Le Luxembourg ne s’est jamais qualifié pour la phase finale d’un championnat d’Europe. Certes, il fut quart-de-finaliste de l’épreuve en 1964, mais, à l’époque, seuls les quatre demi-finalistes se réunissaient pour un tournoi final. Depuis, plus rien. Le désert. Dont une période de 15 ans, entre 1980 et 1995, sans remporter le moindre match. Fut-il même amical…
Est-il dès lors insensé de penser voir les Roud Léiwen (le surnom des joueurs de l’équipe luxembourgeoise) se qualifier un jour pour le rendez-vous sportif n°1 du continent européen? Ou est-il envisageable qu’ils réussissent à imiter la «petite» Islande? Cette île dont la population ne représente qu’un peu plus de 50% de celle du Luxembourg (plus ou moins 350.000 habitants), mais qui était présente en France voici cinq ans ainsi que, deux années plus tard, à la Coupe du monde russe. Une équipe islandaise qui ne doit son absence à l’Euro 2020 qu’à une fin de match dramatique dans la rencontre décisive disputée face à la Hongrie (deux buts encaissés dans les cinq dernières minutes).
L’Islande, pas forcément le modèle à suivre
«On peut s’inspirer de ces Islandais, mais aussi de pays comme l’Albanie ou la Macédoine du Nord, qui se sont aussi qualifiés pour un Euro. Mais sur le plan mental. Car il ne faut pas trop se comparer avec eux pour le reste», sourit Luc Holtz (51 ans), le sélectionneur national luxembourgeois. «Au niveau social et structurel, l’Islande n’a rien à voir avec nous. En termes de qualité de vie, leur situation est très différente de celle du Luxembourg…»
L’ancien footballeur international fait ici référence au fait que les jeunes Islandais voient dans le sport une porte de sortie. La seule peut-être pour parvenir à quitter leur île. Alors que chez nous, la préférence (des parents généralement) reste souvent de donner la primauté aux études, le sport de haut niveau n’étant que rarement considéré comme une alternative valable pour l’avenir de ses enfants.
Une différence de mentalité qui transparaît dans les résultats de sports collectifs comme le football donc, mais aussi le basket, et surtout le handball, où la sélection islandaise fait partie du top 5 mondial.
«Et puis, au niveau athlétique, on voit aussi une sacrée différence de gabarit entre eux et nous. Ce n’est pas qu’un stéréotype…», reprend Holtz. «Il ne faut donc pas ‘singer’ tout ce que les Islandais font. Personnellement, j’essaie plutôt d’aller piocher chez différentes sources ce qui peut nous servir.»
«L’impensable n’existe plus»
Une tactique dont on peut penser qu’elle s’est avérée payante au vu des résultats obtenus ces dernières années par les Roud Léiwen. Avec des matches nuls contre des pays comme la France, la Bulgarie, le Sénégal et Madagascar, ou des victoires, notamment sur la Hongrie, l’Albanie, le Belarus, la Lituanie, la Moldavie… Ou, la dernière en date, en Irlande en mars dernier. Et ce, trois jours avant de tenir la dragée haute au Portugal de Cristiano Ronaldo.
Un bilan qui laisse rêveur plus d’un connaisseur luxembourgeois. De là à imaginer le Luxembourg se qualifier pour un Euro désormais disputé par 24 nations? «Sincèrement, si vous m’aviez posé cette question voici 10 ans, j’aurais crié au fou. Mais aujourd’hui, je peux la comprendre», sourit Paul Philipp, le président de la FLF, la fédération luxembourgeoise de football. «Évidemment, pour se qualifier pour un tel événement, on aurait besoin de quelques circonstances favorables. Notamment au niveau du tirage au sort en qualifications. Mais si cette chance-là nous souriait, ce genre de rêve d’aller à l’Euro pourrait devenir une réalité, oui. Mais sans que ce soit un objectif affiché haut et fort.»
Une génération dorée
Son sélectionneur est sur la même longueur d’onde. «L’impensable n’existe plus. Que ce soit sur un match ou même des qualifications complètes», glisse ainsi Luc Holtz, tout en ajoutant «qu’il faut, par ailleurs, toujours rester réaliste et avoir bien en tête que ce genre d’exploit sera très difficile à réaliser.»
Sincèrement, si vous m’aviez posé cette question voici 10 ans, j’aurais crié au fou. Mais aujourd’hui, je peux la comprendre.
Si ce sentiment d’impossibilité n’existe plus, c’est en partie en raison d’un changement de mentalité vu chez les joueurs de cette sélection luxembourgeoise. «Voici quelques années, ceux qui étaient sélectionnés venaient aux rassemblements pour voir les copains. Sans grande ambition donc. La génération actuelle n’est plus comme ça. Elle dispute ses matches avec dans la tête l’optique de les gagner. Ils veulent réussir. Et si aujourd’hui, il y a un (petit) coup à jouer, c’est grâce à ça», explique le président Philipp. «C’est aussi quelque chose qu’on a travaillé depuis quatre ou cinq ans, notamment avec la présence d’un coach mental», complète Luc Holtz. «On a boosté leur confiance, diminué le stress aussi. Et derrière, les bons résultats obtenus ont servi de prise de conscience.»
Le Luxembourg possède également à l’heure actuelle une génération de joueurs comme il n’en a jamais connu avant. Il devient habituel de voir cette sélection aligner un onze de base composé uniquement de joueurs évoluant à l’étranger. Du jamais-vu! Comme le fait qu’ils sont d’ailleurs désormais une trentaine à évoluer ainsi hors des frontières nationales. Avec quelques têtes d’affiche. Comme Gerson Rodrigues (25 ans, Dynamo Kiev), qui est devenu cette saison le premier Roude Léiw à jouer les poules de Ligue des champions. D’autres devraient l’imiter dans peu de temps. Les Leandro Barreiro (21 ans, titulaire à Mayence en Bundesliga), Christopher «Kiki» Martins Pereira (24 ans, double champion de Suisse avec les Young Boys), voire Vincent Thill (21 ans, Nacional Madère) en ont en tout cas le talent. Mais beaucoup d’autres sont aussi aujourd’hui titulaires en D1 néerlandaise, belge ou ukrainienne. Des joueurs qui sont tous passés par «l’École de foot», le centre national de formation de Mondercange.
Un manque de quantité dans la qualité
«Je suis retombé dernièrement sur des articles datant de mon intronisation, en 2010. Et quand je relis ce que je disais à l’époque, je suis encore davantage persuadé que je n’imaginais pas une seule seconde avoir un jour un groupe de cette qualité-là. Imaginez, voici 10 ans, nous n’avions qu’un seul pro évoluant à l’étranger…», se rappelle Luc Holtz. «Cela a bien changé. Cependant, on ne possède pas encore assez de joueurs évoluant à un niveau vraiment très élevé. Beaucoup sont encore dans des championnats trop mineurs.»
Quand je relis ce que je disais en 2010, je suis encore davantage persuadé que je n’imaginais pas une seule seconde avoir un jour un groupe de cette qualité-là.
Et pour viser quelque chose de grand, il manque donc encore de quantité dans la qualité. «Après notre victoire en Irlande en mars, on m’a demandé si celle-ci était ‘normale’ au vu de nos résultats précédents. Ma réponse a été claire: non. Cela reste un exploit! Et pour en réussir à répétition et ainsi pouvoir envisager d’être dans la course à la qualification pour un Euro, il nous faudrait aujourd’hui vivre une campagne de qualif sans blessés, suspendus ou gros coups durs. Ce qui est pratiquement impossible.»
Pour rêver plus grand, le Luxembourg aurait donc besoin d’un groupe encore plus étoffé. Et la seule solution pour y arriver (et franchir de nouveaux paliers) est de continuer à (bien) former. Si c’est le cas, qui sait où le Luxembourg pourrait être dans 10 ans…
Demain: Mondercange, le Clairefontaine luxembourgeois.