Bandana Rana: «Trouver sa voix et son identité en tant que femme au Népal est aussi difficile que d’escalader l’Everest, le plus haut sommet sur Terre.» (Photo: Delano)

Bandana Rana: «Trouver sa voix et son identité en tant que femme au Népal est aussi difficile que d’escalader l’Everest, le plus haut sommet sur Terre.» (Photo: Delano)

Forte d’une expérience de 30 ans dans le domaine de la défense des droits des femmes, Bandana Rana estime que le Luxembourg reste à l’avant-garde de l’égalité entre les sexes au niveau mondial. La militante népalaise espère que la coopération sera encore renforcée puisque les deux pays participeront au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies au cours des deux prochaines années.

Bandana Rana est en visite au Luxembourg cette semaine pour donner une conférence sur les droits des femmes au Népal. Elle rencontrera également des représentants du gouvernement et visitera des écoles. Membre du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations unies (Cedef)  et présidente du Réseau mondial des femmes pour la paix, elle a débuté sa carrière de militante dans son pays d’origine, le Népal, où elle a participé à l’ouverture du premier refuge pour femmes du pays dans les années 1990.

«Ce fut un combat, car personne ne pensait que la violence domestique était un problème auquel il fallait s’attaquer», déclare Bandana Rana, une ancienne journaliste qui a compilé de nombreux témoignages pour le premier rapport sur le développement humain des Nations unies, publié en 1990. «Chaque fois que je mettais un micro devant une femme, il y avait quatre hommes qui disaient qu’elle ne savait rien, qu’elle ne pouvait pas parler, qu’elle était trop timide. Cela m’a vraiment troublé».

Rana a fini par trouver des femmes allant chercher de l’eau au petit matin. Elles lui ont parlé de violences domestiques, de coups, d’agressions sexuelles au sein de leur mariage et de leur famille, d’alcoolisme et de toxicomanie. «Ce n’est pas la première fois que j’en entendais parler. Mais l’entendre de la bouche de femmes qui avaient souffert m’a énormément ouvert les yeux.»

La violence continue, non seulement au Népal, mais aussi dans le monde entier.
Bandana Rana

Bandana Rana membre du Cedef Onu

«Nous avons essayé de sensibiliser les gens, mais nous nous sommes rendu compte que la sensibilisation seule ne sert à rien.» Les femmes qui voulaient quitter une relation abusive n’avaient aucun soutien. «Nous sommes le genre de société qui vous apprend, en tant que femme, à être silencieuse, tolérante et à vous adapter au foyer de votre mari. Ce n’est pas grave si votre mari vous bat de temps en temps».

Bandana Rana et les militants des droits des femmes au Népal ont dû faire face à des accusations selon lesquelles ils propageaient des idées occidentales. «Nous avons été témoins de la violence sous nos yeux, au sein de nos familles. On ne peut pas appeler cela une idée occidentale.»

L’organisation non gouvernementale Saathi a ouvert son premier refuge pour femmes en 1995, mais chaque étape a conduit à de nouveaux besoins. À l’époque, il n’y avait pas de loi sur la violence domestique. Il aura fallu 14 ans aux organisateurs des droits des femmes pour faire adopter une législation au Parlement, en 2009. «La violence continue, pas seulement au Népal, mais aussi dans le monde entier», souligne encore Bandana Rana. «Le point positif est que la violence domestique n’est plus un tabou. Elle est à l’ordre du jour national.»

Elle est également à l’ordre du jour mondial. «Mon mantra est d’amener les expériences locales de ce qui fait une différence dans la vie des femmes sur le terrain, les expériences réelles, dans l’arène mondiale où les politiques mondiales sont formulées», déclare-t-elle, «puis de ramener le mandat engagé au niveau mondial au niveau local.»

«Une incitation à travailler davantage»

«Le Luxembourg a été un précurseur en matière d’égalité des sexes au niveau mondial»,  indique Bandana Rana. Environ 85% de son aide au développement bénéficie à l’égalité des sexes. Le pays a soutenu une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu sur les enfants dans les conflits armés en 2014 et il a un programme de politique étrangère féministe et un plan d’action pour les femmes, la paix et la sécurité.

«Nous avons des normes et des valeurs fortes et rigides», dit-elle à propos de son Népal natal. «Lorsque votre aide est combinée à votre stratégie claire visant à mettre fin à la discrimination, ce message passe dans les pays comme nous, ce qui nous incite à travailler davantage.»

En janvier, le Luxembourg entamera un mandat de trois ans au Conseil des droits de l’Homme de l’Onu et fera équipe avec le Népal, lui aussi membre jusqu’en 2023. «Je pense que le Luxembourg et le Népal trouveront des moyens de travailler ensemble au sein du Conseil des droits de l’Homme.» Pour rappel, la candidature du Grand-Duché pour occuper ce siège s’articulait autour de quatre priorités: l’état de droit, le climat, l’égalité des sexes et les droits de l’enfant.

«J’ai hâte de dialoguer avec les fonctionnaires concernés sur les femmes, la paix et la sécurité, sur la stratégie en matière de genre, sur l’engagement des hommes et des garçons, et sur la manière dont nous pouvons aligner notre travail.» Par exemple, en 2015, le Népal a commencé à délivrer des passeports pour une troisième catégorie de sexe. Il s’agit d’une véritable révolution pour l’auto-identification qui a commencé avec une décision de la Cour suprême, en 2007, ordonnant au gouvernement de créer une catégorie juridique pour les personnes qui ne s’identifient ni comme homme ni comme femme. Le Luxembourg, par contre, n’a pas encore suivi. Dans son accord de coalition de 2018, le gouvernement a déclaré qu’il évaluerait la possibilité d’enregistrer un troisième genre.

Par ailleurs, le Luxembourg a piloté des projets visant à travailler avec les auteurs de violences domestiques afin de prévenir les futures agressions – une question que le Népal commence tout juste à aborder. En 2011, l’asbl de Bandana Rana, Saathi, a lancé avec succès une campagne impliquant les hommes et les garçons par le biais du football, intitulé «Notre objectif: mettre fin à la violence contre les femmes».

«On a tendance à regarder les choses au ras du sol, où l’on a l’impression que rien ne fonctionne», indique encore Bandana Rana à propos de la frustration qui accompagne le militantisme et la mise en œuvre du changement. «Mais quand on regarde les choses avec hauteur, je suis fière de dire qu’en très peu de temps, nous avons des lois très progressistes.»

Il s’agit notamment de lois sur la discrimination sexuelle, la violence sexuelle – y compris sur le lieu de travail – et la santé sexuelle et reproductive. «Nous avons 33% de femmes au Parlement et 40% au niveau local. J’ai tendance à penser que nous avons réalisé beaucoup de choses en peu de temps. C’est un mouvement collectif et dynamique de la société civile qui y a contribué. Avec le bon leadership, la bonne direction, les bons choix, nous pouvons faire énormément au cours de la prochaine décennie.»

La conférence de Bandana Rana à l’Université du Luxembourg – «Scaling the Summit for Women’s Rights» – est diffusée en direct via WebEx ce mardi 30 novembre à 18h. Inscrivez-vous en ligne .