Pour ceux qui commercialiseront le PEPP, le principal challenge résidera dans la capacité à intégrer les contraintes réglementaires et fiscales de multiples pays à leurs process. (Illustration: Données Eurostat)

Pour ceux qui commercialiseront le PEPP, le principal challenge résidera dans la capacité à intégrer les contraintes réglementaires et fiscales de multiples pays à leurs process. (Illustration: Données Eurostat)

Les acteurs de la place financière attendent beaucoup du nouveau produit paneuropéen d’épargne-retraite individuelle (PEPP) et de la possibilité de transférer les fonds de pension d’un pays à un autre.

Il y a eu la success-story des fonds Ucits. Pourrait-il y en avoir une autre avec l’épargne-retraite? Deux nouveautés aiguisent les appétits: le produit de retraite paneuropéen (Pan-European Personal Pension Product, PEPP), et la directive IORP II (Institutions for Occupational Retirement Provision).

Publié à l’été 2019, le règlement sur le PEPP crée un produit d’épargne-retraite portable d’un pays à l’autre, via une distribution en LPS (libre prestation de services).

«Le produit devrait fonctionner avant tout en ligne, et seuls quelques acteurs le commercialiseront. Il s’agira d’un produit de masse, à faible coût, dont la cible de clientèle est la génération des millennials et les expatriés. C’est une opportunité énorme, car les besoins sont énormes», anticipe Chrystelle Veeckmans, vice-présidente de l’Association luxembourgeoise des fonds de pension et partner chez KPMG Luxembourg.

Le PEPP pourrait aussi combler certains manques. «Pour les nouveaux arrivants au Luxembourg, il pourrait servir de garantie à adosser à une demande de crédit immobilier, ce que nous ne pouvons pas faire aujourd’hui avec des produits d’épargne-retraite», précise Gery Thomas, senior private banker à la Banque de Luxembourg.

Le Luxembourg est devenu un hub de produits transfrontaliers avec la directive Ucits. Nous avons donc l’expérience nécessaire en matière de structuration, d’administration, de tax reporting et de distribution.

Corinne LameschPrésidenteAlfi

Disparités fiscales

L’EIOPA, gendarme européen des assureurs et des institutions de retraite privées, doit encore déterminer le cadre de régulation du PEPP, et sa commercialisation devrait intervenir en 2021 ou 2022.

«Il pourra être distribué par les trois industries: assurances, banques et fonds. Les assureurs ont une longueur d’avance, en particulier sur le paiement et la gestion des rentes, mais aussi sur le réseau de distribution», estime Marc Hengen, administrateur délégué de l’Aca.

Du côté des fonds, l’Alfi est aussi dans les starting-blocks et a fait valoir ses compétences en matière de gestion transfrontalière: «Le Luxembourg est devenu un hub de produits transfrontaliers avec la directive Ucits. Nous avons donc l’expérience nécessaire en matière de structuration, d’administration, de tax reporting et de distribution. Et nous serions donc à même de développer cette même expertise dans le cadre paneuropéen du PEPP», avance Corinne Lamesch, sa présidente.

Mais tous les acteurs n’accueillent pas le PEPP avec le même enthousiasme. L’association PensionsEurope alerte par exemple sur le «risque d’interférence» avec des produits de pilier 2 qui fonctionnent bien dans de nombreux pays européens.

Pour ceux qui le commercialiseront, le principal challenge résidera dans la capacité à intégrer les contraintes réglementaires et fiscales de multiples pays à leurs process. Avec le frein potentiel que peuvent constituer les différences de fiscalité entre États.

Dans le meilleur des scénarios (incluant l’harmonisation fiscale entre États), le PEPP contribuerait à hauteur de 50% à la croissance du marché de l’épargne-retraite privée, dont le volume atteindrait 2,1 trillions d’euros d’ici 2030, selon l’étude d’impact de la Commission européenne. Mais sans cette harmonisation fiscale, sa future contribution est considérée comme marginale.

Comme le marché de l’épargne-retraite reste très fragmenté et à la main de chaque juridiction, il sera intéressant de voir si d’autres pays entrent à l’avenir dans la course

Corinne LameschPrésidenteAlfi

Complexité du produit

Au final, l’assureur Bâloise n’y croit pas: «C’est fastidieux, complexe et coûteux à mettre en place: il requiert beaucoup de maintenance et de maîtrise des conditions de commercialisation dans tous les pays. L’assurance-vie de droit luxembourgeois — et la portabilité internationale qu’elle permet — peut déjà être conseillée aux personnes qui déménagent souvent», estime Étienne Zimmermann, product manager vie.

La compagnie Lalux n’est pas plus convaincue: «Au vu des différences fiscales et de sécurité sociale entre les États membres, il est difficile de croire au succès d’un tel produit. Il faut par ailleurs obtenir l’agrément de chacune des autorités de contrôle locales. Lalux n’a pour le moment pas pour projet de le commercialiser», annonce Claudia Halmes-Coumont, directeur de Lalux Vie.

La réglementation européenne IORP II ouvre encore de nouvelles perspectives pour le marché des fonds de pension. Elle vise à moderniser les fonds de pension et rendre leur transfert possible entre les pays de l’UE. «Cela permettrait alors de travailler à plus grande échelle, donc de réduire les coûts et d’augmenter la compétitivité. Aujourd’hui, servir des rendements importants n’est pas soutenable dans le contexte de taux d’intérêt bas, à moins de travailler avec des coûts réduits et des volumes plus importants, ou d’offrir une expertise très pointue en gestion d’actifs», remarque Chrystelle Veeckmans.

Là encore, les fonds se positionnent déjà: «Un produit de type pilier 2 distribué de manière transfrontalière serait aussi très intéressant pour le pays. Par exemple, une grande multinationale pourrait vouloir offrir un produit de pension unique à ses employés dans différents pays et choisir le Luxembourg comme juridiction d’établissement et de gestion du produit», anticipe Camille Thommes, directeur général de l’Alfi.

Avec le PEPP et IORP II, le Luxembourg doit-il alors s’attendre à plus de concurrence extraterritoriale?

«Comme le marché de l’épargne-retraite reste très fragmenté et à la main de chaque juridiction, il sera intéressant de voir si d’autres pays entrent à l’avenir dans la course pour établir et distribuer des produits cross-border», conclut Corinne Lamesch. Ou si — comme pour l’assurance-vie distribuée en LPS — les autres États membres tenteront plutôt de barrer la route aux acteurs du Grand-Duché…