Pour le nouveau directeur du groupe Luxport, Gilles Braquet, qui a pris ses fonctions en décembre 2023, les phénomènes tels que la digitalisation ou la transition énergétique sont des enjeux autant que des opportunités, qu’il faut appréhender sans tarder.  (Photo: Maëlle Hamma/Maison Moderne)

Pour le nouveau directeur du groupe Luxport, Gilles Braquet, qui a pris ses fonctions en décembre 2023, les phénomènes tels que la digitalisation ou la transition énergétique sont des enjeux autant que des opportunités, qu’il faut appréhender sans tarder.  (Photo: Maëlle Hamma/Maison Moderne)

Chaque vendredi du mois d’août, embarquons à la découverte de l’écosystème qui s’est développé autour de la rivière de la Moselle. Cette semaine, arrêt obligatoire au port de Mertert où l’exploitant principal du site, le groupe Luxport, diversifie ses activités et pense déjà au transport trimodal du futur…

Tôt le matin, les wagons arrivent chargés, ou pour être chargés. Toute la journée, s’ensuit un défilé de camions, et quelques barges et péniches. Ici, sur le port de Mertert, inauguré après la canalisation de la Moselle en 1965, trois entreprises sont implantées. Tanklux, spécialisée dans les services de stockage et de transbordement de produits pétroliers; le fournisseur de béton Bétons Feidt et le groupe Luxport, «l’exploitant principal du site portuaire», indique la Société du port, qui gère quant à elle les infrastructures. Luxport est née en 1992, de la fusion de Manuport et Portlux. 

Le groupe Luxport est aujourd’hui un géant à – au moins – trois têtes, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros en 2023. Un géant qui ne l’a pas toujours été, mais qui, à l’époque, a vite compris l’intérêt de se diversifier pour survivre. En 1997 d’abord, avec l’acquisition de TCT à Trèves (Trierer Container Terminal) pour se positionner sur l’activité container. Puis en 2006, l’activité portuaire de Luxport est encore étoffée, avec la création de Lorang, une société de transport routier spécialisée dans les gros gabarits, qui constitue la deuxième tête du groupe, et la plus importante en termes d’activités, puisqu’elle représente près de 67% du CA du groupe (50 millions d’euros) en 2023. En 2009, une filière de Lorang, la Lorang Gmbh voit le jour en Allemagne, plutôt active sur le crédo du transport standard et sécurisé. 

Outre le transbordement classique de marchandises en vrac telles que le sable, les minéraux, les engrais, les combustibles et matériaux de construction, la société Luxport est avant tout spécialisée dans la manutention de produits métalliques (acier long, acier plat, ferraille, etc.). Elle demeure très liée à l’industrie sidérurgique, et s’en est rapprochée encore un peu plus en 2018 lorsque le groupe a créé Thesilux, spécialisée dans le traitement et les travaux de sablage et de revêtement de produits tels que des palplanches, poutrelles, pontons ainsi que tous autres éléments en acier. «Nous traitons par exemple les surfaces contre la corrosion, mais tout dépend de la demande du client, en termes de couleur, de longueur; d’un mètre à 40 mètres», glisse le , qui a pris ses fonctions en décembre 2023. 

«Notre vision est d’offrir la meilleure solution, qui soit complète au client: le déchargement, le soudage, le traitement de surface, le chargement, le transport avec le mode le plus adapté, et la livraison. C’est un avantage pour le client qui n’a pas besoin de s’organiser avec différents partenaires. C’est ainsi que nous nous différencions», explique Gilles Braquet.

La trimodalité, la clé de son succès

Son rôle: un capitaine, ou plutôt un chef d’orchestre qui doit mettre en musique ce système trimodal, au cœur de l’activité de Luxport. «Le transport trimodal, c’est la synchronisation des différents modes de transport. C’est avoir la main sur les trois, pour proposer la solution parfaite pour chaque client, mais aussi pour l’environnement.» De façon à ce que les trois modes de transport forment une chaîne complète qui puisse naviguer même en eaux troubles. Ou en période d’eaux basses, plutôt. «Cette année, nous avons plutôt eu des eaux hautes. Mais nous avons connu des phénomènes de ‘low-water’ (eaux basses du fait de la sècheresse, ndlr) en août, comme en octobre ou en janvier. Il n’y a plus vraiment de règles. La Moselle ne pose pas trop de problèmes à ce niveau-là, car elle est canalisée et les écluses permettent de contrôler les niveaux d’eau. Mais c’est plus problématique avec le Rhin. Chaque matin, notre responsable de l’activité fluviale scrute les niveaux d’eau. Il regarde aussi le Danube. Là, la trimodalité est importante, car si nous rencontrons un problème sur un flux de transport. On peut se tourner vers un autre flux, et le client pourra quoi qu’il arrive expédier son matériel», explique Gilles Braquet.

Pour pouvoir mettre en musique toute sa chaîne trimodale, le groupe qui compte un peu plus de 300 employés possède deux barges en location qui tournent à 100%. En termes d’expéditions, Luxport expédie 380 barges par an, dont 200 pour l’acier. «Quand l’une est à Mertert, l’autre est à Anvers par exemple. On fait alors le tour entre Anvers, Bonn, Mertert et Metz, en continu», illustre le directeur. Luxport opère 700.000 tonnes de transbordement par an, dont 400.000 tonnes d’acier, «cela représente 60% de notre activité», souligne Gilles Braquet. 

Être partout sur la Moselle

Sur la route, le groupe Luxport dispose, via la société Lorang, d’une flotte de 120 camions, avec 170 remorques; certaines extensibles jusqu’à 33 mètres ou d’autres spécialement conçues pour le transport d’acier. En 2023, Lorang a opéré 73.700 transports, dont 45% vers l’Allemagne. 25% de ses transports se sont faits ici intra-Luxembourg, et le reste au Benelux. «On peut parfois aller jusqu’à Rotterdam ou en Pologne, sur le Danube, ou en Roumanie si le client a des projets là-bas. Toute la chaîne reste sous notre contrôle. On peut aussi expédier par le rail, jusqu’à Lyon», donne en exemple Gilles Braquet. «Nos clients sont principalement dans la région, mais ils vont ensuite dans le monde entier. ArcelorMittal est un de nos plus grands clients, nous sommes des partenaires de long terme. Déjà dans les années 1960, l’Arbed était un des plus intéressés par la construction du port. Ils avaient les masses et les pièces qui font que ça a toujours eu du sens de faire appel à nous», précise-t-il. 

Sur le rail, Luxport travaille en lien avec les CFL. «On a 15.000 tonnes de containers par an. On les transporte parfois par wagons. Les CFL ont acquis en 2023 des actions de Luxport. Nous avons un très bon partenariat, et cinq voies ferrées qui mènent au port. Elles sont utilisées surtout pour le déchargement de l’acier, mais aussi pour des containers», explique Gilles Braquet. 

Sur l’eau, pour donner plus d’efficacité à cette trimodalité, Luxport souhaite garder des capacités de chargement dans toute la région. En 2018, le groupe a créé la société MMS au port de Metz, spécialisée dans l’activité containers. Et le fait d’avoir plusieurs autres ports d’attache le long de la Moselle est aussi un levier en matière de durabilité. «Si on veut penser notre activité selon la transition énergétique, on doit alors avoir des hubs. Car il faut que les ‘last miles’, les kilomètres parcourus par la route, soient les plus courts possibles», dit Gilles Braquet. 


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Pour lui, il est clair que la Moselle et le transport fluvial joueront un rôle clé dans la transition énergétique. «On peut transporter de très grandes masses dans des péniches. Jusqu’à 3.000 tonnes, soit l’équivalent de 150 camions sur la route. La péniche jouera un rôle clé notamment sur les grandes distances. Nous avons ici la possibilité d’être sur un axe qui nous mène à Anvers, Rotterdam, et à l’Europe entière. Mais nous dépendons aussi des pays voisins, face au Rhin. Il nous faudra défendre l’activité de la Moselle, comme du Main», prévoit Gilles Braquet. 

Luxport veut penser plus vert

À son échelle, Luxport pense aussi SA transition, plus verte. En janvier, un camion électrique est venu compléter la flotte de Lorang. «Un camion électrique implique une planification complètement différente. Il faut tenir compte de la charge du camion, des points de rechargement de la batterie, du déchargement de ce que l’on transporte, mais aussi de la topographie, des saisons. On en tire aujourd’hui une bonne expérience, autour d’usines ou de hubs, sur de courtes distances. Mais sur de longues distances, nous essayons de réfléchir autrement. Nous faisons des tests avec le biodiésel. Pour l’hydrogène, c’est encore tôt, il est clair qu’il y a des risques financiers derrière, mais il faut commencer à tester aussi», détaille Gilles Braquet. 

Pour des péniches plus vertes, c’est un peu plus compliqué. «Une péniche ça s’achète pour 30 à 50 ans. Si l’on achète une péniche aujourd’hui, on doit être sûr qu’elle a le potentiel de pouvoir passer sur de l’hydrogène ou de l’électrique demain. Nous menons une étude de risque pour l’importation d’hydrogène à Mertert qui sera prochainement finalisée. Quant aux péniches électriques, le problème, c’est le contre-courant. Il y a encore la solution du biofuel, qui pourrait être utilisé pour une période transitoire de dix ans par exemple. Mais il coûte 30% de plus. On peut imaginer dans les années à venir une multitude de solutions qui s’imbriquent: de l’électrique pour les courtes distances, du biofuel pour de plus grandes distances, et de l’hydrogène pour de très longues distances sur des routes définies, mais nous avons besoin des infrastructures correspondantes que l’on n’a pas encore tout à fait aujourd’hui», pense-t-il. 

Un défi qui va de pair avec celui de la transition énergétique est celui de la digitalisation et de l’automatisation. Reprenons l’exemple de ce nouveau camion électrique: sa planification, contrairement aux camions thermiques, doit être différemment pensée, prenant en compte d’autres contraintes. «Un de nos piliers est la digitalisation. Depuis deux ans, nous investissons dans de nouveaux logiciels, notamment un logiciel de planification des camions. C’est un support important qui devient même indispensable. Comme l’IA, on commence à s’y intéresser. C’est encore en pleine évolution, mais cela pourrait aider dans l’optimisation des camions sur les routes. Nous avons aussi mis en place une solution pour la gestion des stocks. Ce qui permet de minimiser le risque d’erreurs dans les commandes. Nous avons commencé avec des scanners et un système d’étiquetage sur chaque produit, cette année avec les barres d’acier. L’autre pan de la digitalisation concerne nos KPI, pour être capables de monitorer nos activités et réagir le plus vite possible», indique Gilles Braquet.

Dans 30 ans, ici, j’imagine davantage de péniches dans le port, même s’il y aura toujours des camions et des wagons.

Gilles Braquetdirecteur Luxport

L’automatisation, elle, n’est pas si simple à mettre en place. «Nous avons 35 soudeurs, 40 manutentionnaires, des grutiers, des machinistes, du personnel administratif. Chez nous, les tâches manuelles sont encore très importantes et on ne peut pas tout automatiser. Une partie du soudage ou des tâches administratives pourraient l’être, ou d’autres tâches telles que le pesage des camions ou l’accueil des chauffeurs. Mais le transbordement actuel reste difficile à automatiser car il n’y a pas de processus standardisé, cela peut varier selon la taille des containers, leur emplacement…», explique le directeur. 

Luxport navigue à son rythme vers le futur. «Le futur sera de réfléchir encore mieux à la synchronisation des trois modes de transport, voire quatre. Dans 30 ans, ici, j’imagine davantage de péniches dans le port, même s’il y aura toujours des camions et des wagons. Peut-être que l’un ou l’autre sera automatisé. Mais je crois qu’aucun des trois ne disparaîtra, et que nous aurons toujours besoin de l’agilité et de la flexibilité du camion pour les ‘last miles’.»