François Hollande et Emmanuel Macron ne pouvaient pas ne pas savoir. À quelques mois de l’élection présidentielle française, le média indépendant Disclose publie une série intitulée «Les mémos de la terreur», portant sur l’implication de la France dans un certain nombre de dérives du régime égyptien dirigé par le maréchal Abdel-Fattah al-Sissi. Des mémos de militaires alertent les ministres, les gouvernements et les deux présidents français successifs.
, des capacités de renseignement achetées par la Direction du renseignement militaire français à la société luxembourgeoise CAE Aviation pour «quelques millions d’euros» ont été utilisées pour cibler des centaines de civils, assassinés par l’armée égyptienne sans autre forme de procès et présentés dans l’enquête, pour la plupart, comme des trafiquants.
Dans l’opération «Sirli», dix agents sont mobilisés, quatre militaires et six anciens militaires employés par la société luxembourgeoise, qui a aussi mis à disposition un de ses sept avions, de type Merlin III. À bord de cet avion, dont on ignore s’il s’agit de l’unique aéronef de la société luxembourgeoise immatriculé au Luxembourg par la Direction de l’aviation civile, l’équipage a mené des opérations de reconnaissance à la frontière avec la Libye; officiellement, pour prévenir d’éventuelles attaques terroristes, mais, selon les documents de Disclose, cet objectif n’était que troisième derrière la lutte contre les trafiquants et celle contre l’immigration.
À la France de prendre «les mesures appropriées»
Selon les documents obtenus par le média en ligne, «les forces françaises auraient été impliquées dans au moins 19 bombardements contre des civils, entre 2016 et 2018».
Dans une réponse à la députée déi Lénk , ce mercredi matin, le ministre des Affaires étrangères, (LSAP), s’est dédouané de toute responsabilité, expliquant successivement ne pas être au courant de la mission «Sirli», que le sujet ne tombait pas sous le coup de la loi sur le contrôle des exportations, que le Luxembourg n’a pas à se prononcer sur ce contrat et qu’il appartient aux autorités françaises «de veiller à l’exécution d’un tel contrat et d’évaluer s’il y a eu d’éventuels méfaits et de prendre, le cas échéant, les mesures appropriées».
Non seulement la mission de surveillance des eaux territoriales libyennes à laquelle participe le Luxembourg ne sera pas réévaluée à la lueur de ces révélations, mais «il n’existe plus de relation contractuelle entre la Direction de la défense et CAE Aviation», conclut le ministre. , le Luxembourg a eu recours au service de cette société établie au Findel, mais dont l’activité est principalement réalisée en France via deux filiales, Cavok et Vérité.
La société avait vu les projecteurs se braquer sur elle en 2015 à cause du crash d’un Fairchild Metroliner Mark III enregistré aux États-Unis, un de ses avions de surveillance près de Malte, qui avait causé la mort d’au moins cinq agents.
Spécialisée dans le renseignement, la société appartenant aujourd’hui aux deux enfants de Bernard Zeler, décédé fin 2019, Julie et Hughes, est beaucoup moins prolixe quand il s’agit de parler d’elle. Après nous avoir demandé, par téléphone, de lui faire parvenir nos questions par écrit, elle n’y a pas répondu à l’heure où nous écrivons ces quelques lignes. Entre 2016 et 2019, son dernier bilan disponible, son chiffre d’affaires a progressé de 50% à près de 60 millions d’euros et ses effectifs ont doublé, passant de 82 employés en 2016 à 169 en 2019.
«L’Égypte est un partenaire de la France avec lequel – comme avec beaucoup d’autres pays – nous entretenons des relations dans le domaine du renseignement et de la lutte antiterroriste (…) au service de la sécurité régionale et de la protection des Français. Pour des raisons évidentes de sécurité et d’efficacité, nous ne communiquerons pas davantage sur la nature des dispositifs de coopération mis en œuvre dans ce domaine», a réagi dimanche soir le ministère français des Armées, auprès de nos confrères du Parisien, en précisant que la ministre française de la Défense, Florence Parly, avait «demandé qu’une enquête soit ouverte sur les informations diffusées par Disclose».