Il règne toujours un esprit de start-up chez Artyom Yukhin et Artec 3D. Et la même satisfaction de voir sa technologie répondre à des usages très variés. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Il règne toujours un esprit de start-up chez Artyom Yukhin et Artec 3D. Et la même satisfaction de voir sa technologie répondre à des usages très variés. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Quel est le point commun entre Google, Apple, Disney, Adidas, SpaceX, Ikea, Ferrari et Ford? Tous ont adopté les scanners portables de la luxembourgeoise Artec 3D, née à Palo Alto et arrivée au Luxembourg au début des années 2010. Histoire d’une success-story discrète «made in Lux».

«A posteriori, c’est la meilleure décision que j’ai prise au cours de ma vie professionnelle.» Artyom Yukhin rencontre le ministre de l’Économie, (LSAP), et (CSV), à Palo Alto, en 2008, lors d’un de ces déplacements au cours desquels le Luxembourg sait si bien déployer des trésors de conviction.

La «garage start-up», parce que née quasiment dans un garage de Palo Alto, au beau milieu de cette Silicon Valley mythique, à une époque mythique, vient de lancer la vente de ses premiers scanners portables – une révolution dans un secteur de niche – et malgré la crise économique et financière, s’aperçoit que 60% de ses clients sont européens.

«Nous pensions aller en Suisse, mais MM. Krecké et Juncker nous ont convaincus de venir au Luxembourg, au centre de l’Europe et de l’Union européenne», explique le CEO d’Artec 3D, en mangeant chocolat sur chocolat, dans une petite salle de conférence de ses locaux, à Hamm, à un vol d’hirondelle d’une autre success-story luxembourgeoise: Apateq. «Je leur ai pourtant dit ‘nous ne sommes qu’une petite start-up vous savez, nous n’avons pas de millions’ et ils m’ont répondu ‘ne vous en faites pas, nous avons des milliards!’» 

La start-up devient rentable dès le huitième mois de son existence, en 2009. «Aujourd’hui encore, ils veulent tous parler avec nous, les investisseurs et les représentants du private equity. Ça m’amuse! Nous n’avons jamais ouvert notre capital.»

Une nouvelle version du logiciel chaque année

Car 13 ans plus tard, la société spécialisée dans les scanners portables et les logiciels qui y sont associés ont tous les grands noms du Fortune 500 dans leur portefeuille de clients: les tech (Intel, Apple, Microsoft, Google, Facebook, HP, Dell, Huawei, Samsung, entre autres), les constructeurs automobiles (Renault, BMW, Toyota, Audi, Ford, Nissan, Tesla, Ferrari, Volkswagen, Toyota, Maserati, Porsche, Rolls Royce, etc.), les rois de l’aéronautique et du spatial (la Nasa, Space X, Boeing), les industriels (Tata, ArcelorMittal) ou encore les «lifestyle» (Disney, Coca Cola, Adidas, Nike, Ikea, Kellogg’s, Avon). Sans parler des musées, en Italie, en France ou Kenya, qui utilisent la technologie pour faire entrer leurs collections dans la postérité.

Le moteur posé au sol peut être scanné en quelques minutes à une précision d’horloger suisse. L’ingénieur voit si toute la pièce est bien verte sur l’écran tactile de Leo et les images partent directement dans le cloud. Sans fil et en bluetooth. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Le moteur posé au sol peut être scanné en quelques minutes à une précision d’horloger suisse. L’ingénieur voit si toute la pièce est bien verte sur l’écran tactile de Leo et les images partent directement dans le cloud. Sans fil et en bluetooth. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Tous séduits par la promesse intelligente d’Artec 3D: des scanners portables qui ont désormais leur batterie et leur «cerveau» intégré, capable de «dire» à un non-initié de l’appareil qu’il n’a pas bien scanné la pièce devant lui, et qui envoie les images directement dans le cloud d’Amazon et des autres pour que les ingénieurs y aient accès d’où ils veulent quand ils veulent. Au rez-de-chaussée, où se trouve une ligne de production high tech, la démonstration est impressionnante: en trois minutes, un employé demande à «Leo» de regarder un moteur sous toutes les coutures. Sur son écran tactile, le scanner colore en vert les zones bien comprises et en rouge celles par lesquelles il faut repasser.

«Quand j’ai annoncé que nous vendrions l’abonnement au logiciel à part, les gens m’ont dit que j’étais fou», se souvient le dirigeant de l’entreprise. «La réalité, c’est que tous nos clients ont fini par préférer l’abonnement annuel à l’achat du logiciel une seule fois. Car tous les ans, nous livrons un nouveau logiciel. Tous les ans, nos ingénieurs améliorent notre produit et rendent l’expérience de nos scanners complètement nouvelle!»

Une triple proposition à l’Ukraine

Avec ce double flux de trésorerie confié à un réseau de 150 revendeurs dans 60 pays, la start-up devient le leader du marché avec un chiffre d’affaires annuel de 18,5 millions d’euros en Europe, selon les comptes publiés au registre du commerce. Ses appareils servent aussi bien à faire des modèles 3D de grands immeubles que de pièces de voitures, à préparer des catalogues de meubles ou de chaussures de sport ou à permettre une hyperpersonnalisation de prothèses.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a touché le fondateur de la société, d’origine russe. Il a proposé ses services à la Cour pénale internationale pour documenter les massacres russes en Ukraine. Et au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour l’aider à reconstruire son pays et à accélérer l’accès à tous ceux qui auront perdu une jambe ou un bras pendant la guerre à accéder à une prothèse.

Parmi les débouchés moins attendus des scanners, les enquêtes de police. «Un policier peut scanner une scène de crime et avoir une représentation en 3D et en couleurs, qui va l’aider au cours de l’enquête, mais rester longtemps à disposition de la justice», explique M. Yukhin. C’est précisément ce qui continue de passionner ce quadragénaire: la variété des domaines où sa technologie a un impact. Et rendre un peu de l’accueil que le Luxembourg lui a réservé. «Nous avons 250 employés (sur quatre sites, à Luxembourg, à San Diego, à Shanghai et au Monténégro), mais comme nous avons besoin de profils très spécialisés, deux jeunes Luxembourgeois qui avaient des PhD en robotique et dans un domaine similaire ont rejoint notre entreprise. Offrir des emplois à la hauteur de leurs qualifications est aussi une belle mission.»

Si «Eva» reste un modèle aussi mythique que l’iconique «MHT» des débuts – parce qu’il ressemblait au Wally-e de Disney, tout le marché l’avait surnommé ainsi – le «Leo» et les autres vont avoir besoin, pour produire sur la chaîne de production de Hamm, d’avoir accès aux composants. Les délais se sont allongés de 3 (à 6 mois) à 12 (à 15 mois), posant un nouveau problème à l’entrepreneur: avoir assez de trésorerie pour payer les fournitures d’un côté sans pouvoir monter ses scanners uniques avant une période plus longue. Visiblement pas de quoi trop l’inquiéter.