Gilles Gérard, CEO de Luxlait, s’inquiète pour l’avenir de ses producteurs face à la crise. (Photo: Nader Ghavami / archives Maison Moderne)

Gilles Gérard, CEO de Luxlait, s’inquiète pour l’avenir de ses producteurs face à la crise. (Photo: Nader Ghavami / archives Maison Moderne)

À cause de la fermeture des restaurants, une partie de l’activité de Luxlait diminue. Elle essaie de la compenser sur d’autres marchés, de la grande distribution aux produits industriels. Mais n’exclut pas de devoir baisser le prix d’achat du lait chez ses producteurs.

Chaque jour, beurre, fromage et autres produits laitiers réapparaissent dans les rayons des magasins, malgré les ruées récentes. Ils viennent d’acteurs comme Luxlait, qui poursuit sa production en pleine crise du coronavirus. Gilles Gérard, CEO de la laiterie coopérative, raconte une gestion au jour le jour, dépendante du marché.

Quel est votre rôle au sein de cette crise?

Gilles Gérard. – «Nous sommes fiers de continuer à travailler. Notre rôle est de continuer à produire: du lait, du beurre, des yaourts, des fromages, pour que la population puisse se nourrir. Nous avons 350 références. Et de faire fonctionner la filière laitière. Nous sommes une association agricole et devons continuer à collecter le lait de nos 335 membres chaque jour, sinon ils ne pourraient rien en faire.

Nous aidons aussi d’autres entreprises, comme la fromagerie de Luxembourg: nous prenons une partie de leur lait quand nous le pouvons pour ne pas qu’elles le jettent.

Comment vos activités sont-elles touchées par le coronavirus?

«Tous les jours, nous avons 500.000 litres de lait qui arrivent et nous devons faire quelque chose avec.

Le secteur de l’horeca représente environ 40% de notre activité au Luxembourg. En ce moment, il tourne à 25-30%, mais nous ne pouvons pas freiner la production, il faut que nous trouvions des débouchés.

Dans la grande et moyenne distribution, il y a eu une hausse des ventes de lait UHT d’environ 25%. Mais c’est temporaire, des gens qui ont fait des stocks, et cela ne compensera jamais les pertes liées à la fermeture des restaurants, cantines, crèches, etc.

Luxlait exporte 60% de ses productions, ce qui a diminué énormément aussi puisque l’horeca est à l’arrêt dans toute l’Europe. Nous vendons du lait aux croisiéristes, ils ne travaillent plus. Dans les avions, c’est pareil.

Vous avez des travailleurs frontaliers qui consommaient à Luxembourg et qui consomment dans leur pays en ce moment, c’est forcément un manque à gagner.

Nous avons fait un transfert de nos surplus de lait vers les produits industriels, comme le lait concentré ou en poudre. Mais nous ne sommes pas les seuls à le faire alors les prix ont chuté. C’est passé de 2.200 euros la tonne de matière sèche à 1.400 euros la semaine dernière.

Nous vivons au jour le jour. Les commerciaux regardent ce qu’il se passe sur le marché pour nous dire ce que nous devons produire.

Combien de temps peut tenir Luxlait dans cette situation?

«Pour l’instant, nous tenons le coup. Si ça continue comme ça quelques semaines, il est clair que nous allons devoir prendre des décisions et certainement diminuer le prix du lait chez nos agriculteurs. Certains ont beaucoup de dettes et s’ils n’ont pas de revenu, ils vont devoir fermer.

À combien estimez-vous l’impact sur votre chiffre d’affaires?

«Je suis incapable de le dire. Nous réalisions un chiffre d’affaires d’un peu plus de 100 millions d’euros.

Pensez-vous à augmenter les prix du lait pour gérer cette crise?

«Nous n’allons jamais augmenter nos prix de vente à la grande et moyenne distribution. Si demain les prix sont changés, ce ne sera pas via Luxlait. Depuis la crise, nous n’avons pas vendu un produit avec un centime de plus.

Achetez luxembourgeois, il en va de la survie de sociétés.
Gilles Gérard

Gilles GérardCEOLuxlait

Comment le secteur laitier peut-il survivre?

«J’en appelle à l’acte citoyen. Achetez luxembourgeois, il en va de la survie de sociétés. Il faut que chacun prenne conscience qu’il est essentiel d’avoir des entreprises locales. Si demain il fallait fermer les frontières et que nous n’avons pas d’entreprises agroalimentaires dans le pays, ce serait dramatique.

Comment avez-vous géré l’urgence sanitaire en interne chez Luxlait?

«Nous sommes une entreprise agroalimentaire donc nous avons déjà un niveau d’hygiène assez haut. Quand le coronavirus est arrivé, nous avons mis en place beaucoup de choses supplémentaires pour protéger le personnel: solutions hydroalcooliques à l’entrée, arrêt des réunions qui n’étaient pas essentielles, etc. Nous avons mis au télétravail les gens qui n’ont pas besoin d’être sur le terrain, une quinzaine de personnes. Nous avons mis des séparations en plexiglas dans nos salles de réunion, espacé les tables dans notre restaurant d’entreprise…

Nous avons arrêté l’activité Vitarium, qui s’occupe des visites de notre entreprise. Nous n’organisons plus du tout de visites. Les salariés (cinq) sont au chômage partiel.

J’ai donné une prime de 500 euros au personnel présent sur le site. Cela s’imposait à mes yeux. Dans ces moments, on s’aperçoit qu’ils sont une denrée rare et importante. Ils sont investis d’un rôle, se rendent compte de l’importance qu’ils ont à jouer.

Y a-t-il toujours assez de monde pour assurer la production?

«Nous avons 25 personnes en congé pour raisons familiales et 25 à 30 qui sont en maladie. Sur 330 salariés au total.

Pour l’instant, nous n’avons pas de problèmes pour produire normalement, même si c’est compliqué. Des gens font beaucoup d’heures supplémentaires pour assurer l’activité de l’entreprise, travaillent six jours au lieu de cinq.

Comment imaginez-vous la sortie de crise?

«Je pense que les dégâts vont être considérables, même si le gouvernement promet des aides. J’espère qu’il n’y aura pas trop de faillites.

Du point de vue de Luxlait, cela va reprendre, car les métiers de bouche vont reprendre.

J’espère qu’il y aura un déclic sur les choses essentielles. Peut-être que certains vont se rendre compte de l’importance des entreprises locales et vont consommer luxembourgeois.

Je pense qu’il va y avoir plus de télétravail qu’avant. L’activité ‘drive’ va certainement augmenter.

La planète entière ressortira plus grande de cette crise.»