Les métiers de l’assurance n’ont pas toujours été aussi présents au Luxembourg. Pouvez-vous retracer la genèse de ce développement?
Claude Wirion: «Le Luxembourg fut dès 1984 un des premiers pays à offrir aux acteurs du marché un cadre prudentiel souple et moderne en matière de réassurance (l’assurance des sociétés d’assurances) et a ainsi pu tirer profit de l’absence de réglementation dans quasiment tous les autres pays. Le succès ne s’est pas fait attendre puisqu’au début des années 2000 on comptait alors plus de 250 entreprises de réassurances. Revenons au début des années 90 où le marché intérieur de l’assurance a été créé, permettant aux opérateurs installés dans un pays d’exercer dans le reste de l’UE. Nous avons dès lors vu un certain nombre de grands groupes actifs en assurance vie choisir le Luxembourg pour servir une clientèle européenne. L’assurance non vie a été plus lente à se développer à l’international. L’envolée de l’activité est plus récente puisqu’elle date du Brexit et de l’implantation au Luxembourg d’acteurs de toute première classe, qui ont contribué au triplement des primes durant leur première année de fonctionnement.
Alain Siegrist: «CAMCA Mutuelle, notre maison mère, a été créée en 1946 à l’initiative des Caisses régionales, dans un contexte où le Crédit Agricole est en plein développement, afin de se prémunir contre le vol et les autres risques opérationnels. Pour faire face à la vague de sinistralité liée à ce type de risque et pour pallier le désengagement des réassureurs classiques, le besoin de la création d’une captive a conduit à la création en 1992 de CAMCA Réassurance, première filiale du groupe CAMCA au Luxembourg. Dans la mesure où, comme le dit Monsieur Wirion, le Luxembourg avait mis en place un cadre législatif et juridique qui permettait de créer des structures dédiées spécifiques, s’implanter dans ce pays fut un choix aisé. CAMCA Assurance est créé en 1997 au Grand-Duché pour développer la caution de prêt à l’habitat. C’est actuellement le 3ème assureur non-vie au Luxembourg avec plus de 319 millions d’euros de primes.
Guy Van den Bosch: «CALI Europe est l’assureur vie du groupe Crédit Agricole pour la clientèle se situant sur le segment haut de gamme. Nous trouvons nos origines en 1998 avec la création de Federlux, filiale du Crédit Lyonnais. CALI Europe développe ses activités en Europe sous le régime de la Libre Prestation de Services, mais dispose également de deux succursales en France et en Pologne. Au cours de ces 20 dernières années, notre activité a énormément évolué. En 2010, nous avions un encours de 5 milliards d’euros et en 2019, nous avons dépassé les 17 milliards. Précisons d’un point de vue plus global que le marché de l’assurance vie au Luxembourg a également connu un essor sans précédent ces dix dernières années, passant de 52 milliards à 203 milliards d’euros d’encours.
Au début des années 2000 on comptait alors plus de 250 entreprises de réassurances au Luxembourg.
100 ans au Luxembourg, c’est une histoire ponctuée de succès et de crises, sources de remise en cause et de transformation. En 2020, nous vivons une crise mondiale inattendue. Comment les acteurs de la place le vivent-ils? Quels seront ses impacts à court et moyen terme sur l’industrie?
C.W.: «En ce qui concerne l’assurance vie, il y a d’une part la crise des taux d’intérêt particulièrement bas qui impacte nettement le business model du secteur. Et puis il y a évidemment la crise sanitaire, qui a touché de manière diverse mais souvent importante les assureurs vie, selon les circuits de commercialisation. Les chiffres de l’assurance vie étaient en baisse notable au premier semestre 2020, en particulier pour l’assurance vie à taux garanti. Pour l’assurance non vie, les résultats au premier semestre étaient en progression par rapport à l’année précédente. Tous les acteurs ont cependant hâte de revenir à plus de normalité, même s’il faut s’attendre à ce que cette dernière ne soit plus exactement la même qu’avant.
G.V.D.B.: «Je ne peux que confirmer les propos de Monsieur Claude Wirion. Il y a donc un ralentissement de l’activité en nouvelle collecte de prime, mais comme nous avions pris de l’avance en 2019 et étant un métier de stock, nous avons finalement peu souffert. C’est l’avantage de ce secteur d’activité. La plupart des assureurs au Luxembourg démontrent également une grande résilience en termes de marge de solvabilité. La complexification géopolitique du monde a tendance à peser sur la partie UC (Unités de Comptes) au travers des marchés financiers mais le recul a été somme toute extrêmement modeste durant cette crise. La pandémie et le confinement qui a suivi nous ont poussés à faire évoluer nos modes opératoires, et je pense que nous avons progressé dans la digitalisation notamment.
A.S.: «Concernant CAMCA Assurance et Réassurance, nous nous apprêtions à faire une année exceptionnelle avant que la crise sanitaire éclate. Mais l’on constate, comme le disait mon confrère, que nous exerçons un métier très résilient. Nous avons également lancé de nouvelles activités même si la crise a ralenti leur développement. Ce business additionnel devrait contribuer à l’augmentation de notre chiffre d’affaires dans les années à venir.
La plupart des assureurs au Luxembourg démontrent également une grande résilience en termes de marge de solvabilité.
Quel est l’avenir du Métier de l’assurance au Luxembourg? Quels sont les principaux enjeux pour le secteur?
C.W.: «Je suis assez optimiste même s’il y a de nombreux facteurs à surveiller et à prendre en considération. Il y a aujourd’hui des opportunités à saisir, il y a une épargne massive qui patiente actuellement dans des comptes courants et cherche à être investie. La transition écologique est également un sujet dans lequel le secteur de l’assurance aura un rôle important à jouer. En assurances non vie, de nombreuses activités se développent liées à de nouveaux risques, je pense notamment à la cybercriminalité, et génèreront d’autres opportunités.
Pouvoir simplifier la vie de nos partenaires et de nos clients est primordial pour nous.
Quels sont les prérequis et les atouts de CAMCA Assurance et Réassurance et de CALI Europe pour relever ces enjeux avec succès?
A.S.: «Nous devons être performants au niveau des systèmes IT, c’est la clé du développement. Plus nous pourrons digitaliser tout en conservant le meilleur de l’humain, plus nous pourrons offrir le meilleur service aux clients. Pouvoir simplifier la vie de nos partenaires et de nos clients est primordial pour nous également.
Construire des outils de qualité pour le pilotage des activités est essentiel à la bonne maîtrise de notre croissance. Nous avons par exemple réalisé sous la supervision du Commissariat aux Assurances, un modèle interne partiel pour mieux appréhender notre solvabilité. Nous avons toujours travaillé en totale collaboration mais aussi en totale rigueur pour trouver des solutions imaginatives et intelligentes.»
G.V.D.B.: «Tout est en place pour que notre développement continue depuis le Grand-Duché. Nous bénéficions d’une grande attractivité à l’étranger. Le Luxembourg est une terre d’accueil exceptionnelle et génératrice de création de valeur. Notre expertise nous permettra bientôt de sortir des frontières européennes, c’est le futur du Luxembourg de servir à l’international. Au-delà des encours, notre clientèle ne cesse d’augmenter. Rien de tout ceci n’aurait été possible sans un régulateur qui comprend les enjeux de notre métier. C’est une autorité de contrôle sévère, exigeante mais pragmatique. C’est dans l’ADN de ce pays mais c’est aussi dans l’ADN du Commissariat aux Assurances.»
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L’interview a été réalisée en respectant les règles sanitaires en vigueur.