Pour Vincent Hein, l’âge d’or de la croissance luxembourgeoise est  derrière nous, du moins pour les cinq années à venir (Photo: Maison Moderne)

Pour Vincent Hein, l’âge d’or de la croissance luxembourgeoise est  derrière nous, du moins pour les cinq années à venir (Photo: Maison Moderne)

Et si le Luxembourg rentrait dans le rang? C’est le sentiment qui ressort à la lecture du dernier avis annuel de Fondation Idea: le pays ne survole plus les crises comme il l’a toujours fait. Des crises qui soulignent les décrochages structurels de l’économie.

«Le Luxembourg a davantage été affecté par la crise ukrainienne que par la pandémie», affirme Vincent Hein, le directeur d’Idea. «Si en 2024, l’économie a renoué avec la croissance (+1%), le choc provoqué par la guerre en Ukraine continue de peser sur l’activité économique. Le PIB reste inférieur de 0,8% à son niveau de 2021». Dans les conditions actuelles, «la période d’âge d’or de la croissance luxembourgeoise est certainement derrière nous, du moins pour les cinq années à venir», estime-t-il. Vincent Hein met en avant le retournement du cycle du crédit qui a fait plonger l’investissement (–22% en 3 ans), en particulier dans le secteur immobilier, «affectant significativement l’économie nationale». Il évoque également les exportations nettes de biens et services, qui sont léthargiques depuis 2020. Si l’économie résiste, estime-t-il, elle le doit à la consommation des ménages – une «surprise» – et à l’augmentation de la dépense publique via les «multiples plans de soutien publics et les mesures de préservation du pouvoir d’achat».

Des décrochages structurels

Pour Vincent Hein, ces cinq dernières années de polycrises ont accentué des décrochages déjà observables de l’économie luxembourgeoise, comme le ralentissement de la croissance tendancielle, la baisse de la productivité apparente du travail, la diminution relative de la place du secteur marchand dans la création de valeur. «Par rapport à 2019, le PIB par habitant recule de 3,4%, le PIB par emploi de 5,5% et le PIB par heure travaillée de 4%.» Ce qui pose, selon lui, aux politiques trois défis : mettre fin aux plans de soutien publics sans pénaliser l’activité ; revigorer le tissu productif pour gagner en productivité ; et surmonter les défis structurels à la croissance que sont la grande dépendance à la main-d’œuvre frontalière, la crise du logement et la baisse de la productivité.

Un marché de l’emploi au ralenti

«Le marché du travail est logiquement impacté par cette phase de ralentissement», poursuit Ioana Pop, économiste. «La création d’emplois a atteint son plus bas niveau depuis la crise de 2009, avec une hausse limitée à 1,1% en 2024.» C’est le secteur de la construction qui a le plus souffert, avec la perte de 2.475 emplois.

Élément notable: en 2024, le secteur marchand a seulement créé 1.300 emplois, contre 4.450 dans le secteur non marchand. Malgré le ralentissement, note l’économiste, «la dépendance au travail frontalier continue de croître». Autre défi à relever pour l’économiste : l’inadéquation croissante des compétences par rapport au marché, notamment dans les domaines de l’intelligence artificielle et de l’environnement, la difficulté à maintenir les seniors actifs – seulement 48,3% des 53-64 ans sont actifs – et la diminution du nombre d’heures travaillées par emploi.

Des financements publics de plus en plus indispensables

Pour Jean-Baptiste Nivet, économiste, les finances publiques sont sous pression. S’il estime que la dette publique devrait demeurer en deçà des 30% de PIB d’ici à 2030 et que le déficit budgétaire ira décroissant, passant de 0,6% en 2024 à 0,4% du PIB en 2028, il souligne la place centrale qu’auront les investissements publics dans le soutien à l’économie. Un substitut aux programmes de soutien lancés avec le Covid et dont Idea prône la fin.

«Les investissements publics –4,8% du PIB en 2025 – retrouvent un niveau inconnu depuis le début des années 2000, avec des investissements dans le logement, les infrastructures de transports et la défense notamment», note-t-il. «L’augmentation des dépenses militaires et les incertitudes économiques pourraient contraindre les marges de manœuvre budgétaires, de même qu’un vieillissement démographique exerçant une pression croissante sur les comptes sociaux.»