Avant que le ministre de l’Économie, Franz Fayot, ne parte vers la présentation du plan énergie-climat, François Heisbourg lui a fait quelques recommandations pour se préparer au «tsunami» qui s’annonce. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Avant que le ministre de l’Économie, Franz Fayot, ne parte vers la présentation du plan énergie-climat, François Heisbourg lui a fait quelques recommandations pour se préparer au «tsunami» qui s’annonce. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Comment les économies du Luxembourg et de l’Europe peuvent-elles rester stables et sûres dans un «tsunami géopolitique», se sont demandé les experts réunis pour la 16e Journée de l’économie à la Chambre de commerce, ce lundi 17 avril après-midi. Avec quelques recommandations pour Franz Fayot.

«Je n’ai pas vu beaucoup de ciel bleu depuis que je suis entré au gouvernement en février 2020.» Covid, rebond de l’économie et inflation, hausse des prix de l’énergie, invasion de l’Ukraine par la Russie et inflation encore plus galopante: appelé à remplacer  (LSAP) au pied levé, le ministre de l’Économie, (LSAP), a été happé par une série d’événements qui l’ont amené à gérer la situation dans l’urgence.

Et la crise climatique ne lui laissera pas plus de répit. Présent au début de la 16e Journée de l’économie, organisée par le ministère de l’Économie, la Chambre de commerce et la Fedil avec l’aide de PwC, le ministre a quitté l’événement pour rejoindre, à l’Hôtel Saint-Augustin, le Premier ministre (DP), la ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable (déi Gréng), le ministre de l’Énergie (déi Gréng) autour de la présentation de dont l’objectif est de réduire les émissions de carbone à 0 en 2050.

La sécurité n’est plus garantie ad vitam æternam

Ce qui ne l’a pas empêché d’entendre le conseiller de l’Institut international des études stratégiques (IISS), François Heisbourg, lui adresser quelques recommandations. D’abord, de ne plus considérer que la sécurité est donnée, cette condition essentielle pour assurer la prospérité future. Puis, presque comme une conséquence évidente, que le Luxembourg participe correctement aux dépenses de l’Otan. «0,7% du PIB pour les dépenses de défense, ce n’est pas assez au regard du niveau du PIB du Luxembourg. C’est la moitié de l’Allemagne, un tiers de la France et un cinquième de la Pologne», a dit l’expert toujours très écouté au Luxembourg. «Je sais que c’est désagréable à entendre pour un ministre qui est attentif aux dépenses de l’argent des contribuables. Il y a beaucoup de manières d’accroître le budget de la défense!»


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«Small is beautiful, oui, mais il ne faut pas oublier que l’on est petit. L’Estonie est passée en cinq ans d’une république soviétique à une économie très moderne et technologique. Le Luxembourg est dans cette catégorie-là. D’ailleurs, c’est un compliment pour le Luxembourg que l’Estonie ait décidé de mettre sa sauvegarde ultime de ses données au Luxembourg. Mais être petit ne garantit pas que vous alliez assez vite ni que vos choix soient assez pertinents.»

États-Unis ou Chine, il faut choisir

«Nous devons connaître mieux nos partenaires. Il y a la dimension financière qui est née des attentats du 11 septembre, mais aussi une autre version plus stratégique, qui relève moins du business que des États. Quand une société de l’espace est accusée d’avoir fourni des données au groupe militaire privé Wagner et que cette société est basée au Luxembourg, qu’elle relève de la loi luxembourgeoise, cela nécessite au minimum d’avoir une bonne explication à donner à ses alliés. Le Luxembourg nécessite de développer ses services de sécurité plus sérieusement. Vous ne pouvez pas vous permettre d’être associé au groupe Wagner, ses enlèvements, ses violences, ses tortures ou ses viols, les pires formes d’une guerre et pas seulement en Ukraine, mais aussi dans les pays du Sahel.»

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Le stratège avait déjà recommandé que le pays connaisse mieux ses partenaires, comme l’industrie financière doit s’acquitter du KYC ou respecter Fatca. Et qu’il ne reste pas sur une politique «équilibrée». «Une politique équilibrée n’est pas une option. Vous ne pouvez pas être équilibré entre la Chine et les États-Unis! Le Luxembourg n’est pas neutre. Il est un membre fondateur de l’Otan et de l’Union européenne. Invité à choisir entre ses partenaires de l’Ouest ou la Chine, il doit choisir ses partenaires de l’Ouest. Le Luxembourg ne doit pas croire qu’il peut échapper à ce choix. Aujourd’hui, c’est très différent des 25 dernières années.»

L’axe Metz-Luxembourg, un mauvais présage

«Pour préserver sa sécurité, le Luxembourg doit s’assurer qu’une série de conditions sont remplies. Pour accompagner le développement de nouveaux emplois à haute valeur ajoutée dans des secteurs comme les greentech, les biotech et autres, vous devrez accueillir encore plus de gens, des immigrants et des frontaliers. Cela veut dire que vous avez une excellente connectivité avec les pays frontaliers. Quiconque s’est réjoui d’aller de Metz à Luxembourg sait exactement de quoi je parle! Cela était assez mauvais il y a 25 ans. C’est pratiquement impossible aujourd’hui. Que nous ne soyons pas capables de revenir à ce qui existait dans ce domaine n’est pas de bon augure pour le futur luxembourgeois! Et si vous ne pouvez pas vous déplacer correctement comme frontalier, vous devez avoir accès à un marché immobilier sain au Luxembourg. Accessible en tout cas!», a conclu M. Heisbourg.


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À ses côtés sont également intervenus André Sapir, professeur d’économie à la Solvay Brussels School of Economics and Management et senior fellow à Bruegel, qui a développé une vision légèrement différente de celle de M. Heisbourg. Selon lui, le destin économique et politique de la Chine ne pourra pas être séparé d’un certain nombre de pays et, même si les deux blocs emmenés par les Américains et les Chinois continuaient leur guerre économique, ils ne pourraient pas s’ignorer dans la résolution de la crise climatique. «C’est inévitable et contradictoire!», a-t-il dit.

Les valeurs, vision émergente

Troisième intervenant invité par les organisateurs, Augustin Landier, auteur avec David Thesmar de «Le prix de nos valeurs», a à peine eu le temps d’expliquer une nouvelle vision émergente, qui replace nos valeurs au centre de nos décisions économiques. Une bonne affaire, tout le monde le sait dans le monde économique, est celle qui donne à chacune des deux parties le sentiment qu’elle a réalisé la bonne affaire. Aujourd’hui, des citoyens sont prêts à payer plus cher pour avoir une qualité supérieure, pour avoir des produits responsables, pour ne pas favoriser l’esclavagisme et cela change la donne.


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«Nous devons avoir une politique commerciale basée sur la valeur», avait d’ailleurs dit le ministre en préambule, soulignant qu’il serait ridicule d’être le seul pays au monde à atteindre 1% de son PIB en aide au développement, à placer les droits de l’Homme au cœur de ses préoccupations, sans être cohérent jusqu’au bout. «J’ai renforcé mon département d’intelligence économique justement pour écarter les risques», avait insisté Franz Fayot.