luxembourg. J’ai passé plus de 15 ans dans une société où je faisais partie du leadership, j’ai géré des équipes de 2 à plus de 40 personnes. Je peux comprendre l’enjeu. Les personnes que je coache ne le savent pas forcément, parce que je ne le mets pas en avant. Je veux me positionner comme coach accompagnant. Pour ce qui est de cheffe d’entreprise, j’ai créé et je gère ma société d’accompagnement en coaching et formation.
Faut-il associer une facette physique au travail mental?
«Quand on est leader, il est nécessaire à mon sens d’associer une partie physique, oui. Lorsque vous m’avez contactée, vous m’aviez demandé si le cerveau était un muscle comme un autre. Le sport permet de développer sa matière grise, donc sa capacité de réflexion, de concentration, de motivation, de mémoire. Donc lorsque nous parlons de physique, j’en reviens à ce que j’ai dit plus tôt: il est nécessaire d’aligner tête/corps/cœur. Autrement formulé, il est essentiel d’avoir une certaine condition physique pour être leader, pour trouver son équilibre. Cela ne veut pas dire qu’il faut être sportif de haut niveau. Dans le sport ou le physique, il y a mille et une choses. C’est différent de la boxe ou de la course à pied, mais méditation et yoga en font partie. Que chacun puisse se trouver des moments pour se ressourcer. L’idée est de trouver un équilibre entre ce qui consomme de l’énergie et ce qui apporte de l’énergie. Avec cette question: de quelle ressource externe disposons-nous pour aller se recharger en énergie?
Quels tips pourriez-vous nous donner?
«La routine. Qui est la base de la préparation mentale. Pour fonctionner et être performant, le cerveau a besoin de régularité. Tout comme le sportif, le leader doit définir des routines. Des moyens pour faire face à la difficulté, booster sa performance et travailler sur son mental. Vous parliez de physique, cela peut être une routine physique. Je connais un ex-managing partner dans un grand cabinet financier qui, plusieurs fois par semaine, à 15h très précises, allait faire son footing. Cela ne posait de problème à personne, c’était sa routine pour avoir son équilibre.
Et quelles sont les erreurs à ne pas commettre?
«Je parlerais plutôt de bonne pratique à adopter. Celle de revenir régulièrement à ce qui a du sens. ‘Si j’ai créé cette entreprise, c’était pour quoi faire?’ Quand on prend le comité de direction et qu’on part ailleurs, ce n’est pas seulement pour se rendre dans un bel endroit, ou pour faire du sport, une régate… Non, c’est pour dire stop. Pour s’arrêter. Se retirer. Réfléchir. Fixer de nouveaux objectifs. Pour revenir et avancer.
Je ne coache pas un métier. Je coache quelqu’un.
Comment juger de la réussite ou de l’échec de l’accompagnement d’un leader?
«Mon rôle est d’offrir des moyens à toutes les personnes que j’accompagne, que ce soit dans le business ou dans le sport. Elles les expérimentent, elles s’entraînent… Mais le résultat technique leur appartient, comme il appartient à de nombreux autres facteurs. Être championne du monde de karaté, pour reprendre cette situation, ce n’est pas qu’un relevé de la performance de la sportive que j’accompagne. Cela dépend aussi de la performance des autres.
Dans le business, prenons l’exemple concret d’un chef d’entreprise qui viendrait ici pour travailler sa prise de décision. Sous difficulté, il ne parvient pas à gérer le côté émotionnel. Ça, il faut que nous le définissions. Dans quelle situation spécifiquement? Qu’est-ce qui est généré d’un point de vue émotionnel? Quels outils peuvent être mis en place? À un moment donné, nous faisons le bilan. Qu’en est-il de cette prise de décision? Ensemble, nous avons défini des indicateurs de réussite. Avec un objectif, il faut des indicateurs de réussite. Dans le cas d’une prise de décision, ce sera de convenir: ‘Je ne doute plus. La décision est prise, je ne refais pas le film. J’avance, et je passe à la prochaine décision.’ Lorsque ça c’est atteint, l’objectif est bouclé.
Moralité, la préparation mentale est un investissement pour soi?
«C’est du développement. Donc oui, c’est investir pour son propre développement.
Vous coachez de la même manière un artisan-boulanger au coin de la rue que le CEO d’une grosse multinationale?
«Je coache des personnes, l’être humain. Donc, vu que c’est lié à la personne et à l’interne, je réponds oui. Maintenant, si l’on regarde d’un point de vue externe, les enjeux, la pression, le risque, peut-être que c’est différent. Mais moi je ne coache pas un métier. Je coache quelqu’un.
Peut-il arriver qu’entre la préparatrice mentale et son interlocuteur cela ne matche pas?
«J’imagine que oui. Pour moi, la première séance est décisive. Il faut que ça matche, et dans les deux sens. L’important, vous l’avez dit, c’est de se dévoiler. S’ouvrir. Se faire confiance. Si on est dans la retenue ou dans la crainte, si on n’ose pas, si on ne le sent pas, il faut arrêter. Aucun souci de ce côté-là.
Derrière l’essor du coaching, comment séparer le bon grain de l’ivraie?
«Vous voulez être préparateur mental? Demain, vous inscrivez sur votre porte que vous l’êtes, c’est autorisé! En pratique, il est important de se tourner vers un professionnel ayant été formé et certifié, à mon sens. Mais c’est tellement important que, moi, on ne m’a jamais demandé mes certifications [sourire ironique]. Ou très rarement. Quelle que soit la pratique, je suis passée par des organismes pour la certifier. Pas juste apprendre avec des podcasts ou lire un livre. L’organisme de formation a lui-même reçu une certification, et les formateurs ont eux-mêmes reçu une certification. Non, nous ne sommes pas à l’abri de tomber sur des gens qui se nomment préparateurs mentaux ou coachs sans réelle formation. Mais considérons quel est le risque. En séance de coaching, la personne est consciente de ce qu’elle fait et de ce qu’elle dit, elle est donc à même de s’arrêter. C’est le plus important.
Votre souhait serait que la profession soit mieux encadrée?
«Oui, car la terminologie ‘coach’ recoupe différentes facettes. On peut être coach de sport, de vie, de Pilates… Cette terminologie n’est pas forcément un métier. Si c’était davantage réglementé, cela donnerait plus de crédit à la profession.»
Demain (3/5). Lotfi Khalfat (Sportsvision): «Les sportifs sont leur propre entreprise»