Nicolas Buck, cofondateur et CEO de Seqvoia, dresse l’inventaire des avantages respectifs de Londres et Luxembourg en tant que centres pour le secteur financier.  (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne/Archives)

Nicolas Buck, cofondateur et CEO de Seqvoia, dresse l’inventaire des avantages respectifs de Londres et Luxembourg en tant que centres pour le secteur financier.  (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne/Archives)

Au cours d’un chassé-croisé d’avions entre Londres et Luxembourg, Nicolas Buck, cofondateur et CEO de Seqvoia, explique la relation entre les deux villes financières. L’une est une place financière, l’autre non. Il en sait quelque chose, voyageant entre ses bureaux des deux côtés de la Manche.

Il y a un an, le 4 octobre 2021, . Basé au Luxembourg depuis 2012, le prestataire technologique, qui aide les gestionnaires d’actifs dans leurs défis de la gestion du cycle de vie des produits financiers, a saisi «une opportunité qui est devenue une stratégie», note son cofondateur et CEO, . Attablé dans un restaurant du London City Airport, en attendant le prochain vol vers Luxembourg, Nicolas Buck nous explique justement les raisons du développement de Seqvoia vers le Royaume-Uni. «Nous avions racheté une entreprise à Londres en 2020 pour assurer un contrat avec un gestionnaire d’actifs dans son ensemble».

Par la suite, la stratégie de maintenir une présence à Londres est naturellement devenue évidente pour Nicolas Buck: «Londres est à la base de la création et de l’idéation des cycles de vie des produits financiers.» C’est ainsi que l’entreprise, initialement implantée à Bertrange, a choisi d’ouvrir un bureau permanent dans le quartier de Blackfriars, juste au sud-ouest de la City of London. Mais sans pour autant oublier Luxembourg car, comme l’explique le cofondateur de Seqvoia, «nous sommes une entreprise qui, avec sa technologie, veut relier des centres financiers comme Londres et Luxembourg».

Luxembourg n’est pas un centre financier, mais plutôt un centre pour les produits financiers.
Nicolas Buck

Nicolas Buckcofondateur et CEOSeqvoia

Avec la seule subtilité, qu’aux yeux de Nicolas Buck, «Luxembourg n’est pas un centre financier, mais plutôt un centre pour les produits financiers». Probablement un point de détail pour certains, mais qui pourtant, fait toute la différence pour le cofondateur de Seqvoia. C’est justement cette différence qui a permis le succès tant de Londres que de Luxembourg, chacune s’étant spécialisée sur des chaînes de valeurs différentes. Le Luxembourg s’est ainsi focalisé sur la gouvernance des produits, en l’occurrence les aspects légaux, administratifs et opérationnels. C’est d’ailleurs ce qui l’a rendu populaire pour de nombreux services aux fonds d’investissement tels que la banque dépositaire, l’administration centrale, l’agent de transfert ainsi que les fonctions de contrôle et du risque.


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Si Luxembourg s’apparente davantage à «une usine à produits financiers», selon Nicolas Buck, il considère en revanche Londres comme une véritable place financière. «Londres est davantage un centre où l’on invente des produits qui sont alors vendus au travers de fonds ou de mandats.» Et c’est soit au Luxembourg, soit en Irlande que ces activités sont ensuite domiciliées.

Une niche en pleine expansion

Londres et Luxembourg restent donc à ce point tellement complémentaires l’une de l’autre que Nicolas Buck se refuse à toute approche «noire ou blanche». Tant Londres que Luxembourg ne vivent pas en concurrence. La seconde apportant de la continuité au cycle de vie des produits nés dans la première. «La règlementation exige de plus en plus de contrôle et de substance. Il faut donc démontrer que le bon produit a été vendu à la bonne personne.» De facto, le régulateur luxembourgeois revêt un rôle primordial dans l’expérience du processus d’approbation des produits. Les producteurs de produits financiers ne peuvent pas se permettre de domicilier leurs produits dans une juridiction où le régulateur ne les tient pas régulièrement au courant des étapes du processus d’approbation de mise sur le marché. «L’intérêt du Luxembourg, c’est tout son écosystème et le régulateur en fait partie», précise Nicolas Buck.

Au Luxembourg, nous sommes en quelque sorte la Slovaquie de l’industrie automobile allemande. Nous pouvons très bien vivre en développant des usines d’assemblage avec un grand contrôle qualité.
Nicolas Buck

Nicolas Buckcofondateur et CEOSeqvoia

L’innovation des produits financiers comporte un tel savoir-faire, faisant appel autant à «des stratégies de plus en plus compliquées pour des investisseurs informés que des stratégies moins liquides à destination d’investisseurs particuliers», que le défi consiste à trouver le véhicule correspondant au produit et la demande. Il s’agit d’une niche spécifique au Luxembourg. C’est pourquoi «il ne faut surtout pas que le Luxembourg devienne une place financière», insiste Nicolas Buck. Qu’il s’agisse de RAIFS, de SIFS ou de UCITS, «la création de produits financiers est un savoir-faire tellement compliqué qu’il ne faut pas le dilapider en prétendant vouloir gérer de l’argent.» Une niche en pleine expansion, notamment avec les actifs alternatifs, soutenue par une expertise locale qui permet de distribuer les produits financiers sur la plupart des continents.

Le modèle de délégation décentralisée

«À mon avis, nous ne sommes qu’au début de l’histoire», assure Nicolas Buck et d’ajouter: «Au Luxembourg, nous sommes en quelque sorte la Slovaquie de l’industrie automobile allemande. Nous pouvons très bien vivre en développant des usines d’assemblage avec un grand contrôle qualité.» Mais si le Luxembourg est à Londres ce que la Slovaquie est à l’Allemagne, la stratégie de Seqvoia a toutefois été de maintenir une présence des deux côtés de la Manche. «Étant sur un marché de technologies et de services, nos concurrents sont partout. Il nous fallait donc de toute façon nous rapprocher vers le centre de décision qu’est Londres, tout en maintenant une présence au Luxembourg, centre d’exécution.»

La création de produits financiers est un savoir-faire tellement compliqué qu’il ne faut pas le dilapider en prétendant vouloir gérer de l’argent.
Nicolas Buck

Nicolas Buckcofondateur et CEOSeqvoia

En outre, la pénurie de talents reste une réalité tant à Londres qu’à Luxembourg. Raison pour laquelle Nicolas Buck explique ne pas privilégier les ouvertures de postes chez Seqvoia en fonction de la localisation. Même s’il tend cependant à reconnaître que les profils les plus pointus pour la compréhension du marché se trouvent à Londres. «C’est dû à la taille du marché. Vous vous baladez au Kirchberg et à la Cloche d’Or, vous verrez de beaux bâtiments, mais vous vous baladez dans la City ou à Canary Wharf, les bâtiments sont trois fois plus grands. C’est juste une question de taille. C’est comme comparer le stade d’Anderlecht avec celui du Real de Madrid, tout le monde comprend que ce n’est pas le même niveau.»

Avec une relation de complémentarité qui existe entre les deux centres, la concurrence qui pourrait un jour bousculer la position concurrentielle luxembourgeoise en tant qu’«usine d’assemblage de produits financiers» viendrait donc d’ailleurs. Même si la question n’est pas imminente, selon Nicolas Buck, un pays pourrait décider de rapatrier la délégation de services aux fonds au niveau domestique. En attendant, «le modèle de délégation luxembourgeois reste un modèle que les Américains et Anglais adorent», soit un modèle d’externalisation des risques possibles au niveau des coûts. «Quand ils externalisent, ils reçoivent une facture, mais n’ont pas le risque des gens», conclut le CEO de Seqvoia.

Cet article est issu de la newsletter Paperjam + Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.