Nombreux sont les Français et Belges confinés qui viennent profiter d’un week-end de liberté au Grand-Duché. À l’hôtel Cravat, au centre de la capitale, «c’est simple, ce sont les seuls clients», raconte son gérant, Carlo Cravat. Mercredi soir, seulement 10 chambres sur les 59 de l’établissement étaient occupées: 50% par des Belges et 50% par des Français. Alors que d’habitude, à cette période, «j’ai très peu de clients frontaliers, car ils peuvent rentrer à la maison le soir», compare-t-il. Normalement, ce sont plutôt «des Anglais, des Scandinaves, qui ont plus de deux ou trois heures de trajet». La plupart des clients actuels viennent de la Grande Région, selon Carlo Cravat. Ce ne sont pourtant pas tous des travailleurs frontaliers venant profiter de leur bon de 50 euros offert par le gouvernement, car ces bons sont «très peu utilisés», selon lui.
Même constat au Graace Hôtel de Luxembourg-ville, où les frontaliers sont bien plus nombreux que d’habitude. «Je pense que c’est surtout parce que les bars et restaurants sont ouverts, alors que ce n’est pas le cas dans leurs pays», confirme Isabella Coltan, la responsable. En revanche, ici, «beaucoup viennent profiter de leur bon». Ce qui ne compense pas la baisse d’activité, avec un taux d’occupation inférieur à 20% dans les 30 chambres de l’établissement.
À la recherche d’un peu de détente
«C’est la folie», témoigne de son côté l’employée d’un hôtel à Grevenmacher, qui préfère rester anonyme. Le week-end dernier était complet, avec 70% des clients venant de France et de Belgique. «D’habitude, c’est rare qu’on ait autant de frontaliers.» Elle détaille: «Ils nous disent clairement, sur place ou par téléphone, qu’ils viennent ici parce que tout est fermé chez eux. Certains nous demandent même des endroits où faire la fête ou danser. Ils ne comprennent pas qu’ici aussi, il y a des restrictions.»
Au Mondorf Parc Hôtel, «le week-end prochain est ‘sold out’ aussi bien à l’hôtel que dans les restaurants», affirme Patrick Le Meur, directeur. Le domaine thermal attire aussi bien des clients venus utiliser leur bon de 50 euros que des personnes qui ne travaillent pas au Luxembourg, mais qui recherchent, le temps d’un week-end, un peu de détente. Les saunas et piscines sont en effet ouverts, de même que l’espace fitness. Seuls les Jacuzzi et hammams restent fermés.
Si avant la pandémie les Belges représentaient 45% de la clientèle de l’hôtel, selon son directeur, leur part monte désormais à 55%, tandis que celle des Français reste stable, de l’ordre de 30%. «Je pense qu’en France, les contrôles sont plus stricts avec des certificats à remplir. Par contre, en Belgique, ce n’est pas recommandé de venir au Luxembourg. Mais cela, on ne le ressent pas dans les réservations», explique Patrick Le Meur.
Pas de jalousie chez les voisins
Ces frontaliers en week-end en profitent pour ou manger au restaurant. Le week-end dernier, il y avait la queue pour manger à la Brasserie Guillaume à Luxembourg-ville. «On le voit, il y a beaucoup de gens de l’extérieur qui viennent manger», raconte son responsable, Cyrille Perchet.
À quelques pas, le Strogoff aussi constate plus de frontaliers que d’habitude. Ils représentent la moitié des clients actuels. «Nous, ça nous sauve», commente Jennifer, assistante de direction. «On a perdu 20 à 40% de chiffre d’affaires par rapport à l’année dernière.»
«Le Luxembourg a toujours eu une très bonne arrière-saison», relativise , secrétaire général de l’Horesca. Voit-il d’un mauvais œil l’afflux de frontaliers? «Non, certainement pas», répond-il. «Les entreprises ont pris leurs dispositions pour assurer la sécurité des clients». Pour lui, ces recettes supplémentaires ne compensent pas les pertes dues au télétravail. Où de nombreux frontaliers dépensent leur argent, de l’autre côté de la frontière. Il a une pensée pour ses confrères allemands, belges et français. «Je pense beaucoup à eux. Je ne pense pas que c’est le peu de clients en plus qui vont leur faire du tort.» Il rappelle qu’au Luxembourg, «80% des chambres sont vides».
Un avis partagé par ses voisins. «On n’en veut pas aux restaurateurs qui profitent de cette opportunité», réagit le président de l’Horeca Wallonie, Thierry Neyens. Mais pour les établissements belges fermés à la frontière, voir leurs clients partir au Luxembourg en toute légalité, «c’est dur à accepter.» Il insiste: «Ce n’est pas de la jalousie, mais de l’incompréhension». Il préférerait plus de clarté de la part du gouvernement belge, qui indique seulement sur son site d’informations dédié au coronavirus: «Il est préférable de ne pas voyager à l’étranger. Il s’agit d’un conseil.»
«Je ne pense pas que ça nous porte préjudice», complète, côté français, la restauratrice Linda Vitalone, à la tête du Sempre Linda à Villerupt. Elle trouve juste «dommage qu’on n’arrive pas à se mettre d’accord entre pays».
Surtout dans la capitale
Quitte à braver les interdictions pour se rendre au Luxembourg, les Français préfèrent en tout cas viser la capitale ou les lieux touristiques. L’effet confinement des voisins ne semble pas profiter aux hôtels de la frontière, comme la Miazia à Belval qui ne remarque pas plus de frontaliers que d’habitude. De même au restaurant de burgers Snooze de Belval ou au Loxalis à Dudelange. «Sur 40 à 50 couverts hier soir, seulement deux étaient des frontaliers français», illustre, surpris, son patron Giovanni Vaccaro. «Pourtant, ils peuvent venir chez nous rapidement par des petites routes». Les travailleurs continuent tout de même de s’y arrêter pour le déjeuner.
À deux pas de la Belgique, le Domaine de la Gaichel travaille «bien pour un mois de novembre, normalement calme». «Il y a beaucoup de demandes et peu d’offres autour», explique logiquement Céline Guillou, propriétaire. Les Belges représentent tout de même «une grande majorité de notre clientèle en temps normal».
Ces touristes de quelques jours semblent aussi moins friands de cinéma. Chez Kinepolis Luxembourg, aucune affluence particulière de spectateurs venus des pays voisins n’est observée, au dire de son national theatre manager, Christophe Eyssartier. «Nous sommes indirectement impactés par la fermeture des cinémas dans les pays limitrophes, ce qui incite les distributeurs à décaler les sorties». Sans afflux de nouveautés à l’affiche, les cinéphiles se font de facto plus rares.